Jacques-Benoît Rauscher, pour cath.ch
Le 11 octobre dernier a été célébré le soixantième anniversaire de l’ouverture de Vatican II. Sans doute, cet anniversaire a-t-il été commémoré avec une joie teintée de nostalgie dans les milieux les plus attachés au souffle du Concile et avec force lamentations dans les cercles qui ont fait de leur opposition à Vatican II leur ciment identitaire. Pourtant, il me semble que pour la plupart des catholiques à travers le monde, cette date est passée sans doute quasi-inaperçue. Certes, pareille célébration ne passionne –par nature –qu’un groupe de pratiquants très avertis. Mais si l’on admet l’hypothèse de ce vraisemblable désintérêt, on pourrait l’expliquer de plusieurs autres manières potentiellement riches d’enseignement.
La première tient au fait que l’ouverture du Concile peut être regardée par beaucoup comme un évènement quasi-préhistorique. On oublie trop souvent que la moitié des catholiques vivant de nos jours a moins de trente ans. L’immense majorité de la population catholique actuelle n’était pas née au moment de l’ouverture du Concile. Plus encore, pratiquement aucun catholique aujourd’hui n’a connu, comme adulte, l’Église d’avant Vatican II et le monde auquel il a eu le souci particulier de s’adresser. Ce dernier constat ne vaut d’ailleurs pas seulement pour les catholiques pris d’un point de vue international, il est aussi applicable à la situation de nos pays occidentaux. Attention donc de ne pas faire de la commémoration de Vatican II une festivité qui vise à glorifier la bravoure d’anciens combattants certes fort vaillants mais que l’on peut regarder de très loin tant leur lointain engagement paraît exotique.
Ces éléments socio-démographiques mis à part, on peut supposer que le probable désintérêt pour l’anniversaire de l’ouverture de Vatican II tient au fait que ce dernier a été assimilé par les catholiques et n’apparaît plus comme porteur de nouveautés. On ne dispose évidemment pas d’indicateurs pour mesurer le degré d’intégration d’un Concile par le Peuple de Dieu. Mais si l’on n’en reste au cas de la Suisse, on peut constater que les grandes orientations de Vatican II, détaillées dans les constitutions du Concile, ont porté un fruit qui demeure. De fait, la Bible fait pleinement partie de la vie des pratiquants et la Parole de Dieu a toute sa place dans les célébrations catholiques.
«Le Concile a beaucoup parlé des évêques et des laïcs, mais les prêtres ont été assez oubliés»
Il est aussi fréquent de croiser des diacres permanents et des laïcs en mission ecclésiale au service du Peuple de Dieu. La liturgie, enfin, fait l’objet d’une «participation active» de la part des fidèles. Sans manifester trop d’irénisme, on pourrait même lire les prises de position de ceux qui sont le plus attachés aux livres liturgiques d’avant le Concile comme la manifestation d’une certaine «participation active», dans le sens où ces derniers y expriment précisément leur engagement pour les questions liturgiques. Un catholique à qui on présenterait aujourd’hui les grands textes de Vatican II ne verrait donc rien de révolutionnaire dans ses expressions.
Enfin, un dernier élément pourrait expliquer pourquoi le soixantième anniversaire de Vatican II n’intéresse pas tant que cela. Il tient, je crois, aux silences de Vatican II sur des thématiques aujourd’hui brûlantes.
Ces silences sont, pour partie, liés à des champs peu développés il y a soixante ans par les pères conciliaires. Parmi ceux-ci, il me semble qu’on pourrait citer en premier lieu la difficulté à réfléchir sur la figure du prêtre. Le Concile a beaucoup parlé des évêques et des laïcs, mais les prêtres ont été assez oubliés dans ses déclarations. Les nombreuses questions qui se posent aujourd’hui sur la place du prêtre –y compris la manière dont beaucoup de jeunes prêtres investissent volontiers des éléments d’identité du prêtre tridentin –viennent, me semble-t-il, d’un travail encore à mener sur l’identité du «prêtre-Vatican II».
Mais ces silences sont aussi liés à des questions qui se manifestaient moins au moment du Concile et qui sont devenus, depuis, des thèmes incontournables. S’il ne fallait mentionner qu’un exemple, je citerais la question de la place grandissante des femmes dans tous les domaines de la vie sociale et politique. Cette transformation est une rupture civilisationnelle d’une ampleur colossale, comme le soulignait, avec raison, l’anthropologue Françoise Héritier. Or cette évolution n’est pas mentionnée par le Concile. Elle n’a d’ailleurs pas fait l’objet, depuis, de grands textes du Magistère; tout juste une lettre apostolique ou quelques paragraphes dans des textes concernant d’autres thématiques.
«Parler d’un désintérêt pour l’anniversaire de Vatican II ne consiste pas à adopter une attitude chagrine»
Dire cela ne consiste pas à plaider pour une ordination des femmes ou l’établissement d’un régime de parité dans les instances ecclésiales. Il s’agit juste, ici, de nommer un point étonnamment aveugle des textes ecclésiaux. Plus précisément, constater que des évolutions aussi massives ne figurent pas dans la réflexion du Concile ne constitue pas une critique de celui-ci qui ne pouvait anticiper totalement les conséquences d’un mouvement encore en train de naître. Mais il s’agit là d’une illustration de la difficulté à présenter aujourd’hui Vatican II comme une ouverture aux grandes mutations du monde contemporain alors que des mutations qui nous paraissent plus profondes encore sont peu prises en considération.
Parler d’un désintérêt pour l’anniversaire de Vatican II ne consiste pas à adopter une attitude chagrine et ingrate par rapport à cet évènement majeur. Il s’agit plutôt d’un appel à la vigilance pour éviter une auto-célébration (ou une auto-lamentation) convenue qui dispenserait de travailler aux enjeux du moment. Vatican II a répondu à beaucoup de questions d’il y a soixante ans (et d’avant). Aujourd’hui, de nombreuses thématiques sont en suspens et nombre de débats qui agitent les catholiques viennent de sujets que Vatican II n’a pas pu ou pas voulu traiter. Le «monde de ce temps» n’est plus celui de 1962. Je crois qu’il faut s’en souvenir si l’on veut être fidèle à l’écoute de ce que l’Esprit dit à l’Église, comme l’ont été jadis les pères du Concile. (cath.ch/jbr/rz)
Rédaction
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