Où l’on voit qu’il est de la plus haute importance de parler des choses qu’on aurait envie de taire et qu’il n’y a pas de communauté saine sans paroles qui circulent entre tous.
En France voisine, le monde catholique est ébranlé par «l’affaire Santier», du nom d’un évêque qui, avant qu’il n’occupe cette fonction, a eu un comportement scandaleux. Après deux décennies de silence, les faits ont amené sa condamnation par Rome et sa démission forcée. Il a prétexté des raisons de santé pour expliquer son départ à ses diocésains alors que de nombreux clercs et évêques en connaissaient le vrai motif. Révélée par la presse, l’affaire suscite de nombreux commentaires, plusieurs se demandant même pourquoi il n’a pas été «exclu de l’Église».
Reprenons, un homme commet des actes répréhensibles qu’il tait soigneusement. Quand ceux-ci apparaissent à la lumière on se rend compte que tout un système a soutenu ce silence complice. Il faudrait alors exclure le coupable de la communauté. Mais n’est-ce pas encore une fois en appeler au silence? Va-t’en! Tais-toi!
La réflexion sur la justice qu’on appelle restaurative ou réparatrice nous montre que punir le coupable en le faisant taire et disparaître de l’espace social par la prison, le bannissement, voire la mort, n’est pas la meilleure solution si on veut réparer la déchirure et restaurer la communauté. L’Afrique du Sud et son processus «Vérité et Réconciliation» a montré la valeur de cette approche. Les coupables identifiés n’ont pas été exclus, mais on les a fait parler. On a écouté collectivement l’horreur de leurs crimes. Il fallait en effet que cette parole revienne à la communauté pour que celle-ci puisse mettre des mots sur sa souffrance, puisse la travailler, la métaboliser et finalement tenter de se reconstruire.
«Certes, on n’expulse pas le coupable, mais on croit résoudre le problème en l’envoyant comme aumônier chez des religieuses!!»
On est encore loin d’avoir compris cela en Église. Certes, on n’expulse pas le coupable, mais on croit résoudre le problème en l’envoyant comme aumônier chez des religieuses!! Quant à la parole non adressée aux fidèles, la dominicaine Anne Lécu dénonce une attitude qui infantilise les croyants, les pensant incapables de recevoir la vérité, de «porter avec leurs pasteurs le poids de la faute de l’un des leurs».
Comment pourrait-on mieux faire, sachant qu’il est trop simple de jeter la pierre à quelques évêques et que c’est le corps entier qui doit faire son autocritique et apprendre à ne plus mal-mener la parole, à avoir la parole courageuse et à oser dire la blessure pour pouvoir la soigner.
Alors, bien sûr, l’évêque fautif ne devrait plus pouvoir être évêque, ni même clerc, mais s’il accepte de s’engager dans un processus de justice restaurative, il restera un frère à qui on peut parler et qu’on laisse parler et à qui on refera une place dans la communauté sans le cacher dans un placard.
Pour ceux que cela choquerait, je rappellerais qu’une grande dispute dans les premiers temps l’Église, qui a conduit jusqu’au schisme, avait pour arrière-fond le fait de savoir s’il fallait exclure les évêques qui avaient renié leur foi au moment des persécutions. Ceux qu’on appelait les donatistes l’exigeaient.
Saint Augustin lutte avec véhémence contre ce fantasme d’une Église de purs. Il nous rappelle que bien et mal sont inextricablement mélangés en nous-mêmes et dans le corps ecclésial et ceci «jusqu’à la moisson». Ainsi, en commentant le psaume 25: «Que personne avant le vannage ne quitte l’aire sous prétexte qu’il ne veut pas supporter les pécheurs …. Celui qui est bon qu’il ne croie pas qu’il est le seul à être bon et qu’il ne craigne pas, lui qui est bon, d’être mêlé aux mauvais.»
«La parole qu’on ose dire, écouter et faire circuler, qu’on sait bien mener, est un baume efficace pour nos plaies.»
Voilà ce qu’il nous faut apprendre, être une communauté d’adultes vulnérables qui chemine vers le Royaume et qui sait que tant qu’elle ne l’a pas atteint, elle ne pourra éviter les blessures. Mais on sait que le propre d’une blessure c’est de cicatriser et qu’elle le fait mieux si on en prend soin. Or la parole qu’on ose dire, écouter et faire circuler, qu’on sait bien mener, est un baume efficace pour nos plaies, un puissant adjuvant pour tout processus de guérison communautaire.
Thierry Collaud
2 novembre 2022
Portail catholique suisse
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