Luc Balbont pour cath.ch
En 2017, Mgr Joseph Tobji, évêque maronite de la paroisse Saint Elie, décide de redonner vie au bâtiment. Ville phare du christianisme oriental dans le passé, Alep a aujourd’hui perdu une grande partie de ses fidèles. «Je célèbre de moins en moins de baptêmes, deux seulement l’année dernière», déplore l’évêque.
Après quatre années de violents combats entre le régime et les groupes rebelles, le prieuré maronite construit près de la ligne de démarcation, qui séparait le pouvoir en place et les groupes rebelles n’a plus de toit. Seuls quelques murs ont échappé aux bombes et aux obus (voire l’encadré). Alors, plutôt que de le laisser tomber en ruines, une dizaine de paroissiens se mobilisent à l’appel de leur évêque, et transforme l’ex-cloître en centre de loisirs pour les jeunes. «Au nom de l’humanité», précise Mgr Tobji, qui ne pouvait pas se résoudre à abandonner ce lieu de rencontres et de vie.
Quelle résurrection de voir la joie des enfants, d’entendre leurs cris, de mesurer leur envie de vivre. Une libération nécessaire pour qu’ils oublient, comme leurs parents, les monstruosités de quatre années de guerre, l’angoisse quotidienne, les deuils successifs, les problèmes de ravitaillement, le manque de soins.
A Alep, beaucoup d’enfants ont perdu un père tué, ou émigré dans un pays arabe voisin, entre autres au Liban, pour travailler et gagner un peu d’argent pour aider la famille restée à Alep; mais aussi par peur d’être recruté par l’armée régulière ou par un groupe rebelle, et échapper au conflit. Des familles entières sans chef de famille: un lourd handicap pour ces hommes, dont les épouses souvent sans profession, ni formation restent traditionnellement à la maison pour s’occuper des enfants. Les plus pauvres, les plus modestes, ceux qui n’avaient pas les moyens de s’exiler, sont restés en Syrie. «A Alep, 90% de la population vit sous le seuil de pauvreté. Pour les résidents qui peuvent trouver un travail, ils sont rares, le salaire mensuel, n’excède pas 20 euros. On ne pouvait pas abandonner ces enfants, ils sont une chance pour la Syrie de demain. Et la présence chrétienne peut les aider à repartir», ajoute Mgr Joseph Tobji.
Pour l’évêque maronite, accueillir des enfants musulmans dans ce prieuré chrétien est une forme d’évangélisation, à l’opposé des conversions, souvent imposées, des siècles passés. «Alep n’est pas une nouvelle terre de mission, comme le fut l’Afrique naguère pour les missionnaires, corrige l’évêque: disons plutôt, que c’est notre manière d’enseigner à des jeunes musulmans des valeurs humaines comme la tolérance, l’amour de la vie, le respect de l’homme, la richesse de la femme, qui sont aussi des valeurs chrétiennes sans leur donner des cours de catéchèse.» Depuis l’ouverture du centre, les musulmans sont étonnés d’être reçu avec autant de chaleur par des chrétiens. Et l’initiative casse en tout cas bien des préjugés et des peurs.
Si le prieuré ne désemplit pas, ce qui étonne davantage les fondateurs, c’est de mesurer l’intérêt des parents, notamment des mères de famille, qui accompagnent leurs enfants dans les sorties communes. Signe révélateur: le nombre de jeunes inscrits sur la liste d’attente s’allonge chaque semaine davantage. Les places sont limitées et le centre ne peut pas satisfaire toutes les demandes.
Dans cet Alep, qui fut sans doute avant la guerre civile, la plus belle ville du Syrie, les conditions de vie actuelles sont encore plus dures que durant les années de conflits. La ville n’est plus approvisionnée à cause des sanctions occidentales. «Chaque matin, confie cette enseignante d’une école de la ville, je vois des gens fouiller dans les poubelles pour trouver de la nourriture. L’hiver qui vient, sans chauffage ni électricité sera une étape bien difficile affronter.» Une situation dramatique pour ces gamins, qui continuent de vivre dans la précarité. Un grand nombre d’entre eux ont vu des parents, des amis, des proches tomber sous leurs yeux. Aujourd’hui, la paix revenue, les familles survivent avec les moyens du bord. Alors pour ces enfants, ce centre est une bénédiction, un espace d’espoir, qui leur permet de croire à nouveau en un avenir possible.
