Immeuble de Londres: Mgr Perlasca rejette toute responsabilité

«Si je me suis retrouvé dans cette affaire, c’est parce que tant de gens m’ont fait faire des choses que je n’aurais pas dû faire», a déclaré le témoin Mgr Alberto Perlasca. L’ancien chef du bureau administratif de la secrétairerie d’État a mis en avant la responsabilité de Mgr Angelo Becciu lors de son interrogatoire pendant les 37e et 38e audiences du procès de l’affaire dite ›de l’immeuble de Londres’, qui se sont tenues les 24 et 25 novembre 2022.  

Mgr Perlasca, considéré comme un des témoins clé du procès, a présenté son poste de chef du bureau administratif, se décrivant comme «l’unique interface» entre son bureau, en charge des questions économiques et financières de la secrétairerie d’État, et ses supérieurs. 

Le prêtre italien a insisté sur le fait que sa position ne comportait «aucun pouvoir de décision» mais se limitait à exprimer des avis et recommandations. Le décisionnaire, a-t-il insisté, était toujours son supérieur direct, le substitut Angelo Becciu.

Mgr Alberto Perlasca s’est positionné comme un simple exécutant, renvoyant la prise de décision vers Angelo Becciu | DR

Mgr Perlasca a aussi expliqué qu’au sein de son bureau, qu’il a dirigé de 2009 à 2019, le «seul» à avoir une «certaine expérience » dans le domaine financier était Fabrizio Tirabassi. «Je ne l’aimais pas beaucoup», a-t-il déclaré à propos du comptable, expliquant avoir essayé en vain de le faire remplacer.

Fabrizio Tirabassi, mis en cause pour corruption, extorsion, détournement de fonds, fraude et abus de pouvoir, était selon lui «trop lié» à son prédécesseur, Mgr Piovano. Mgr Perlasca a déclaré ne pas savoir que ce dernier avait donné une procuration pour la gestion d’un compte de la secrétairerie d’État à la banque UBS à Fabrizio Tirabassi, assurant qu’il n’aurait pas toléré ces «pots de vins».

Mgr Perlasca a en revanche épargné Enrico Crasso, banquier et consultant auquel le Saint-Siège a eu recours pendant de nombreuses années pour gérer ses investissements. Ce dernier est aujourd’hui accusé de détournement de fonds, de corruption, d’extorsion, de blanchiment d’argent et d’auto-blanchiment, de fraude, d’abus de pouvoir et de faux en écriture publique et privée. Mgr Perlasca l’a décrit comme une «personne de confiance qui a toujours bien travaillé pour le Saint-Siège».

L’investissement dans l’immeuble de Londres 

Mgr Perlasca a ensuite été interrogé sur les différents volets de l’affaire, à commencer par celui concernant l’achat par le Saint-Siège de l’immeuble du 60, Sloane Avenue à Londres en 2014. La proposition d’investir dans ce bâtiment, a-t-il expliqué au promoteur de justice, a été présentée par Raffaele Minicione cette même année. Le prêtre dit avoir «apprécié l’immeuble» et malgré le sentiment qu’un investissement aussi important – 150 millions d’euros – comportait des dangers, avoir finalement à l’époque jugée «digne» cette opération. Il a souligné le potentiel que représentait selon lui un projet de développement présenté par Raffaele Mincione qui visait à convertir ces anciens bureaux des grands magasins Harrod’s en appartements résidentiels.

L’argent investi, a-t-il assuré, ne venait pas du Denier de Saint-Pierre, la quête mondiale servant à financer la mission et la charité du pape, mais d’autres fonds de réserve «constitués au fil des ans grâce à l’IOR et à des dons». «Le Denier de Saint-Pierre ne permet pas de financer la Curie toute l’année», a-t-il insisté, expliquant que c’était le «poids de plus en plus lourd» du déficit du Saint-Siège qui les avait incités à investir les fonds de réserve de la secrétairerie d’État. 

