Mgr Ateba témoigne en Suisse: Boko Haram, la bête de l’Apocalypse

Le groupe terroriste nigérian Boko Haram est comme la bête de l’Apocalypse: si on lui coupe une tête, une autre repousse immédiatement, laisse entendre Mgr Bruno Ateba Edo, évêque de Maroua-Mokolo. Son immense diocèse – plus de 14’000 km2 -, dans l’Extrême-Nord du Cameroun, est en proie aux fléaux de la violence sectaire et de la sécheresse due aux changements climatiques.

Jacques Berset

En visite en Suisse et au Liechtenstein du 12 au 20 novembre 2022 à l’invitation de l’œuvre d’entraide «Aide à l’Église en Détresse ACN», Mgr Bruno Ateba livre un témoignage poignant sur la dramatique réalité de son diocèse missionnaire où l’Eglise catholique est présente de façon permanente seulement depuis 1947. Situé dans la zone soudano-sahélienne, la région connaît une courte saison des pluies mais surtout une longue saison sèche, durant laquelle les populations – dont les trois quarts vivent sous le seuil de pauvreté – sont souvent exposées à la famine et aux maladies.

Semaine de sensibilisation sur la persécution des chrétiens

Témoignant dans les paroisses à l’occasion de la «RedWeek», la «Semaine Rouge», une campagne mondiale qui vise à sensibiliser le public sur la liberté religieuse et la persécution des chrétiens, cet évêque missionnaire pallotin de 58 ans, membre de la Société de l’Apostolat catholique (SAC), prône envers et contre tout le «vivre ensemble». Il prêche la paix et la réconciliation avec détermination dans une région où «nos frères musulmans ont tout en mains: l’économie, le commerce, les transports…»

Malgré tout, la petite minorité catholique – 112’000 fidèles – sur une population de 2,6 millions d’habitants, composée notamment d’adeptes des religions africaines traditionnelles, mais également de fidèles évangéliques et orthodoxes, est respectée par la majorité musulmane.

«Les musulmans nous respectent en raison de notre témoignage de vie»

«Nous rencontrons régulièrement les imams, en particulier lors des célébrations interreligieuses avant les grandes manifestations politiques. C’est à moi qu’il revient de présider la prière à cette occasion, ensemble avec les représentants musulmans et ceux des religions traditionnelles africaines… »

Mgr Bruno Ateba, le 14 novembre 2022, au couvent de la Maigrauge, à Fribourg | © Jacques Berset

«Les musulmans nous respectent en raison de notre témoignage de vie et de nos œuvres : centres de santé, écoles, collèges, etc. Les femmes musulmanes, les épouses des chefs religieux, vont dans les centres de santé dirigées par les religieuses, de préférence aux hôpitaux publics. Elles veulent être soignées par des femmes !» De nombreux enfants musulmans – parmi eux les fils et filles de chefs religieux – fréquentent des écoles catholiques. «Les musulmans normaux sont contre Boko Haram», assure-t-il.

«Mettre l’Homme debout»

Dans son œuvre de promotion humaine, le diocèse de Maroua-Mokolo veut «mettre l’Homme debout», sans distinction de religion, de sexe ou d’ethnie (l’ensemble du pays en compte quelque 250), par ses écoles, ses centres de santé, ses services sociaux, ses caisses d’épargne et de crédit, ses accès à l’eau potable, ses services de promotion de l’agriculture et de l’élevage, sa formation professionnelle des jeunes et des femmes… «Toutes ces actions ont favorisé la cohabitation pacifique entre les chrétiens catholiques et protestants, les musulmans et les autres obédiences et religions traditionnelles».

Quand il s’agit de fournir de l’aide, la Caritas diocésaine ne fait pas de distinctions entre ceux qui sollicitent un secours. «C’est un être humain fait à l’image de Dieu qui est devant nous, pas un membre d’une autre communauté religieuse», insiste Mgr Ateba.

