Ce message du pape s’inscrit dans une période d’évolution du discours pontifical sur la guerre en Ukraine, après plusieurs mois de relative neutralité. Le 23 novembre, lors de l’audience générale, François avait notamment rappelé que «ce samedi se tient l’anniversaire du terrible génocide de l’Holodomor, l’extermination par la faim en 1932-1933 provoquée artificiellement par Staline. Prions pour les victimes de ce génocide et prions pour les nombreux Ukrainiens, enfants, femmes, personnes âgées, qui souffrent du martyre de l’agression».
«Dans vos cieux, le grondement sinistre des explosions et le son inquiétant des sirènes résonnent sans cesse. Vos villes sont martelées par les bombes tandis que les pluies de missiles causent la mort, la destruction et la douleur, la faim, la soif et le froid», déplore le pape François alors que le contexte de début d’hiver laisse craindre de nombreuses victimes indirectes en raison de la destruction méthodique et systématique des infrastructures d’électricité et d’accès à l’eau potable par l’armée russe.
«Je voudrais joindre mes larmes aux vôtres et vous dire qu’il n’y a pas un jour où je ne suis pas près de vous et où je ne vous porte pas dans mon cœur et dans ma prière. Votre douleur est ma douleur», souligne le pontife, qui s’est exprimé publiquement une centaine de fois au sujet de cette guerre depuis le 24 février.
«Dans la croix de Jésus aujourd’hui, je vous vois, vous qui souffrez de la terreur déclenchée par cette agression», écrit François, sensibilisé notamment par les visites sur le terrain du cardinal polonais Konrad Krajewski, le préfet du dicastère pour la Charité, qui a effectué plusieurs déplacements en Ukraine, jusque dans les zones de combat.
«La croix qui a torturé le Seigneur revit dans les tortures trouvées sur les cadavres, dans les charniers découverts dans différentes villes, dans ces images et tant d’autres images sanglantes qui sont entrées dans nos âmes, qui nous font crier: ‘Pourquoi? Comment des hommes peuvent-ils traiter d’autres hommes de cette façon?’», se désole le pape.
Le pape exprime notamment sa révolte face au drame vécu par les «petits». «Combien d’enfants tués, blessés ou orphelins, arrachés à leur mère! Je pleure avec vous pour chaque petit qui, à cause de cette guerre, a perdu la vie, comme Kira à Odessa, comme Lisa à Vinnytsia, et comme des centaines d’autres enfants: en chacun d’eux, c’est toute l’humanité qui est vaincue», s’insurge l’évêque de Rome.
Alors que les forces d’occupation russes ont organisé des transferts de population, comme au temps soviétique, le pape exprime son angoisse «pour ceux, petits et grands, qui ont été déportés». Il souligne que «la douleur des mères ukrainiennes est incalculable».
«Je pense à vous, les jeunes, qui pour défendre courageusement votre patrie avez dû mettre vos mains aux armes au lieu des rêves que vous aviez cultivés pour l’avenir», écrit le pape, qui a été l’objet de critiques pour avoir voulu maintenir une position neutre et avoir tenté de garder des canaux ouverts avec la Russie, en vue d’une médiation qui semble aujourd’hui très improbable.
Il exprime aussi sa proximité pour les épouses de soldats, les personnes âgées, les femmes victimes de violence qui portent «de grands fardeaux» dans leur cœur, et plus globalement, pour « tous les blessés dans l’âme et dans le corps».
Quelques jours après avoir reçu le chef de l’Église gréco-catholique ukrainienne, Sa Béatitude Sviatoslav Schevchuk, le pape exprime sa compassion pour les religieux qui ont su transformer «de manière créative les lieux communautaires et les couvents en refuges», en offrant «l’hospitalité, le secours et la nourriture à ceux qui se trouvent dans des circonstances difficiles».
Il assure aussi prier pour les autorités politiques du pays: «C’est à elles qu’incombe le devoir de gouverner le pays en des temps tragiques et de prendre des décisions clairvoyantes pour la paix et pour le développement de l’économie pendant la destruction de tant d’infrastructures vitales, en ville comme à la campagne, insiste François, qui s’est entretenu au téléphone au moins deux fois avec le président ukrainien Volodymyr Zelensky depuis le début de l’offensive russe, et qui a notamment reçu l’une de ses proches conseillères.
Il rappelle aussi que c’est «90 ans après le terrible génocide de l’Holodomor» que le peuple ukrainien traverse «cette mer de malheur et de tristesse», sans se décourager. «Le monde a reconnu un peuple audacieux et fort, un peuple qui souffre et prie, pleure et lutte, résiste et espère: un peuple noble et martyr», souligne le pape François.
Le pape transmet aux Ukrainiens l’assurance de sa prière personnelle, mais aussi «l’affection de l’Église, la force de la prière, l’amour que tant de frères et de sœurs sous toutes les latitudes ressentent pour vous». Il tourne le regard vers Bethléem, à quelques semaines de Noël, en rappelant «l’épreuve que la Sainte Famille a dû affronter en cette nuit qui ne semblait que froide et sombre. Au contraire, la lumière est venue: non pas des hommes, mais de Dieu; non pas de la terre, mais du Ciel».
Le pontife se tourne enfin vers Marie: «À son Cœur Immaculé, en union avec les évêques du monde, je consacre l’Église et l’humanité, en particulier votre pays et la Russie. À son cœur maternel, je présente vos souffrances et vos larmes», écrit encore François. Il invite la population ukrainienne à ne pas se lasser de demander à Marie «le don tant attendu de la paix, dans la certitude que rien n’est impossible à Dieu».
Le parallèle entre ces deux tragédies traduit une attitude plus engagée de soutien du pape à l’Ukraine, après l’échec des tentatives de dialogue menées avec la Fédération de Russie et avec le patriarcat de Moscou.
L’emploi à deux reprises du terme de «génocide» par le pape et la mention de Staline, même sans nommer la Russie, se situe dans la ligne du plaidoyer international des autorités ukrainiennes depuis qu’elles sont sorties de l’orbite de Moscou, en 2006.
L’utilisation de ce mot constituait l’un des points de contentieux majeur entre l’Ukraine et la Russie avant même la guerre actuelle, en cours depuis 2014 dans le Donbass et élargie au reste du territoire ukrainien depuis le 24 février 2022. (cath.ch/imedia/cv/bh)
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