1- Une influence problématique sur le témoin clé
Lors de l’audience du 30 novembre, le promoteur de justice Alessandro Diddi avait surpris son auditoire en annonçant l’ouverture d’une nouvelle enquête sur la base du contenu d’une conversation via messagerie électronique entre Francesca Immacolata Chaouqui et Genoveffa Ciferri Putignani, qui lui avait été transmise quelques jours auparavant. Cette conversation, dont le contenu a été révélé par le journal italien Domani le lendemain matin, a en fait été remise au promoteur de justice par ‘Genevieve’ Ciferri elle-même.
Cette dame âgée fortunée, dont on avait appris lors de la 39e audience qu’elle avait aidé son protégé Mgr Alberto Perlasca à préparer un mémoire de défense tout en étant conseillée par Francesca Chaouqui, aurait déclaré à Alessandro Diddi avoir été manipulée par cette dernière. Selon Domani, Genoveffa Ciferri affirme que la ‘papesse’, comme la surnomment les journaux italiens depuis l’affaire Vatileaks, l’avait convaincue en lui déclarant que c’était Alessandro Diddi lui-même qui l’informait et la conseillait.
Une affirmation rejetée avec force par le promoteur de justice lors de l’audience du jour, et qui aurait pu être lourde de conséquence pour la suite du procès si les avocats de la défense ne lui avaient pas apporté leur soutien. Ces derniers, lui exprimant leur solidarité, ont considéré que ces révélations mettaient en doute le témoignage de Mgr Perlasca, et certains ont demandé un ajournement du procès dans l’attente de l’aboutissement de l’enquête sur ce nouveau volet. Giuseppe Pignatone a refusé.
Le juge du tribunal du Vatican a en revanche accepté de renvoyer l’interrogatoire de Genoveffa Ciferri, initialement prévu le 2 décembre, au mois de janvier 2023 afin de l’interroger lors de la même audience que Francesca Chaouqui pour confronter le plus sûrement possible leurs deux témoignages.
Lors de l’audience, Mgr Perlasca a été entendu sur les révélations et a insisté sur le fait qu’il ne savait pas que les suggestions de Genoveffa Ciferri pour la rédaction de son mémorial de défense avaient été inspirées par Francesca Chaouqui. Il l’aurait appris plus tard.
L’ancien chef du bureau administratif de la secrétairerie d’État a aussi reconnu qu’il était allé dîner avec le cardinal Becciu au restaurant Lo Scarpone au début du mois de septembre 2020 avec pour «tâche» de «faire parler le cardinal» à la demande de Genoveffa Ciferri. Il a ainsi contredit son précédent témoignage dans lequel il affirmait l’avoir fait de son propre chef.
Il a en revanche à nouveau nié avoir enregistré à son insu son supérieur, comme l’aurait conseillé Francesca Chaouqui, mais explique avoir consigné par audio le résumé de leur conversation une fois rentré chez lui.
2- Première pour la justice vaticane: un cardinal témoigne au procès d’un autre cardinal
L’évêque de Côme, le cardinal Oscar Cantoni, a été entendu concernant l’accusation de subornation qui vise le cardinal Angelo Becciu à l’encontre de Mgr Alberto Perlasca. L’accusation considère que le cardinal sarde a tenté de faire pression sur le second, qui l’avait mis en cause dans l’actuel procès, en faisant appel à son évêque et donc son supérieur, en l’occurrence le cardinal Cantoni.
Ce dernier a confié avoir été invité au domicile du cardinal Becciu au Vatican le 14 octobre 2020, profitant de sa venue à Rome pour d’autres affaires. L’ancien substitut lui avait dit vouloir lui parler des problèmes qu’il rencontrait avec Mgr Perlasca.
Selon le cardinal Cantoni, le cardinal Becciu s’est confié à lui non en tant que supérieur de Mgr Perlasca mais plutôt parce qu’il avait la confiance de ce dernier, ayant été son père spirituel pendant sa période de formation.
La rencontre, a rapporté l’évêque de Côme, a été «très cordiale et fraternelle», le cardinal Becciu exprimant son mécontentement face aux «mensonges» qu’il estimait racontés par Mgr Perlasca à son égard, alors diffusés dans les médias. Le Sarde lui avait cependant confié être prêt à pardonner son ancien subordonné s’il revenait sur ses déclarations. Dans le cas contraire, il serait contraint de porter plainte.