Attaques terroristes incessantes

Mais depuis 2013, la région de l’Extrême-Nord du pays, frontalière avec le Nigéria à l’Ouest, le Lac Tchad au Nord et le Tchad à l’Est, est en proie aux attaques terroristes incessantes et au banditisme qui prolifère en raison de l’insécurité. En 2021, déjà près de 500’000 personnes avaient dû fuir les zones frontalières, dont des réfugiés nigérians fuyant l’Etat nigérian du Borno (Boko Haram a été fondé à Maiduguri, capitale de cet Etat frontalier), et des déplacés internes.

Les problèmes d’insécurité exacerbés par les attaques des terroristes – qui bénéficient dans certains cas de complicités locales – exacerbent des problèmes plus anciens comme les conflits entre agriculteurs et éleveurs, les conflits fonciers et les migrations transfrontalières de sans-papiers.

Les musulmans modérés sont aussi ciblés

«Le mécontentement face à la marginalisation économique et politique croissante, la mauvaise gouvernance et la corruption créent un terreau fertile pour les terroristes islamiques». Mais, insiste Mgr Bruno Ateba, si les djihadistes ont pris pour cibles des prêtres et des agents pastoraux laïcs – dont certains ont été tués – et détruit des églises, ils s’en prennent également aux musulmans modérés qui ne partagent pas la vision «religieuse» rigoriste de cette secte hostile à toute influence occidentale. A la suite de mésententes, Boko Haram s’est divisé en plusieurs groupes, dont la dangereuse métastase suprarégionale appelée «Province d’Afrique de l’Ouest de l’Etat islamique» (ISWAP). «C’est comme la bête de l’Apocalypse: si on lui coupe une tête, une autre repousse immédiatement…»

Mgr Bruno Ateba dans le camp de réfugiés de Minawao | © ACN

La France et l’Italie – dont sont originaires des missionnaires comme le Père Georges Vandenbeusch kidnappé dans le nord du Cameroun à la mi-novembre 2013 ou les deux prêtres italiens et la sœur québécoise enlevés en avril 2014 – ont fait une intense pression pour que les missionnaires occidentaux quittent la région.

Mais quand on enlève des membres des équipes pastorales, surtout dans la zone frontière avec le Nigéria – car il y a une industrie du rapt contre rançon dans cette région – «ce n’est même pas mentionné par les médias…» Dans certaines paroisses, les centres de santé et les écoles catholiques ont dû être fermés, des églises, comme à Zhéléved, Mustkar et Amchidé, ont été vandalisées et pillées.

L’Eglise reste présente aux côtés des populations

«Malgré ce contexte difficile, l’Eglise reste présente aux côtés des populations de ces régions. Quand je vais dans ces zones, les autorités me font accompagner par des militaires, craignant pour ma sécurité».

Saluant l’assistance apportée à l’Eglise diocésaine par l’œuvre d’entraide «Aide à l’Eglise en Détresse ACN», Mgr Bruno Ateba cite notamment l’aide à la construction du centre de formation des réfugiés dans le camp de Minawao. Ouvert depuis juillet 2013 pour répondre à l’afflux massif des réfugiés nigérians, il héberge déjà plus de 70’000 personnes, dont 60% de mineurs et 54% de femmes et de filles. ACN finance la construction d’une chapelle, car le camp abrite également des milliers de catholiques.

«Les jeunes du diocèse et les réfugiés du camp de Minawao font face à un chômage endémique et à la pauvreté. Ils risquent d’être la proie de ‘prophètes de malheur’ et sont exposés aux fléaux du banditisme, de la prostitution, de l’alcoolisme. Et surtout de l’enrôlement dans des sectes islamistes comme Boko Haram». Ce projet soutenu par ACN veut leur permettre un avenir, en leur fournissant une formation professionnelle. «Grâce à cette aide, l’espoir renaît dans les cœurs d’une multitude de personnes !» (cath.ch/be)

Pour l’ensemble du Cameroun, l’aide annuelle d’Aide à l’Église en Détresse ACN s’élève à plus de 1,55 million de francs suisse. Source: Eva-Maria Kolmann, ACN International

Jacques Berset

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