Droits de l’homme: que reproche-t-on au Royaume de Bahreïn?

À l’annonce du voyage du pape François au Bahreïn (3-6 novembre 2022), plusieurs organisations de défense des droits de l’homme ont dénoncé les discriminations religieuses «quotidiennes» subies par la communauté chiite dans le pays du Golfe gouverné par une famille royale sunnite. Elles ont demandé au pontife de renoncer à sa visite ou de saisir cette occasion pour s’élever contre les violations des droits de l’homme sur place. 

Alors que le pape doit participer au Forum de dialogue intitulé «Orient et Occident pour la coexistence humaine», ces ONG estiment que Bahreïn «n’est pas un hôte crédible» pour une telle rencontre. Bien que le roi Al Khalifa – au pouvoir depuis février 2002 – ait bonne réputation auprès des catholiques, notamment pour avoir fait don du terrain sur lequel a été construite la plus grande église de Bahreïn, la cathédrale Notre-Dame d’Arabie, le souverain est sous le feu des critiques pour la marginalisation de la communauté musulmane chiite, pourtant majoritaire dans la société bahreïnie.

Un modèle de discrimination d’État

Dans une tribune au Monde, Husain Abdulla, directeur exécutif de l’ADHRB, pointe du doigt «un modèle de discrimination d’État» pratiqué par la dynastie sunnite des Khalifa, dirigeant le pays depuis 1783. Si 65% de la population sont des chiites – sur 1,5 million d’habitants –, ces derniers sont cependant «une minorité aliénée à tout point de vue». 

Les chiites, explique-t-il, sont notamment tenus à l’écart du domaine public, des médias, et leur culture est «invisibilisée». Le rapport 2020 du département d’État américain sur la liberté religieuse internationale abonde dans le même sens, constatant que le gouvernement bahreïni accorde aux citoyens sunnites «un traitement préférentiel pour les postes du secteur public». La communauté chiite serait davantage sujette au chômage et à la pauvreté.

En outre, selon l’ADHRB, les prêcheurs chiites se voient subir un contrôle sur leurs sermons. Et une propagande antichiite sévit entre autres sur les réseaux sociaux, à l’aide de centaines de faux comptes Twitter

La question des prisonniers politiques

De son côté, le principal parti d’opposition de Bahreïn dissout en 2016, dirigé par le chiite Al Wefaq, a demandé au pape d’appeler à un «dialogue national sérieux» et à la libération des centaines d’opposants politiques et religieux chiites emprisonnés depuis des années. «Le pape arrivera à Bahreïn alors que la plupart des partisans de la paix et de la tolérance religieuse restent dans les prisons du régime, chez eux ou en exil», a déploré Al Wefaq, d’après Swiss info, citant le secrétaire général du groupe, Ali Salman, condamné à la prison à vie, et l’ayatollah Shaykh Isa Qassim, exilé en Iran. 

Amnesty International Italie dénonce aussi la détention des prisonniers politiques, plus de onze ans après le soulèvement populaire de février 2011. Déplorant «une répression systématique de la liberté d’expression», l’ONG demande au pape François de «braquer les projecteurs sur les violations des droits de l’homme dans le pays» et d’exiger «la libération immédiate» des prisonniers d’opinion.

Un groupe de religieux chiites incarcérés s’est également adressé au pontife argentin, l’exhortant à condamner les politiques répressives du régime. Selon un rapport conjoint de Human Rights Watch (HRW) et du Bahrain Institute for Rights and Democracy, décrypté par Asia News, ces dernières années, les tribunaux bahreïnis ont mené des «procès fictifs», avec des condamnations à mort obtenues par la coercition et la torture physique et psychologique.

Ces ONG dénoncent une augmentation «spectaculaire» – 600% – des condamnations à la peine capitale depuis 2021, avec 51 sentences, contre sept au cours de la décennie précédente. Selon elles, 88 % des hommes exécutés à Bahreïn depuis 2011 ont été condamnés pour des accusations de «terrorisme», et 100 % d’entre eux ont invoqué la torture.

Défense et gestes du gouvernement 

Le rapport 2020 des États-Unis sur la liberté religieuse internationale note cependant qu’en mars 2020, Al Khalifa a publié un décret graciant 901 détenus, dont de nombreux chiites, pour des raisons humanitaires dans le contexte du Covid-19. Deux mois plus tard, il a gracié 154 autres détenus.

Le gouvernement assure «soutenir pleinement la liberté d’exprimer pacifiquement des points de vue et des opinions, qui est inscrite et défendue dans la constitution du Royaume», argumente-t-on du côté des dirigeants. «Aucun individu à Bahreïn n’est arrêté ou en détention en raison de ses croyances religieuses ou politiques», a affirmé le porte-parole du gouvernement à Crux

L’éclairage géopolitique 

Les ONG voient derrière les violations qu’elles dénoncent des «logiques géopolitiques» reflétant les tensions du golfe arabo-persique entre l’Iran et le Conseil de coopération du Golfe (CCG). Sous l’influence «omniprésente» de l’Arabie saoudite, Bahreïn traite «ses citoyens chiites en ennemis», note ainsi Husain Abdulla dans sa tribune.

Bahreïn «viole quotidiennement et en toute impunité les droits humains les plus fondamentaux», assène-t-il, s’élevant contre des «arrestations arbitraires, disparitions forcées». Dans ce contexte, conclut-il, une visite du pape «risquerait d’entacher l’Église catholique et le Vatican d’un nouveau scandale» en légitimant une politique de violations «de la plupart des droits fondamentaux».

Interpellé par les journalistes lors d’une présentation du voyage le 28 octobre, le directeur du Bureau de presse du Saint-Siège Matteo Bruni a déclaré ignorer si le pape François aborderait ou non ces questions durant son déplacement. Et a rappelé que la pensée du pape sur les questions de liberté religieuse et des droits de l’homme était connue. (cath.ch/imedia/ak/bh)

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