L’agence I.MEDIA a interrogé Mgr Bernard Ardura, président de ce comité depuis 2009. Le prêtre frrançais a dirigé la conception de cet ouvrage qui veut aider les universitaires, les journalistes, les diplomates et toutes les personnes qui souhaitent mieux connaître le lexique de l’Église et comprendre son histoire.
Comment en vient-on à se lancer dans l’aventure d’un dictionnaire sur l’histoire de l’Église catholique?
Bernard Ardura: Après ma nomination comme président du Comité pontifical des sciences historiques, en décembre 2009, j’ai rencontré l’ensemble des membres du comité et j’ai senti qu’ils voulaient faire quelque chose ensemble et quelque chose d’utile. Tous sont professeurs d’histoire et ont observé que dans le milieu universitaire, des termes techniques ou bien des thèmes ecclésiaux ne sont plus ou mal connus. Ces lacunes concernent non seulement les étudiants d’histoire mais aussi parfois des enseignants qui éprouvent une difficulté à donner une définition.
C’est un dictionnaire pour les universitaires?
Pas uniquement. Aujourd’hui, on remarque que la signification de certains termes échappe aussi aux membres du clergé ou bien aux laïcs. Mais plus largement, il suffit d’ouvrir un journal pour être interpellé par un mot, une institution, que nous ne connaissons pas, ou mal. Nous entendons beaucoup parler en ce moment de ‘patriarche de Moscou’ ou bien ‘d’Église orthodoxe’… Ce dictionnaire veut permettre de donner des indications précises, concises et exactes à toutes les personnes intéressées ou amenées à travailler sur le monde ecclésial.
«L’œuvre compile quelque 600 définitions»
Certaines notices, plus longues, permettent de comprendre l’évolution de la signification d’un terme. C’est essentiel de resituer les choses dans le temps car nous avons tendance à ne procéder que par raccourcis, en pensant ce qui existait auparavant avec la mentalité d’aujourd’hui. J’espère que ce dictionnaire pourra être utile aux journalistes qui traitent l’actualité de l’Église, ou bien au personnel diplomatique.
Comment avez-vous coordonné le travail des 80 contributeurs?
Nous sommes 30 membres au Comité pontifical des sciences historiques et avons la mission d’honorer 2000 ans d’histoire du christianisme. Nous avons pour cela des spécialistes de chaque période et des experts sur des réalités transverses – droit, histoire des conciles, etc. Pour réaliser ce dictionnaire, nous avons fait appel à une cinquantaine d’autres contributeurs, tous professeurs, qui ont apporté leurs connaissances spécifiques. Nous avons enfin pensé qu’il était utile, à la fin des notices, de donner une bibliographie sommaire, et dans la mesure du possible dans plusieurs langues.
«Nous avons essayé de réserver ce dictionnaire à des termes souvent connus à l’oreille mais dont nous avons oublié la signification ou l’origine».
Cette œuvre compile quelque 600 définitions. Nous nous sommes aussi appuyés sur notre précédent dictionnaire de l’Église publié en italien peu avant la pandémie. Mais cet ouvrage n’est pas une simple traduction car bon nombre de termes italiens ne recouvrent pas la même signification en français. Par exemple, en France, nous parlons des «aumôniers militaires» ou bien des «aumôniers catholiques». En Italie, on parle de «chapelains». Or, le mot «chapelain» signifie autre chose en français.
Vous avez dû vous adapter à la publication au printemps dernier de la nouvelle Constitution apostolique Praedicate evangelium…
Heureusement, nous n’avions pas encore imprimé le livre! La dernière mouture du dictionnaire a été réalisée au mois d’août. Lorsque cela était nécessaire, nous avons rajouté quelques lignes à certaines notices. Mais nous n’avons pas dû tout bouleverser car nous avions suivi et intégré les transformations enclenchées par le pape François depuis le début de son pontificat. Les suppressions des conseils pontificaux étaient par exemple déjà réalisées. Quant aux congrégations, qui s’appellent désormais dicastères, nous avons mis à jour les noms.
