Après le scandale de l’affaire Santier, Mgr Patrick Valdrini, professeur de droit canonique et chanoine du Latran, réagit en mettant en lumière la nécessité d’une meilleure transparence et d’une plus grande attention au respect des consciences dans le cadre du sacrement de confession.
L’évêque émérite de Créteil, Mgr Michel Santier, a été reconnu coupable par Rome en 2021 d’abus spirituels à des fins sexuelles commis dans les années 1990 sur deux hommes majeurs dans le contexte du sacrement de confession, a révélé Famille Chrétienne le 14 octobre 2022. Alors prêtre dans une communauté charismatique du diocèse de Coutances, en Normandie, Michel Santier avait ensuite été nommé évêque de Luçon en 2001, sans que l’enquête du nonce ayant mené à son épiscopat n’ait eu connaissance des faits et, le cas échéant, les ait pris en compte.
Le secret ayant entouré la condamnation de Mgr Santier à une «vie de prière et de pénitence«, en 2021, provoque aujourd’hui scandale et incompréhension. Selon le droit canonique, le secret est-il une obligation pour ces procédures touchant des évêques?
Mgr Patrick Valdrini: Le cas ›Santier’, au-delà des faits commis, révèle la manière dont l’autorité ecclésiastique traite le problème de la confidentialité. Les motu proprio du pape François concernant la responsabilité des évêques, Vos estis lux mundi (2019) et Come una madre amorevole (2016), parlent de «confidentialité» et de «secret d’office» car il s’agit de protéger les personnes concernées durant et après la procédure. Dans le cas ›Santier’, la confidentialité a été demandée par les victimes. Mais l’Église n’a pas tout dit en motivant le fait que Mgr Santier ait démissionné de sa charge d’évêque de Créteil pour des raisons de santé.
A-t-on fait preuve de prudence ou a-t-on voulu conserver un secret? De fait, l’évaluation d’une situation spécifique peut mener au choix politique de ne pas tout dire. Mais la question de la prudence n’est pas la même chose que le secret. Il n’y a pas d’obligation du secret quant à la cause de renonciation d’un évêque. Dans le cas de Mgr Santier, pour le protéger lui, et en gardant un silence qui aujourd’hui est bien difficile à motiver, on a porté atteinte à la confiance des fidèles de ses deux anciens diocèses et bien au-delà.
L’effet est désastreux. En octobre 2021, au moment même de la publication du rapport de la CIASE, on avait promis d’être transparent, mais cet engagement ne s’est pas concrétisé dans cette affaire. Cela prouve que l’Église catholique est très mal à l’aise avec cette notion de transparence qui, que l’on soit d’accord ou non, qu’on le veuille ou non, qu’on le conteste ou non, s’impose dans la vie publique. Mais, même si de bonnes raisons peuvent justifier de ne rien dire pour éviter un scandale, dans notre culture contemporaine, le fait de vouloir l’éviter en ›cachant des choses’ provoque un scandale encore plus grand et, quoiqu’il en soit, injustifiable.
Pour l’instant, Mgr Santier fait l’objet de simples sanctions disciplinaires et non pénales. Mais qui sait si le scandale provoqué par cette affaire ne pourrait justifier une nouvelle procédure, jusqu’à des sanctions pénales?
L’affaire Santier entre-t-elle précisément dans le périmètre des motu proprio du pape François au sujet de la responsabilité des évêques dans des cas d’abus?
Pas exactement. Come una madre amorevole porte sur la révocation des évêques en cas de déficience dans l’administration d’un diocèse, y compris suite à un mauvais traitement d’affaires d’abus sexuels, et la deuxième partie du motu proprio Vos estis lux mundi porte sur la responsabilité des évêques «durante munere«, c’est-à-dire dans l’exercice de leur ministère épiscopal. Dans le cas ›Santier’, l’affaire est antécédente à sa charge d’évêque.
C’est donc un cas de figure particulier, qui engage plutôt les personnes à s’interroger sur la manière dont on choisit les évêques. Les nonces jouent un rôle central en lançant des enquêtes sur les candidats. Dans le cas de Mgr Santier, les gens s’interrogent légitimement : les enquêtes avaient-elles révélé ou non qu’il avait eu ce genre de comportement?
La notion de ‘harcèlement’, très présente dans le langage commun, et notamment dans le monde de l’entreprise, devrait-elle être introduite dans le droit canonique?
Je ne le souhaite pas, car la jurisprudence en droit français montre que c’est une notion très difficile à encadrer. La ›géographie juridique’ du terme est difficile à cerner et peut laisser libre cours à des interprétations excessives.
En revanche, dans le cas de l’affaire Santier, le fait que les abus se soient produits au cours du sacrement de confession est préoccupant. Il est juste de rappeler qu’ils n’ont pas seulement un caractère sexuel. Le droit canonique pourchassait le «délit de sollicitation» en évoquant des comportement sexuels abusifs envers des pénitents, avec des sanctions pouvant aller jusqu’à la perte de l’état clérical. Mais désormais, on se penche progressivement sur les questions d’abus de pouvoir ou d’abus spirituel.
Il ne faut pas se concentrer uniquement sur la dimension sexuelle des relations entre prêtres et pénitents. Il y a des possibilités d’emprise sur les personnes, des attitudes parfois trop intrusives de certains confesseurs, et c’est très grave.
Une évolution du droit canonique demeure donc nécessaire pour restaurer la crédibilité de l’Église et éviter une répétition de ces phénomènes d’emprise?
Le critère qui différencie l’Église d’une secte, c’est le respect absolu de la conscience de la personne. Un prêtre catholique a l’obligation de ne jamais abuser de la conscience d’un fidèle, et donc de sa confiance. Ceci vaut aussi en dehors du sacrement de la confession en tant que tel, quand des personnes ouvrent leur conscience à des prêtres dans un entretien pastoral privé. En effet, même dans une conversation informelle et amicale, les personnes doivent pouvoir lui faire une confiance absolue. C’est un point où se vérifie la crédibilité de l’Église.
D’ailleurs, le droit canonique différencie les abus commis sur des personnes majeures de ceux commis sur des mineurs et des «personnes vulnérables». Mais je pense que l’Église pourrait aussi étendre la notion de «personne vulnérable», car une personne qui se confesse ouvre forcément devant une autre personne, un prêtre, un espace de vulnérabilité. Elle ouvre sa conscience. La relation entre le confesseur et le fidèle confessé est intrinsèquement un lieu de vulnérabilité. Cela nécessite donc un ajustement de la relation pastorale entre les prêtres et les personnes qu’ils doivent accompagner.
Alors que le nouveau Livre VI du Code de droit canonique permet désormais une meilleure efficacité dans le traitement des cas d’abus sexuels, nul doute que l’affaire Santier renforcera la préoccupation de l’Église pour mieux former et préparer les prêtres actuels comme les futurs prêtres à un exercice juste du sacrement de confession. (cath.ch/imedia/cv/mp)
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