Par Raphaël Zbinden
«Je n’étais pas particulièrement préparé à la coexistence interconfessionnelle», souligne Claude Ducarroz. Le chanoine né en 1939 fait référence à son enfance passée dans une famille paysanne de la Broye fribourgeoise. Une région où «l’on change de confession tous les 3 km». Dans cette proximité forcée, les protestants et les catholiques ont pendant longtemps eu tendance à protéger fermement leur identité religieuse. Les échanges étaient limités, les mariages mixtes évités autant que possible.
Pendant la première partie de sa vie, Claude Ducarroz a donc eu une perception plutôt lointaine des non-catholiques. Son entrée au séminaire de Fribourg, au tournant des années 1960 l’a plongé encore un peu plus dans cet univers aux limites bien définies. L’information extérieure était surveillée, principalement limitée aux journaux catholiques.
Il est en troisième année de séminaire lorsque le Concile ouvre ses portes, à Rome, le 11 octobre 1962. Un événement qui suscite à l’époque «un grand intérêt» et une forte impression. «L’image m’est restée de cette longue procession de mitres qui envahissaient le Vatican», note l’ancien prévôt de la cathédrale de Fribourg. «Il y avait de l’effervescence et les avis étaient contrastés. Parmi les 75 séminaristes que nous étions et les professeurs, certains espéraient des changements et d’autres estimaient qu’il y avait des fidélités à garder».
Les résistances ne peuvent cependant empêcher une brise nouvelle de souffler. Une démarche interfacultaire permet la visite à Fribourg d’étudiants et théologiens réformés, notamment de Neuchâtel. «Je me souviens de bonnes rencontres. C’était certes modeste, mais il y avait un certain prophétisme et une audace à mélanger ainsi des jeunes en formation, en pleine construction de leur conscience et de leur sensibilité ecclésiale.»
Le chanoine Georges Bavaud est la cheville ouvrière de cette ouverture. «C’était un théologien thomiste très traditionnel, mais aussi un bon Vaudois», relève Claude Ducarroz. En tant que tel, il était forgé aux échanges interconfessionnels. Georges Bavaud avait ainsi invité au séminaire des pasteurs et théologiens vaudois de sa connaissance. Un premier contact rapproché avec «l’autre» et un changement de regard.
Claude Ducarroz est ordonné prêtre l’année de clôture du Concile, en 1965. Le début de son ministère s’inscrit donc dans le nouvel élan donné par le grand rassemblement de l’Eglise. «On ressentait surtout un esprit nouveau, une ambiance nouvelle, un sentiment que les limites s’étaient élargies, que d’autres rencontres étaient possibles».
«C’est à l’armée que je me suis converti à l’œcuménisme»
Des rencontres qui, pour le chanoine, adviendront dans diverses circonstances. «C’est à l’armée que je me suis converti à l’œcuménisme», assure-t-il. Dans l’institution militaire, il côtoie des protestants. Avec lesquels il mène de «grands et intéressants dialogues». «Même si nous nous ‘allumions’ un peu, nous étions beaucoup plus dans la confrontation des arguments que dans l’affrontement.»
Une dynamique de rapprochement «profondément insufflée par le Concile», assure Claude Ducarroz. Un nouvel esprit dont le principal instigateur a été Paul VI, notamment avec son encyclique Ecclesiam suam (1964) sur l’ecclésiologie, la nature et la mission de l’Église. «Il a ouvert la voie à une Eglise qui dialogue, avec sincérité et respect, avec la société, les autres chrétiens, et dans une moindre mesure les autres croyants.» Une avancée concrétisée en particulier par la rencontre du pontife avec le patriarche de Constantinople Athénagoras, à Jérusalem en 1964.
Pour le chanoine, le concept de dignité de la conscience personnelle, inscrit dans la Constitution pastorale Gaudium et spes (1965), a été décisif. Notamment en soulignant que «Par fidélité à la conscience, les chrétiens, unis aux autres hommes, doivent chercher ensemble la vérité (…)»
Un point d’orgue de l’élan œcuménique a été l’invitation à Rome de ‘délégués fraternels’, des ‘observateurs’ d’autres confessions chrétiennes, qui ont finalement été «bien plus que des figurants», et qui ont «participé à leur niveau» au renouvellement de l’Eglise.
«Il y a encore du travail avant d’atteindre l’idéal du ‘pour que tous soient un’»
Ce «brassage» des gardiens de l’orthodoxie catholique avec des théologiens extérieurs a ouvert la porte à des penseurs catholiques qui avaient jusqu’ici «réfléchi dans les marges», se sentant «sous la méfiance, voire la défiance» de Rome. Les Yves Congar, les Henri de Lubac, les Karl Rahner…sont sortis de l’ombre et apporté un souffle nouveau à la théologie. Jean XXIII avait dit avec raison, en convoquant le Concile, vouloir «ouvrir les fenêtres de l’Église pour y faire entrer de l’air frais».
«L’Eglise est devenue moins cléricale, ce qui a permis aussi un certain nombres d’audaces liturgiques. Nous avons pu nous inviter les uns chez les autres. Il a été possible d’organiser des moments de prière conjoints, des célébrations œcuméniques…» Un rapprochement que Claude Ducarroz vivra en particulier au cours de ses 15 ans de ministère à Lausanne, un lieu où «l’œcuménisme est obligatoire». Une ouverture qu’il développe encore avec son travail d’aumônier auprès des jeunes, entre 1975 et 1982.
Le prêtre fribourgeois rejoint en 1999 le Groupe des Dombes, un groupe de dialogue œcuménique, fondé en 1937, qui réunit des catholiques et protestants francophones. Une expérience qui l’amène à considérer un «aspect plus doctrinal» du dialogue. Avec le groupe, qu’il a quitté en 2019, Claude Ducarroz se réjouit d’avoir pu «étayer un œcuménisme ‘romantique’ par une réflexion théologique sérieuse. En la matière, la bonne volonté ne suffit pas.»
L’élan de dialogue lancé par Vatican II est toujours bien présent aujourd’hui, même s’il a quelque peu changé de visage. Les relations avec les musulmans ont notamment pris plus d’importance, en lien avec les événements mondiaux et la peur ambiante de l’islamisation.
Concernant les chrétiens, Claude Ducarroz admet qu’il y a encore du travail avant d’atteindre l’idéal du «pour que tous soient un». «Les fidèles sont déjà tellement préoccupés par la situation de leurs Eglises respectives que la rencontre œcuménique peut apparaître comme un ‘luxe’». Le chanoine continue pourtant de croire que «cet esprit de dialogue issu du Concile est l’un de ses plus beaux fruits», et «qu’il nourrit encore l’Eglise, principalement en montrant au monde que les vrais croyants sont sources de fraternité et de paix.» (cath.ch/rz)
Raphaël Zbinden
Portail catholique suisse
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