«Derrière le terme de ‘synodalité’ se cache toute une ecclésiologie»
Pourquoi avoir fait le choix d’exclure des personnalités ecclésiales? On ne trouve pas de notice concernant «Jésus» par exemple…
C’est un choix. Pour le nom de Jésus, je crois que nous pouvons trouver ailleurs tout ce que nous voulons avec une grande facilité. Nous avons essayé de réserver ce dictionnaire à des termes souvent connus à l’oreille mais dont nous avons oublié la signification ou l’origine. Ici, vous n’avez pas le nom de Jésus mais vous trouverez dans ce dictionnaire la notice: «INRI» [Jésus le Nazaréen roi des Juifs, en latin; l’inscription placée par Ponce Pilate sur la Croix]. Beaucoup de personnes se demandent ce que cela signifie.
Le mot «synodalité», beaucoup entendu à Rome actuellement, n’est pas présent…
C’est un mot qui a été inventé par le pape et n’appartient au langage de l’histoire de l’Église que depuis quelques mois. Alors ce sera pour le prochain dictionnaire! Mais il sera intéressant et délicat de le définir puisque c’est une notion qui évolue sous nos yeux. Derrière lui se cache toute une ecclésiologie, une manière de comprendre l’Église catholique. Depuis le Concile Vatican II, le Synode des évêques [terme défini dans le dictionnaire, NDLR] se réunit épisodiquement.
Mais le pape François est en train de transformer cette institution en une sorte de processus qui se déploie. Avec le Synode sur la synodalité est reprise d’une certaine manière l’initiative de Jean XXIII. En convoquant le concile, il avait commencé par demander d’écrire à tous les évêques, les universités catholiques, les instituts religieux, pour savoir de quoi le Concile devrait parler.
Au fil de l’histoire, des termes ou des institutions évoluent et finissent parfois par recouvrir une réalité quelque peu différente. Avez-vous un exemple en tête?
L’exemple du «conclave» est intéressant. Quand autrefois l’évêque de Rome était élu par les six évêques suburbicaires, puis les autres cardinaux et enfin le bon peuple, cela était bien différent de ce que nous connaissons aujourd’hui. L’élection des papes a connu de grandes évolutions. Il faut attendre le conclave de Viterbe, au 13e siècle pour parler de «conclave» à proprement parler. Pour accélérer un processus qui durait depuis deux ans, les habitants de Viterbe ont enfermé les cardinaux à clé, les ont mis au pain sec et à l’eau et ont découvert le toit pour qu’ils soient exposés aux intempéries.
«Un processus peut évoluer dans le temps tout en gardant la même appellation»
Au début du siècle, saint Pie X avait lui aussi modifié une règle. Son premier acte en tant que pape fut de supprimer l’usage de l’exclusive, ce véto dont ont pu disposer des États comme la France, l’Espagne ou l’Autriche dans le cadre de l’élection pontificale. En effet, durant le conclave, le cardinal archevêque de Cracovie avait fait part du véto de l’empereur François-Joseph concernant le cardinal Rampolla, un des favoris.
Après cet épisode, le nouveau pape Pie X introduit le secret sous peine d’excommunication et l’interdiction pour un cardinal d’être le porte-parole d’une autorité extérieure au collège des cardinaux.
Plus récemment, Paul VI a lui également considérablement changé les règles du conclave, en interdisant aux cardinaux de plus de 80 ans d’y participer. Jean Paul II aussi va réformer l’élection du pape, introduisant une règle qui n’a jamais été appliquée car elle fut immédiatement supprimée par son successeur Benoît XVI. Pour ne pas qu’un conclave s’éternise, le pape polonais avait en effet demandé qu’à partir d’un certain nombre de scrutins, les cardinaux pourraient se contenter de la majorité absolue. Benoît XVI a réintroduit la majorité des deux tiers. Cet exemple montre comment un processus peut évoluer dans le temps tout en gardant la même appellation. (cath.ch/imedia/hl/rz)
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