L’immeuble du scandale est situé sur Sloane Avenue, à Londres | © Timitrius/Flickr/CC BY-SA 2.0

L’investissement dans l’immeuble de Londres s’est fait via le fonds Athena, détenu à 45% par le Saint-Siège et à 55% par son gestionnaire, Raffaele Mincione. La majorité du fonds avait été confiée au banquier anglo-italien parce que le Saint-Siège pensait qu’il aurait ainsi intérêt à voir le fonds fructifier. Mais Mincione a au contraire utilisé le fonds pour financer ses autres activités, a expliqué Mgr Perlasca, créant un «conflit d’intérêt ouvert».

Malgré les avertissements de la secrétairerie d’État, Raffaele Mincione n’aurait pas changé sa politique d’investissement et aurait poussé le Vatican à décider de rompre ses relations en 2018. Selon Mgr Perlasca, Fabrizio Tirabassi a alors proposé, pour reprendre le contrôle de l’immeuble, de faire appel à un courtier molisan, Gianluigi Torzi.

La prise de contrôle de Torzi

Pour négocier l’opération avec Raffaele Mincione, Fabrizio Tirabassi et Enrico Crasso se sont alors rendus à Londres du 20 au 23 novembre 2018 en compagnie de Gianluigi Torzi. Selon Mgr Perlasca, ce déplacement ne devait pas aboutir à la signature d’un contrat, mais devait permettre une réunion technique entre Mincione et Torzi. Il s’agissait d’évaluer les options pour offrir au Saint-Siège de sortir du fonds Athena, celles-ci devant être analysées à Rome avant que soit prise une décision.

Cependant, Mgr Perlasca, resté à Rome, affirme avoir été convaincu par Fabrizio Tirabassi de signer des accords négociés par les envoyés à Londres. Mgr Perlasca affirme qu’avant de signer, il a demandé à Tirabassi de prendre le temps d’évaluer l’offre, mais que ce dernier l’avait pressé, disant qu’ils avaient «une opportunité en or» pour reprendre le contrôle de la propriété. Le prélat affirme avoir alors fait confiance à Fabrizio Tirabassi et Enrico Crasso, considérant qu’ils défendaient les intérêts du Saint-Siège dans ces négociations. 

Mgr Perlasca affirme avoir «passé au moins un coup de fil» au substitut Mgr Edgar Peña Parra, qui avait succédé au cardinal Becciu quelques mois auparavant, pour lui demander l’autorisation nécessaire pour conclure l’opération. Cependant, lors de son audition, il a semblé ne pas se souvenir clairement des circonstances dans lesquelles cet appel a été effectué. 

La mise sur la touche de Mgr Perlasca

Le contrat signé par Mgr Perlasca pour reprendre le contrôle de l’immeuble de Londres à Raffaele Mincione donnait dans les faits le contrôle du bien à Gianluigi Torzi. Ce dernier s’était assuré de récupérer les seules 1’000 actions disposant d’un droit de vote, laissant les 30’000 sans droit de vote au Vatican. 

«C’est une escroquerie et celui qui fait une escroquerie est un escroc, il doit être dénoncé»

Mgr Perlasca au sujet de Gianluigi Torzi

Mgr Perlasca affirme avoir découvert le problème quelques jours plus tard, au début du mois de décembre 2018 grâce à un collaborateur de la secrétairerie d’État, Luca dal Fabbro. Il s’est dit «anéanti» par cette découverte et en colère contre Fabrizio Tirabassi. 

«C’est une escroquerie et celui qui fait une escroquerie est un escroc, il doit être dénoncé», affirme-t-il avoir alors déclaré à ses collègues demandant par la suite au substitut Mgr Peña Parra d’attenter une action en justice contre Gianluigi Torzi. Cependant, d’autres membres de la secrétairerie d’État n’étant pas d’accord avec lui et préférant la négociation, il a finalement été «écarté» de cette affaire. Il affirme dès lors ne plus s’en être occupé, au contraire de Fabrizio Tirabassi.

