Les cardinaux Ouellet et Ladaria recadrent le Synode allemand

Dans un acte de transparence inhabituelle, le Vatican a publié in extenso les critiques de deux importants cardinaux de la Curie vis-à-vis du chemin synodal allemand. Le cardinal Luis Ladaria, préfet du dicastère pour la Doctrine de la foi, et le cardinal Marc Ouellet, préfet du dicastère pour les Evêques, ont notamment critiqué la proposition allemande de permettre l’accès des ministères ordonnés aux femmes.

Avec IMEDIA et KNA

«Chaque jour, nous recevons des témoignages spontanés se plaignant du scandale causé aux petits par cette proposition inattendue qui rompt avec la Tradition catholique», s’est inquiété le cardinal Ouellet devant les évêques allemands en visite ad limina au Vatican, le 18 novembre 2022. Lors d’une réunion à huis-clos, le préfet du dicastère pour les Évêques a soulevé le risque d’un «schisme latent» soulevé par certaines propositions du Chemin synodal allemand, notamment concernant l’accès des femmes aux ministères ordonnés.

Rare communication sur un conflit

Le texte de cette intervention a été publié par L’Osservatore Romano et par l’édition allemande de Vatican News le 24 novembre, avec celui du président de l’épiscopat allemand, Mgr Georg Bätzing, et du cardinal Luis Ladaria Ferrer. Cette publication par les médias du Saint-Siège constitue un exemple rare de communication sur un conflit explicite entre le Vatican et une Église locale.

«Je suis bien conscient que votre intention n’est pas de parvenir à une rupture avec la communion universelle de l’Église, ni de favoriser une vie chrétienne descendante, conforme au Zeitgeist [l’esprit du temps] plutôt qu’à l’Évangile», a déclaré le cardinal québécois dans un discours très critique. Il s’inquiète des effets de la pression médiatique sur les propositions du chemin synodal. Ce vaste processus initié en 2019, en réponse aux scandales d’abus sexuels qui ont frappé les diocèses d’Allemagne, a donné lieu au vote de plusieurs résolutions appelant à de profondes transformations dans l’organisation de l’Église, y compris sur le plan doctrinal.

Les femmes prêtres, contraires au droit canon

Le cardinal Ouellet constate avec regret que «l’agenda d’un groupe limité de théologiens il y a quelques décennies est soudainement devenu la proposition majoritaire de l’épiscopat allemand: abolition du célibat obligatoire, ordination des viri probati [hommes mariés et reconnus par leur communauté, ndlr], accès des femmes au ministère ordonné, réévaluation morale de l’homosexualité, limitation structurelle et fonctionnelle du pouvoir hiérarchique, prise en compte de la sexualité inspirée de la théorie du genre, propositions de changements majeurs au Catéchisme de l’Église catholique, etc.»

Le vote d’une proposition sur l’accès des femmes aux ministères ordonnés, en rupture flagrante avec le veto mis en 1994 par Jean Paul II face à cette revendication, dans sa Lettre apostolique Ordinatio Sacerdotalis, «révèle un problème de foi à l’égard du Magistère et un certain rationalisme intrusif qui ne se conforme pas aux décisions prises», s’agace le cardinal Ouellet.

L’influence de groupes de pression?

«Cet exemple symbolique, ajouté aux autres changements moraux et disciplinaires préconisés, mine la responsabilité des évêques dans leur ministère primaire et jette une ombre sur l’ensemble de l’effort de l’assemblée, qui semble être fortement influencée par des groupes de pression, et est donc jugée par beaucoup comme une initiative risquée, destinée à décevoir et à échouer parce qu’elle a ‘déraillé’», relève encore le préfet du dicastère pour les Evêques.

«Le motif fondamental de ce moratoire est le souci de l’unité de l’Église»

cardinal Marc Ouellet

Pour le Québécois, «il faut s’attendre à ce que la poursuite de la diffusion de cette proposition ne résolve pas les problèmes auxquels elle cherche à remédier: l’exode massif des fidèles de l’Église, l’exode des jeunes, les prétendument ’causes systémiques’ des abus, la crise de confiance des fidèles».

Détérioration de la vie chrétienne en Allemagne?

«Le fait que la lettre d’orientation du pape François de juin 2019 ait été reçue comme une référence spirituelle mais pas vraiment comme un guide pour la méthode synodale a eu des conséquences importantes», regrette le cardinal Ouellet. Il rappelle que, dans ce texte, le pape François, «en communion avec son prédécesseur Benoît XVI», avait constaté «la détérioration de la vie chrétienne dans le pays», appelant tous les catholiques d’Allemagne «à faire confiance au Christ comme clé du renouveau».