Coordinateur du projet, Mgr Tobji explique que la dizaine de bénévoles qui travaillent au centre n’a pas voulu recouvrir le prieuré d’un nouveau toit, pour le transformer en aire de jeu ouvert à la lumière, tourné vers l’extérieur, où les enfants donnent libre cours à leurs jeux, en se libérant des angoisses quotidiennes. Tout autour, de la cour, les maçons ont consolidé les murs, et créé de nouveaux espaces. Des constructions en préfabriqué ont été installées pour servir aujourd’hui de salles de classe.
Si les activités, regroupées par classe d’âge sont entièrement gratuites, les professeurs reçoivent une indemnité mensuelle de 17 euros. Les jeunes viennent au centre pour se remettre à niveau, la guerre ayant provoqué une crise éducative, qui a fait régresser le pays. Les plus petits ont six ans, et les plus grands quatorze. Ils peuvent également assister à des projections de films, à des conférences, ou à des concerts de musique. Une salle de théâtre d’une cinquantaine de personnes a également été ouverte. «Si le soutien scolaire reste l’objectif premier du centre, la partie extrascolaire est un complément indispensable. Le soutien psychologique, la musique, le théâtre, l’enseignement des valeurs humaines sont des compléments indispensables. Avec la guerre, le niveau des enfants s’est détérioré, constate le Père Tobji. C’est avec ces enfants que la Syrie se reconstruira, ajoute-t-il.»
Pour l’année prochaine, l’avenir n’est pas encore assuré. Les responsables du Centre sont à la recherche de fonds, pour leur permettre de continuer à faire vivre le Centre. L’avenir est incertain, et comme chaque année depuis 2017, date de son ouverture, il faut faire preuve d’optimisme, et croire au ciel pour la poursuite du Centre. Aucuns travaux d’agrandissement ou de nouveaux projets sont d’ailleurs prévus. Le but est de continuer modestement à donner du bonheur à ces gamins. Si la pérennité du Centre reste fragile, l’équipe y croit dur comme fer. (cath.ch/lbo)
Alep: plus de dix ans de guerre civile
Lorsque la guerre civile éclate en 2011 en Syrie, beaucoup croient à un conflit mineur, circonscrit à la ville de Derra, au sud, Ils se trompent. Rapidement, la guerre gagne l’ensemble des régions.
En 2012, Alep, au nord, est coupée en deux, entre les groupes rebelles à l’est, et l’armée gouvernementale à l’ouest. Les habitants subissent la violence des combats. Fin 2014, la cathédrale Saint-Élie, située sur la ligne de démarcation n’a plus de toit. Il faut attendre 2016, pour que la ville soit reprise par le pouvoir.
Si les armes se taisent, la ville n’est que ruines, et les conditions de vie, pires que pendant les années de conflit. Aujourd’hui, avec les sanctions imposées par l’Europe occidentale et les États-Unis, les convois sont bloqués, privant la ville de l’aide alimentaire nécessaire. Des interdictions qui ne pénalisent pourtant que la population, pas les responsables.
Les salaires mensuels ne dépassent pas les 20 euros. Les médicaments sont rares et hors de prix. Beaucoup de parents ne peuvent plus envoyer leurs enfants à l’école. Le plus dur attend les Alépins avec le manque de fioul cet hiver.
Pourtant, le plus difficile reste la réconciliation humaine dans les années avenirs. Car si on reconstruit facilement les pierres à Alep – les travaux ont déjà commencé -, les âmes stigmatisées par l’effroi, la haine et les souffrances sont plus longues à cicatriser. LBA
Rédaction
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