Par Grégory Roth
En 1977, Jean-Claude Crivelli reprend la direction du CRL (Centre romand de liturgique). «J’avais mon bureau dans le magasin de musique de La Procure, créé par l’abbé Pierre Kaelin, à Fribourg. A l’époque, on éditait le manuel D’une même voix, titre qui sera repris en 2002 pour le manuel canadien». Quatre ans plus tard, le Centre s’installe au Séminaire diocésain de Villars-sur-Glâne (FR) à l’époque.
«Le lundi en général, les prêtres venaient voir ce qu’il y avait comme nouveaux chants liturgiques. Parce que, dans les années 1970-80, nous étions en plein boom de compositions – les fameuses «fiches» –, et beaucoup de célébrants étaient avides de nouveautés. Pourtant, si l’on veut qu’une assemblée chante, il ne faut pas changer constamment de répertoire, et certains ne l’ont pas toujours compris».
«A une époque, je connaissais tout le clergé romand»
Jean-Claude Crivelli
Le liturgiste rappelle aussi, qu’après Vatican II, il y a même eu des tendances en Occident à basculer dans certains chants moins adaptés aux rites. «Cela étant, j’ai toujours eu de très bons contacts avec les prêtres. Et, à une époque, je connaissais tout le clergé romand, parce que je travaillais aussi au CCRFP [Centre catholique romand de formation permanente], au sein duquel je proposais des cours de recyclage avec les prêtres.
En 1997, le CRL devient le CRPL (Centre romand de pastorale liturgique) et déménage à Le Pelouse, à Bex, chez les Sœurs de St-Maurice. «Le projet était le suivant: ‘se former en célébrant’. Ainsi, durant toutes les sessions que nous organisions, les gens pouvaient participer aux offices de la communauté: la Liturgie des Heures, principalement». De nombreuses formations sont organisées, dans plusieurs métiers: lectures, chants, direction chorale, psalmodie, etc. Et de nombreuses choses en matière de liturgie sont créées et testées.
«La réforme liturgique en Suisse romande est d’abord passée par le chant», se souvient Jean-Claude Crivelli. «On voulait faire participer l’assemblée, et c’est d’abord par le chant que l’assemblée participe, extérieurement du moins. Il y avait alors pas mal de résistance de la part des chefs de chœur et des chorales, qui se voyaient dépossédés de leur fonction».
«Vatican II: renouveler et actualiser le christianisme pour un temps qui avait changé»
Benoît XVI
Lorsqu’il s’agit d’évoquer la réception liturgique du Concile Vatican II, Jean-Claude Crivelli aime bien citer le théologien Benoît XVI, dont il a traduit une bonne partie des œuvres concernant la liturgie et les sacrements. «[…] Que le thème de la liturgie inaugure les travaux conciliaires et que cette Constitution liturgique soit le premier résultat, voilà qui était bien plus qu’un simple hasard. Dans une volonté de l’assemblée que tous évêques partageaient joyeusement, le pape Jean XXIII leur donnait mandat de renouveler et d’actualiser le christianisme pour un temps qui avait changé, sans toutefois lui fixer de programme clair».
Après la publication de cette Constitution liturgique de Vatican II, des décrets plus précis ont donc été publiés. Et les pays ont créé des commissions de mise en œuvre de ces directives. Le premier fruit de ce travail est la publication du Missel de 1969. «Globalement, les rapports entre Rome et nos évêques responsables de la liturgie se passaient très bien. Ce n’est que plus tard que les mentalités se sont durcies, ce qui a abouti à la demande d’une retraduction du Missel, plus fidèle au latin, avec le décret Liturgia authenticam en 2001.
Le chanoine vaudois entretient de nombreux et réguliers contacts avec Paris, puisqu’il s’investi dans les chantiers francophones, participant à la rédaction de Rituels successifs, entre 1970 et 1990, mais aussi jusqu’au Missel romain actuel, dont il a été l’un des traducteurs.
Ce mandat de traduction et de réappropriation des sources latines a duré 8 ans. Un travail avec les différents experts et scientifiques qui fut passionnant, même si le résultat concernant certains passages laisse le chanoine perplexe quant à leur réception contemporaine.
«L’Église n’a pas encore trouvé le langage de la prière pour aujourd’hui»
Jean-Claude Crivelli
«La vision de Dieu que l’on trouve dans les oraisons romaines antiques – et qu’on retrouve dans l’actuel Missel – est la vision d’un Dieu lointain, qu’on ne peut pas approcher, parce qu’elle est calquée sur la relation du père de famille – ‘pater familias’ romain – qui a pouvoir de vie et de mort sur toute sa famille et ses esclaves. Pour s’adresser au maître de maison, il faut toujours passer par un serviteur. Il en allait de même à Versailles sous le Roi Soleil!»
«Je pense que l’Église n’a pas encore trouvé le langage de la prière pour aujourd’hui. C’est vrai, il faut toujours s’inspirer de la Tradition, mais la Tradition doit être reçue aujourd’hui. Par les oreilles et les cœurs d’aujourd’hui», conclut le chanoine. (cath.ch/gr)
Des études à Rome et à Paris
Né en 1943 à Vallorbe (VD), Jean-Claude Crivelli suit le petit séminaire St-Louis à Genève, puis le Collège à St-Maurice (VS). «J’ai toujours eu envie d’être prêtre, avec un très fort attrait pour la culture classique. Je suis entré dans une congrégation religieuse, parce que, jadis, c’était le seul endroit où l’on pouvait faire des études. Le lycée d’Einsiedeln étant complet, j’ai opté pour St-Maurice».
Son goût pour les études le conduit à la Faculté bénédictine Sant’Anselmo, à Rome, où il obtient en 1971 un master en théologie et en musicologie médiévale, qu’il effectue en allemand. Après une année d’enseignement au Collège St-Charles de Porrentruy (JU) et une année en paroisse à St-Sigismond, St-Maurice, il est envoyé à l’Institut supérieur de liturgie (ISL), à Paris. Il y rédige un Master en liturgie et une double thèse de doctorat en théologie sacramentaire et en linguistique.
Après son mandat de directeur, Jean-Claude Crivelli continue de collaborer avec le CRPL à Bex jusqu’en 2014. Il partage aujourd’hui sa vie entre l’Abbaye de St-Maurice et Montréal, où il prêche régulièrement et anime une chronique dominicale de musique sacrée sur Radio VM. GR
Grégory Roth
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