Par Bernard Hallet
Le Père Guy Musy, aujourd’hui âgé de 86 ans a été ordonné prêtre à l’âge de 26 ans. Il a célébré sa première messe solennelle le 29 juillet 1962 dans sa paroisse de Domdidier, selon l’ancien rite liturgique encore en vigueur.
Vous souvenez-vous de l’annonce du Concile Vatican II?
Guy Musy: J’étais au noviciat des dominicains en Belgique. Je me souviens, que notre Père maître, pourtant assez ouvert, s’est exclamé à propos du pape Jean XXIII, «Il est devenu fou!» J’ai été très étonné, mais c’était pour moi un signal très positif. Après le noviciat, j’étais jeune étudiant en théologie à Fribourg au cours des mois qui ont précédé le Concile. On avait en ce temps-là un professeur de liturgie, un prêtre suisse-allemand, qui nous informait aussi de ce qui paraissaient dans la presse et notamment les chroniques publiées dans le quotidien français Le Monde. Nous suivions la préparation de ce concile, la création des commissions, les difficultés. C’était enthousiasmant.
Cela a-t-il été la surprise?
Plus qu’une surprise, c’était une impossibilité! Pour l’ensemble des chrétiens on ne parlait plus de concile depuis Vatican I. L’affaire était réglée. Le pape suffisait à tout. Ça ne venait à l’idée de personne de convoquer les évêques. Et pour dire quoi? Puisque Vatican I avait formulé l’infaillibilité et la primauté juridictionnelle du pape. Était-il nécessaire d’avoir un Concile? Ce fut une heureuse surprise.
Formé et ordonnée selon l’ancienne liturgie, vous avez vécu avec la nouvelle liturgie…
En 1968, j’étais en Algérie avec un groupe de séminaristes suisses, j’étais déjà prêtre et on donnait des cours de vacances dans des collèges peuplés par de jeunes musulmans. Nous avons été reçus à Bab El Oued où il y avait une église catholique. Pour la première fois de ma vie, je m’en souviendrai toujours, j’ai pu dire les paroles de la consécration en français. C’était un événement pour moi. J’en suis encore très ému.
«On sortait des sentiers battus de la théologie classique pour aborder enfin une relation avec ceux qui nous entendaient et avec lesquels nous vivions.»
Ce concile a-t-il été une chance pour d’Église?
Absolument! Non pas que je souffrais de la situation antérieure mais ce fut une chance de renouveau. Pour nous, c’était une véritable révolution. On sortait des sentiers battus de la théologie classique, pour aborder enfin une relation avec ceux qui nous entendaient et avec lesquels nous vivions.
Le thème de la mission était également important
Le décret sur l’activité missionnaire ne m’a pas laissé d’emblée une grande impression. En effet à cette époque, je n’étais pas encore parti en mission au Rwanda. J’y suis allé un peu plus tard et c’est à ce moment-là que j’ai pu réfléchir sur la mission. La mission, ad extra, avait connu une première étape dite tabula rasa. Aller et d’abord détruire ce qui existait sur place pour construire autre chose avec ce que vous apportez. Nous nous sommes rendu compte que ce n’était pas la bonne voie.
La mission a alors pris une autre tournure. Comme le disait le Père Lebret: «Le développement est devenu le nouveau nom de la mission». Il fallait d’abord se préoccuper de l’état de l’humanité avant de lui annoncer formellement l’Évangile. Il fallait se préoccuper de la situation sociale et politique dans laquelle vivaient les personnes qui allaient recevoir notre prédication. Cela a duré un temps.
«Les Africains, pour ne parler que d’eux, sont devenus nos missionnaires.»
Puis cela a changé avec le pape Paul VI…
On est ensuite passé à un troisième stade, en effet déclenchée par le pape Paul VI, lors de son voyage à Kampala (en Ouganda en 1969, ndlr). Il a dit aux Africains: «Maintenant vous devez être vous-mêmes vos propres missionnaires». Nous en sommes actuellement à la quatrième étape: les Africains, pour ne parler que d’eux, sont devenus nos missionnaires.
A l’époque, les missionnaires partaient d’Europe et du Canada pour «planter l’Église» comme ils disaient. Notre Église est déjà plantée. Mais nous avons besoin de missionnaires venus d’Afrique ou d’ailleurs pour repiquer ce qui a déjà été semé.
Y a-t-il un autre texte qui a retenu votre attention?
J’ai gardé un grand souvenir du décret sur les relations interreligieuses, Nosta Aetate, certes perfectible, qui concernait implicitement la mission. Comment devions-nous, en tant que chrétiens, parler de Jésus dans un monde pluri-religieux dont on reconnait aussi la valeur? Une question qui ne se posait pas autrefois. Parce que ce décret ne concerne pas que les juifs, mais aussi les musulmans, les hindous, les bouddhistes et aussi les religions africaines traditionnelles. Ce qui était tout à fait inouï à l’époque. Nous sommes une toute petite minorité dans certains pays, comme dans les pays du Golf, mais nous y sommes comme témoins. Comme nous le sommes sur notre propre terre.
«Effectivement, Vatican II n’a pas été assimilé au niveau liturgique par beaucoup de monde.»
La Suisse est devenue un pays de mission…
Absolument. Nous sommes minoritaires, c’est évident, nous le devenons de plus en plus. Nous ne pratiquons plus tellement notre foi comme auparavant. Il n’y a qu’à voir ceux qui reste dans nos églises. Mais notre foi n’a pas disparu pour autant. Ni notre activité missionnaire, qui s’exprime à travers notre présence compréhensive et de dialogue. Elle implique aussi une annonce de Jésus-Christ qui est pour nous, pas pour tout le monde sans doute, le chemin qui conduit vers Dieu.
«Nous pouvons dire que le dernier concile œcuménique n’a pas pleinement été compris, vécu et appliqué», a écrit le pape François.
Effectivement, Vatican II n’a pas été assimilé au niveau liturgique par beaucoup de monde. On a eu de très beaux textes sur la liturgie, mais ils n’ont pas été assez intégrés, me semble-t-il. Nous ne serions pas dans ce conflit actuel si c’était le cas. Nous avons aussi beaucoup d’efforts à faire sur le dialogue avec les non-chrétiens et les non-croyants. Pour ne pas parler des chrétiens d’autres confessions. De ce point de vue-là, il est vrai, toutes les orientations du Concile Vatican II n’ont pas encore été mises en œuvre. (cath.ch/bh)
Bernard Hallet
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