«La préservation du caractère de l’homme qui reçoit et transmet la vie reste l’une des grandes tâches prophétiques de l’Eglise»

cardinal Luis Ladaria

Le cardinal Ouellet souligne toutefois «l’attention, l’engagement, la créativité, la sincérité et l’audace» manifestés dans le chemin synodal allemand. Il assure vouloir «rendre un hommage sincère au gigantesque effort d’autocritique institutionnelle», reconnaissant des aspects positifs, comme «un sens marqué de la justice et de l’obligation morale de réparation envers les victimes d’abus, la promotion du sacerdoce baptismal, l’attitude de reconnaissance des charismes».

Moratoire rejeté

Il estime néanmoins qu’un «moratoire sur les propositions présentées est nécessaire, et qu’une révision substantielle devra être effectuée ultérieurement, à la lumière des résultats du Synode romain». Le cardinal Ouellet explique que «le motif fondamental de ce moratoire est le souci de l’unité de l’Église, qui repose sur l’unité des évêques en communion et en obéissance à Pierre».

Mgr Georg Bätzing s’est senti encouragé dans le chemin synodal allemand | © Bistum Limburg

Cette demande de moratoire a été explicitement écartée par le président de la Conférence épiscopale allemande, Mgr Georg Bätzing, lors d’une conférence de presse organisée le 19 novembre à Rome. L’évêque de Limbourg, tout en assurant vouloir demeurer en communion avec Rome, avait déclaré qu’un tel moratoire n’était «pas une option».

Dans son intervention, Mgr Ladaria, qui veille au nom du pape à la préservation de la doctrine de la foi de l’Eglise, a abordé la crise des abus, déclarant: «Il y en a énormément qui se sentent profondément trahis par les hommes et les femmes de l’Eglise catholique (…) et qui n’ont plus confiance en nous, les évêques. Et ce n’est pas sans raison».

«Affirmations non fondées»

Le cardinal espagnol salue les efforts des évêques allemands pour lutter contre les abus par l’information, les sanctions et la prévention, relève Ludwig Ring-Eifel, correspondant à Rome de l’agence allemande KNA. Le préfet de la CDF fait également des remarques critiques sur le chemin synodal, par laquelle l’Eglise en Allemagne tente de tirer des conséquences plus larges du scandale.

Le cardinal Luis Ladaria, préfet du dicastère pour la Doctrine de la foi, fait partie des critiques du chemin synodal allemand | | © Conferencia Episcopal Espanola

Il fait remarquer que les textes de la voie synodale contiennent «des déclarations générales sur les positions existantes au sein du peuple de Dieu, des références allusives à des connaissances scientifiques (…) qui sont encore en discussion, (…) et enfin des références à des théologiens non nommés». Le cardinal Ladaria propose que le comité rédige un «document final» qui contiendrait moins de telles affirmations non fondées.

Il critique vivement l’image de l’Eglise véhiculée par les textes. Ils réduiraient l’Eglise «à une simple institution de pouvoir ou la considéreraient d’emblée comme une organisation structurellement génératrice d’abus, qui doit être placée le plus rapidement possible sous le contrôle de superviseurs». Selon lui, nombre de ces propositions risquent de faire fi de l’enseignement du Concile Vatican II sur la mission des évêques.

Critique de la doctrine sexuelle

Luis Ladaria Ferrer s’oppose avec une virulence similaire à l’enseignement sur la sexualité dans les textes synodaux. Ils donnent l’impression, selon lui, que tout doit être changé dans ce domaine de l’enseignement de l’Eglise. La préservation du «caractère de l’homme qui reçoit et transmet la vie» reste cependant l’une des grandes tâches prophétiques de l’Eglise à une époque de «marchandisation progressive de l’existence humaine».

«Le cardinal suggère que le Synode allemand rédige une synthèse»

Sur la question des femmes, le cardinal fait remarquer que les textes de la voie synodale réduisent tout à l’affirmation que la dignité des femmes n’est pas respectée parce qu’elles n’ont pas accès à l’ordination sacerdotale.

Maintenir la participation à l’Eglise universelle

Cela ne rend pas justice, pour le préfet du dicastère, à l’enseignement de l’Eglise, soulignant en outre que le texte contient beaucoup de polémiques. Le cardinal suggère que le Synode allemand rédige une «synthèse» à ce sujet, qui montre clairement que les Eglises locales allemandes font partie de l’Eglise universelle.

Pour l’Espagnol, la voie synodale oublie également en grande partie les enseignements du Concile sur le magistère ecclésial des évêques. Or, «il n’est pas possible d’assimiler cette tâche délicate et décisive dans la vie de l’Eglise catholique à d’autres ministères dans l’Eglise, comme par exemple ceux des théologiens et des experts dans d’autres sciences». (cath.ch/imedia/cv/lre/kna/rz)

Rédaction

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