Jacques Berset, pour ACN
De son nom de naissance Loutfi Laham, celui qui fut de 2000 à 2017, en tant que chef de l’Eglise grecque-catholique melkite, patriarche d’Antioche et de tout l’Orient, d’Alexandrie et de Jérusalem, est né à Daraya, connu comme lieu de la conversion de saint Paul, à 9 km au sud de Damas. Grégoire IIl, dont le nom signifie le «veilleur», a témoigné de la difficile réalité des chrétiens du Moyen-Orient à l’occasion de la «RedWeek», la «Semaine Rouge», une campagne organisée par ACN, qui vise à sensibiliser le public sur la liberté religieuse et la persécution des chrétiens dans diverses régions du monde.
Avant la guerre, qui a débuté en 2011, la Syrie comptait au moins un million et demi de chrétiens. «Plus de la moitié sont partis», confie-t-il à cath.ch. Sa propre famille est désormais dispersée: à Landshut, en Basse-Bavière, à Ratisbonne, mais également en Suède, en Hollande, aux Etats-Unis, au Canada et jusqu’en Australie. «Il n’y a quasiment plus de chrétiens dans la ville de Daraya. Ils étaient auparavant plusieurs milliers». Cette ville de 200’000 habitants, dévastée par les bombardements et les combats, était aux mains des djihadistes avant son évacuation. Les chrétiens de Daraya qui ne sont pas à l’étranger vivent autour de Damas ou dans la capitale.
Le patriarche émérite se réjouit que, depuis quelques semaines, on assiste au retour de Syriens réfugiés au Liban. «Chaque jour, des bus rapatrient, sur une base volontaire, des réfugiés qui sont hébergés dans des écoles ou des maisons vides. Beaucoup veulent restaurer leur maison. Leurs parents émigrés en Europe, en Amérique, leur envoient de l’argent; ils aident aussi ceux qui sont restés au pays».
Grégoire III souligne que de nombreux jeunes ont quitté le pays pour ne pas faire leur service militaire, qui peut durer des années, ou être affectés à la réserve. Les réservistes peuvent aussi être appelés à l’armée. Les opérations militaires ne sont pas terminées et il y a toujours des attentats dans la région d’Idlib, au sud-ouest d’Alep, et à Deraa, non loin de la frontière jordanienne. Il y a encore des cellules dormantes qui commettent des attentats, sans parler des fréquents bombardements de l’aviation israélienne sur divers objectifs.
L’économie syrienne s’est effondrée et a reculé de plus de 70% entre 2010 et 2017, mais la situation s’est encore aggravée avec l’imposition, par l’administration Trump, de la loi «César» (Caesar Syria Civilian Protection Act), en juin 2020.
Les sanctions internationales visant la Syrie sont «une condamnation à mort du peuple», affirmait récemment sur Vatican News le vicaire apostolique latin d’Alep, Mgr Georges Abou Khazen, qui rappelle que nombre de Syriens peinent à se nourrir quotidiennement. Le «Caesar Act» ne touche pas l’establishment, une petite couche des privilégiés s’en sort, des commerçants spéculent sur les marchandises et s’enrichissent de façon éhontée. De son côté, Mgr Georges Masri, archevêque grec-melkite d’Alep, relève que les Syriens sont devenus trop pauvres pour payer une intervention chirurgicale ou même des médicaments.
Malgré une diminution des opérations militaires en Syrie, le pays continue de connaître une crise économique majeure et une inflation galopante en raison des sanctions, de l’isolement international, de la destruction des infrastructures, du manque de fonds publics, de l’effondrement financier du Liban et de la corruption généralisée. Cette crise a également des répercussions sur le système sanitaire.
Ce ne sont pas seulement les épidémies – la pandémie de Covid-19, puis les épidémies de choléra dans 13 de ses 14 provinces – qui affectent la Syrie. C’est l’état de santé général de la population qui est très mauvais. L’accès aux soins médicaux est désormais l’une des principales préoccupations des familles chrétiennes restées au pays.
De plus en plus de personnes meurent par manque de médicaments, en raison du coût élevé et inabordable des interventions chirurgicales, de la destruction des hôpitaux et des cliniques, de l’émigration des médecins syriens qualifiés et de la fermeture de certaines usines de médicaments auparavant gérées par l’Etat.