Le cardinal Cantoni a déclaré avoir ensuite rencontré Mgr Perlasca en personne à Rome en février 2021 pour lui rapporter ce que le cardinal Becciu lui avait dit. Il a affirmé que lors de la rencontre avec Mgr Perlasca, il n’y a eu «aucune imposition du supérieur vers l’inférieur», mais qu’il s’agissait d’une «rencontre très fraternelle et confidentielle», tout comme celle avec le haut prélat sarde.
L’évêque de Côme a également déclaré qu’il avait rencontré le père de Mgr Perlasca, un membre de son diocèse, considérant qu’il avait «le droit et le devoir de paternité envers une personne et une famille dans une situation objectivement très souffrante, quelle qu’elle soit et quelle que soit sa fin». Les deux cardinaux se sont salués cordialement à la fin de l’audience. La présence de deux cardinaux dans un même procès civil était une première dans l’histoire du Vatican.
3- Comment l’IOR a tiré la sonnette d’alarme sur l’immeuble de Londres
Le tribunal a entendu le témoignage de Gian Franco Mammì, directeur de l’Institut pour les œuvres de religion (IOR), la banque privée du Vatican. C’est lui qui avait alerté les autorités vaticanes en 2019 à propos d’irrégularités observées autour l’immeuble de Londres.
La secrétairerie d’État avait à l’époque demandé à l’IOR un prêt de 180 millions d’euros afin de rembourser l’hypothèque de l’immeuble de Londres contractée auprès du fonds Cheyne Capital. D’abord favorable, l’IOR avait finalement refusé le prêt.
Gian Franco Mammì a expliqué qu’en février 2019, il avait rencontré Mgr Edgar Pena Parra, successeur cardinal Becciu comme substitut. Il lui avait expliqué le besoin urgent de ce financement. Le directeur de l’IOR avait expliqué que l’institut était attentif et disponible pour évaluer le problème, mais qu’il s’agissait d’une question très complexe. L’IOR n’était en effet pas autorisé à faire ce type de financement, a-t-il expliqué pendant l’audience.
Le consultant financier de la secrétairerie d’État, Luca Dal Fabbro, qui sera entendu le 2 décembre à l’audience, avait plus tard fait part au directeur de l’IOR de l’urgence de répondre à la demande de financement, évoquant un délai d’une semaine et le risque de pertes substantielles et d’atteinte à la réputation de la secrétairerie d’État.
Au fil des mois, d’autres réunions avaient eu lieu avec le substitut ainsi que les responsables de l’Autorité de surveillance et d’information financière (ASIF), l’autorité anti-blanchiment d’argent du Saint-Siège. Étaient présents son président, le Fribourgeois René Brülhart, et son directeur Tommaso di Ruzza, tous les deux aujourd’hui assis sur le banc des accusés dans ce procès.
Gianfranco Mammì a dit avoir ressenti que les deux hommes privilégiaient les intérêts de la secrétairerie d’État sur ceux de l’IOR, qu’ils sont pourtant statutairement chargés de protéger, et même perçu une «pression». Il a alors confié l’affaire aux bureaux techniques compétents qui lui ont fait savoir leur perplexité face aux risques importants, aux problèmes apparents et aux potentielles infractions que comportait ce financement. Il aurait notamment remarqué que le nom de Gianluigi Torzi, qui devait mener l’opération de reprise de contrôle de l’immeuble pour le compte du Saint-Siège, figurait sur des rapports anti-blanchiment d’argent. Ce sont ces problèmes qui l’ont conduit à signaler l’affaire aux auditeurs du Vatican.
4- Autre témoin et suite des audiences
Lors de l’audience, a aussi été entendu Stefano Preda, un homme d’affaires lié à la partie du procès concernant l’immeuble de Londres mais dont le témoignage n’a pas semblé décisif.
L’audience du 2 décembre devrait permettre d’entendre un seul témoin, le conseiller financier de la Secrétairerie d’État Luca del Fabbro, l’autre témoin, Genoveffa Ciferri devant désormais témoigner en janvier, le même jour que Francesca Chaouqui. La dernière audience du mois de décembre, le 16, n’a pour l’heure pas de témoin programmé. (cath.ch/imedia/cd/rz)
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