Severina Bartonitschek, CIC, kath.ch/traduction et adaptation: Raphaël Zbinden
L’Institut de Leadership de Discernement est un projet sous l’égide de l’Association Internationale des Universités Jésuites (IAJU). David McCallum a été nommé directeur de cet institut en janvier 2021. Entretien.
Les responsables d’Eglise n’ont pas forcément la réputation d’être de très brillants leaders…
David McCallum: Souvent, des personnes arrivent à des postes de direction dans l’Église sans aucune formation préalable dans le domaine. Ils étaient performants en tant que théologiens ou philosophes, mais tout à coup, ils doivent faire fonctionner un département. Dans quel domaine de la société cela se passe-t-il ainsi? C’est pourtant ce que nous faisons dans l’Eglise, et il n’est pas étonnant que cela cause des frustrations.
Quand un prêtre ou un religieux est nommé évêque, ou à un poste de direction au sein de la hiérarchie du Vatican ou d’un ordre religieux, il se retrouve confronté à de grandes responsabilités et à de nombreuses attentes. Et il a parfois du mal à y répondre.
«Les membres du clergé ont souvent l’impression qu’ils n’ont rien à apprendre des autres».
Cela peut alors notamment conduire à un besoin de contrôle afin de rétablir une sorte d’ordre. Cela n’arrive pas parce que ces personnes sont mauvaises ou mal intentionnées, mais parce qu’elles ont été promues au-delà de leurs capacités.
Y a-t-il une différence à ce niveau entre le clergé et les laïcs?
Il est frappant de constater que les ecclésiastiques estiment souvent qu’ils n’ont rien à apprendre des autres. Certains considèrent même une formation continue comme une attaque personnelle. Cette résistance à se laisser enseigner par des personnes extérieures, qui ne sont pas des clercs, est dans certains cas un sous-produit de leur formation.
Comment souhaitez-vous changer cela?
Dans notre programme de leadership, il n’y a pas de formation individuelle. Nous avons des groupes mixtes d’environ 25 à 30 laïcs, religieux et clercs, venant du monde entier. Cette diversité enrichit incroyablement les participants dans leur vision du monde et donc dans leur manière d’occuper leurs postes de direction.
L’expérience des ecclésiastiques est extrêmement positive, je dirais à 90%. Ils vivent souvent une sorte de transformation ou de conversion, en se rendant compte de tout ce qu’ils peuvent apprendre de la part, par exemple de religieuses, qui peuvent être missionnaires, ou de la part de laïcs, hautement qualifiés, souvent bien plus qu’eux-mêmes.
Comment cela se manifeste-t-il concrètement?
Beaucoup de nos participants découvrent que le courage et la formation sont importants pour être un bon leader. Que cela exige en même temps une grande disposition à la vulnérabilité. Ce qui veut dire: admettre que l’on n’a pas toutes les réponses et demander aux autres. Admettre ses faiblesses et ses erreurs. Être capable de demander pardon et d’apprendre de l’expérience. Prendre des risques, faire quelque chose de nouveau et laisser mourir certaines choses pour en faire naître d’autres.
«Nous associons la croissance spirituelle avec le développement des propres compétences de la personne en matière de leadership et de gestion».
Le besoin est manifestement grand, puisque le programme ne cesse de se développer. Vous proposez maintenant des cours en trois langues et vous vous orientez vers l’international.
Nous avons remarqué que les responsables ont besoin de ce genre de formation, qu’ils veulent quelque chose qui ne soit pas de l’ordre des études d’administration ecclésiastique. Ils attendent une formation enracinée dans notre tradition catholique. Nous associons ainsi la croissance spirituelle de la personne avec le développement de ses propres compétences en matière de leadership et de gestion.
Comment se déroule la formation?
Notre cursus se compose de trois phases. Tout d’abord, il s’agit de réfléchir sur soi-même, d’identifier ses propres forces et faiblesses. Des exercices permettent d’acquérir des outils et des points de vue issus de diverses disciplines de direction et de gestion.
Dans un deuxième temps, nous passons de la personnalité individuelle aux relations interpersonnelles: création d’équipes, communication efficace, également dans des situations conflictuelles. Pour cela, les participants élaborent des solutions inspirées de l’Évangile, qui parlent de réconciliation, de pardon, d’harmonie et de diversité. La troisième phase concerne le niveau organisationnel. Comment diagnostiquer les problèmes systémiques? Comment créer des solutions internes qui mènent ensuite au changement? Comment mettre en œuvre une stratégie efficace? Nous mettons les participants en contact avec des coachs et des conseillers spirituels. Nous avons également des conseillers dans plusieurs domaines à la disposition des organisations.
De hauts responsables du Vatican participent-ils au programme?
Nous avons des hauts fonctionnaires du Vatican ayant des postes de gestion et de direction, ainsi que des responsables d’ordres religieux et des laïcs travaillant dans des organisations catholiques. Le Père Juan Antonio Guerrero Alves, par exemple, a participé à notre programme avant d’être nommé chef du Secrétariat économique du Vatican (Le pape François a accepté sa démission le 30 novembre 2022, pour des raisons de santé, ndlr).
«Lorsque le pape François commet des erreurs, il s’excuse et s’efforce de travailler sur ce qui s’est passé»
En principe, les participants du Vatican sont plutôt des cadres moyens ou supérieurs. Ils ont plus de carrière devant eux que les cardinaux dirigeants, par exemple, qui occupent généralement leur poste pour une durée limitée.
Que pensez-vous des qualités de dirigeant du pape François?
(Sourire) C’est très difficile d’en parler en tant que collègue jésuite. Mais François est, à mon avis, un leader exceptionnel. Il est lui-même passé par plusieurs étapes de commandement, au cours de sa vie, en admettant qu’il avait été autrefois très autoritaire.
Lorsqu’il est arrivé à Rome, son mandat était clair: il devait réformer la Curie. François le fait avec cette confiance en Dieu qui le caractérise et il ne craint pas la critique. Il ne veut en fait pas polariser – bien qu’il soit perçu comme une figure polarisante – mais servir l’Évangile, la mission de l’Église. Je pense qu’il est capable d’appréhender la complexité du monde, ainsi que les difficultés réelles des catholiques.
Il fait donc tout correctement?
Est-il parfait? Non, je ne le pense pas. Mais sans doute qu’il ne le pense pas non plus lui-même. Parfois, sa manière d’attaquer certains aspects de l’Eglise, comme le cléricalisme, me semble un peu dure. Je me demande s’il ne pousse pas ainsi les gens dans leurs retranchements et ne les dresse pas davantage contre lui. Je me demande s’il n’aurait pas intérêt à adopter une autre approche.
Mais je pense qu’il sait ce qu’il fait. Fondamentalement, il s’est toujours montré intègre. Lorsqu’il commet des erreurs, il s’excuse et s’efforce de travailler sur ce qui s’est passé. (cath.ch/kath/cic/sb/rz)
Rédaction
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