Malgré cette situation dramatique, le patriarche émérite Grégoire III plaide pour que les chrétiens restent au pays, car «beaucoup d’entre eux végètent à l’étranger». Leur retour est crucial pour l’avenir de la présence chrétienne au Moyen-Orient. Et de regretter que la guerre en Ukraine ait fait oublier le sort de la minorité chrétienne dans cette région du monde, «qui se sent abandonnée».
A ses yeux, l’avenir du dialogue islamo-chrétien est en jeu, si les chrétiens disparaissent de la région et si les pays du Moyen-Orient sont complètement musulmans, les diverses communautés islamiques n’auront plus de médiateurs. «La présence chrétienne dans ces pays qui ont vu la naissance du christianisme, même réduite, même symbolique, est vraiment nécessaire. Notre mission est de garder vivant cet héritage chrétien, en se rappelant que la Syrie, après Jérusalem, est le premier berceau du christianisme…»
«Si, par malheur, la région se vidait totalement de ses chrétiens, il y aurait un très fort risque de radicalisation chez les musulmans». La disparition des chrétiens des pays musulmans serait aussi, pour Grégoire III, la réalisation du but final des djihadistes de Daech, qui espèrent un «clash des civilisations» entre une partie du monde complètement islamique et une autre de culture historiquement chrétienne. (cath.ch/be)
Signe d’espoir dans une Syrie à terre
Signe d’espoir dans une Syrie à terre: plus d’une centaine de jeunes chrétiens se sont réunis à Damas à la fin du mois d’octobre 2022 pour participer à un événement historique: la toute première rencontre de jeunes chrétiens organisée par «The Christian Hope Centre». Basé dans le quartier chrétien historique de Bab Touma, ce «Centre de l’Espérance Chrétienne» est une organisation syrienne de l’Église catholique soutenue par «Aide à l’Eglise en Détresse ACN» et d’autres œuvres chrétiennes comme Caritas Pologne et l’Œuvre d’Orient. Elle développe notamment des programmes de microprojets et a pour but de fournir aux familles des fonds pour lancer de nouvelles entreprises commerciales ou redémarrer des projets interrompus pendant plus d’une décennie de guerre civile en Syrie, dans un pays où près de 90% de la population vit aujourd’hui en dessous du seuil de pauvreté.
Les participants venaient de tous les gouvernorats de Syrie et représentaient la grande variété de rites chrétiens présents dans ce pays qui comptait avant la guerre l’une des communautés chrétiennes les plus dynamiques et les plus stables du Moyen-Orient. C’était avant le déclenchement de la guerre civile et la sévère crise économique qui s’en est suivie. Plusieurs membres du clergé ont participé à l’événement, notamment le nonce apostolique en Syrie, le cardinal Mario Zenari, et le primat de l’Eglise syriaque orthodoxe, le patriarche Ignace Ephrem II Karim. BE
12 années de conflit et de sévère crise économique
12 années de conflit et de sévère crise économique ont poussé de nombreuses personnes à quitter le pays. Ceux qui sont restés doivent faire face à de graves difficultés et à des niveaux de pauvreté croissants. Selon l’UNICEF, plus de 13 millions de personnes en Syrie ont besoin d’une assistance humanitaire, dont plus de 8,5 millions d’enfants.
L’organisation des Nations Unies pour l’enfance estime que 2,45 millions d’enfants en Syrie et 750’000 autres enfants syriens dans les pays voisins ne sont pas scolarisés, dont 40% sont des filles. Plus d’un demi-million d’enfants de moins de cinq ans souffrent dans le pays d’un retard de croissance dû à la malnutrition chronique. ACN a aidé à réunir pour la première fois des dizaines de jeunes chrétiens qui veulent s’assurer qu’il y a un avenir pour eux dans leur pays. BE
Depuis 2011, ACN a dépensé quelque 50 millions de dollars pour fournir une aide pastorale et humanitaire à la population chrétienne de Syrie afin d’atténuer les souffrances dramatiques en raison de la guerre.
Jacques Berset
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