Lors des négociations qui ont suivi pour reprendre le contrôle des 1’000 actions, Gianluigi Torzi aurait, selon l’accusation, tenté d’extorquer 30 millions au Saint-Siège, obtenant après négociation 15 millions d’euros. Mgr Perlasca affirme qu’ayant appris que Torzi avait obtenu ce paiement, il a éprouvé «de la tristesse, de l’amertume et de la rage intérieure», ajoutant qu’il espérait désormais que le courtier dépenserait tout cet argent «à la pharmacie». 

Les versements à Cecilia Marogna

Mgr Perlasca a ensuite été interrogé sur les versements de près de 600’000 euros effectués à la demande du cardinal Becciu à Cecilia Marogna, seule femme présente sur le banc des accusés dans ce procès. Cette dernière affirme avoir été embauchée pour effectuer des services de «diplomatie informelle» afin de permettre la libération d’otages, notamment une religieuse enlevée par des djihadistes au Mali en 2017. 

Cecilia Marogna connaissait le cardinal Becciu depuis 2015 | capture I.Media

Mgr Perlasca explique que l’opération lui a été demandée par le cardinal Becciu, et présentée comme «top secret». Il dit n’avoir jamais connu l’identité de la destinataire des versements, mais uniquement son identifiant bancaire. Il savait aussi que l’argent devait servir à libérer une religieuse, et explique avoir déclaré au substitut qu’il était contre le principe d’une «rançon», mais a obéi aux ordres qui lui étaient donnés. 

À une autre occasion, Mgr Perlasca explique avoir reçu une demande d’aide signée par une certaine «Cecilia Zulema». Cette personne affirmait appartenir aux services secrets italiens (DIS) et avait déjà demandé un financement pour «une mission en Libye» à l’ancien conseil pontifical Cor Unum (chargé jusqu’en 2016 des missions de charité du pape dans le monde). Mgr Perlasca explique avoir fait le lien entre cette personne et Cecilia Marogna quand il a appris l’existence de cette dernière dans la presse. Après l’audience, Cecilia Marogna a fermement nié être cette «Cecilia Zulema», rapporte l’agence italienne ADNKronos

Le versement à la Caritas d’Ozieri

Mgr Perlasca a assuré qu’il avait effectué un virement de 100’000 euros à la demande du cardinal Becciu en employant le fonds du Denier de Saint-Pierre. Ce versement, a-t-il expliqué, n’était pas habituel, la secrétairerie d’État effectuant normalement des dons charitables uniquement à Pâques ou à Noël, et avec des sommes autour de 20’000 ou 30’000 euros. 

Le décisionnaire, a insisté Mgr Perlasca, était toujours son supérieur direct, le substitut Angelo Becciu | © Vatican Media

Il explique ne pas avoir eu conscience du fait que ce versement pouvait être du favoritisme étant donné le rôle qu’occupaient des membres de la famille Becciu dans le diocèse sarde. Il a alors évoqué un autre cas de favoritisme «dans les nonciatures», mais n’a pas développé, cette question ne faisant pas partie de l’actuelle procédure. Le cardinal Becciu a été à nonce en Angola entre 2001 et 2009 puis à Cuba entre 2009 et 2011. 

Pas de volonté suicidaire

Mgr Perlasca a évoqué avec beaucoup d’ironie le moment où il avait envoyé un message au cardinal Becciu dans lequel il affirmait vouloir se suicider. L’avocat du cardinal Becciu a notamment lu un message envoyé par Mgr Perlasca à son client dans lequel il affirmait: «Je ne plaisante pas». À l’époque, il habitait encore dans la Résidence Sainte-Marthe – où loge aussi le pape François – et commençait à être inquiété par l’ouverture d’une enquête sur l’immeuble de Londres. 

Mgr Perlasca reconnaît avoir envoyé le message mais a minimisé son importance, évoquant une «blague». Il affirme l’avoir envoyé sans intention de mettre fin à sa vie, mais comme «provocation» pour voir jusqu’où le cardinal l’«aurait soutenu».

Ce dernier, affirme-t-il, aurait fait venir un docteur et lui aurait conseillé d’aller consulter un de ses frères, Mario Becciu, qui est professeur de psychologie à Rome. (cath.ch/imedia/cd/ic/bh)

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