Une enquête du mensuel Jeune Afrique accuse la Fraternité sacerdotale schismatique de Mgr Lefebvre d’avoir couvert des agressions sexuelles sur mineurs commis par ses membres à Libreville, au Gabon dans les années 1980-1990. Un collectif de victimes s’est constitué pour réclamer le jugement des prêtres agresseurs.
La mission de la FSSPX est installée au centre de Libreville depuis les années 1980. Au cœur de cette présence, plusieurs prêtres se seraient rendus coupables de viols sur des garçons mineurs.
En mars dernier, un reportage du média catholique Church Militant dénonçait déjà des auteurs de violences sexuelles au sein de la FSSPX dans le contexte africain.
L’enquête de Jeune Afrique mentionne en particulier le Père Patrick Groche, aujourd’hui âgé de 74 ans et retiré dans un prieuré du Sud de la France. Ordonné en 1976, arrivé en 1986 au Gabon, il y est resté jusqu’en 2008. Le mensuel rassemble le témoignage d’enfants abusés, aujourd’hui adultes, qui mettent en cause le prêtre.
Ancien servant de messe, Claude l’accuse d’avoir sexuellement abusé de lui pendant huit ans. Selon lui, plusieurs autres enfants auraient été victimes du Père qui affirmait à ces derniers que les hommes ont «aussi le droit de s’aimer». »J’avais l’impression qu’on lui appartenait. (…) Pendant que certains avaient les activités dans la cour, lui, il en profitait pour convoquer un enfant dans sa chambre. Une fois à l’intérieur, il vous demandait de s’asseoir sur le lit et de se mettre à l’aise. Lorsqu’il m’a invité, il était dans une tenue normale. Il n’avait pas de soutane, puis m’a demandé de me dévêtir, avant de me demander de monter sur lui «, a ouvertement déclaré Claude.
« Je savais que je n’étais pas seul. Il profitait de la naïveté des enfants, de l’argent qu’il pouvait donner, du fait qu’il pouvait financer leur scolarité en France… », témoigne une des victimes dans les pages du mensuel.
Le Père Damien Carlile, présent de 1991 à 2000, est lui aussi dénoncé par les anciens élèves des écoles de la FSSPX, pour des abus lors de sorties de vacances.
Si les comportements déviants étaient connus des supérieurs, les prédateurs étaient déplacés dans d’autres fondations, en Afrique ou ailleurs, ou trouvaient refuge dans une des maisons de l’Hexagone. Certains étaient écartés des responsabilités pastorales, sans autre sanction. La plupart des affaires étant prescrites, il n’y aurait pas de réponse judiciaire possible.
«L’accusation nous a été transmise, et le prêtre a reconnu les faits», a déclaré à l’hebdomadaire français La Vie Benoît de Jorna, supérieur de la FSSPX en France. Il précise qu’il n’y a pas eu d’action en justice, mais que l’abbé Groche est retiré de tout ministère.»Lorsqu’il y a accusation, on écoute les victimes, et on prend des mesures disciplinaires et canoniques.»
La Vie a publié une enquête plus large sur la réponse de la FSSPX face aux abus sexuels commis en son sein. Malgré la rupture de Mgr Lefebvre avec Rome en 1988, la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X a été sollicitée dans le cadre des travaux du rapport Sauvé. Ses dirigeants ont répondu de bonne grâce aux questions du président de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase) sur les actes commis dans ses rangs, note La Vie. »C’est une démarche qui s’inscrit dans les rapports que nous pouvons avoir avec les évêques de France», assure l’abbé de Jorna, ancien directeur du séminaire d’Écône, en Suisse.
Néanmoins, la Fraternité a refusé d’ouvrir ses archives à la Ciase. «Ce n’était pas une demande légitime, déclare Benoît de Jorna, qui souligne sa désapprobation du rapport Sauvé. « Nous partageons les griefs formulés par l’Académie catholique, en particulier sur l’extrapolation des chiffres.»
Les abus concernent aussi des écoles et des paroisses en France et en Europe. Diverses affaires judiciaires et enquêtes journalistiques ont défrayé la chronique ces dernières années.
Après deux ans de discussions informelles, un collectif de victimes d’abus au sein de la FSSPX a été créé en juillet 2022. «Un certain nombre de victimes attendent le défrocage de leur prédateur, l’adoption de véritables sanctions, annonce Benjamin Effa, porte-parole du collectif. Nous avons eu accès à des documents d’enquête interne de la Fraternité et ceux-ci révèlent un traitement largement insuffisant de ces cas. Le prédateur est simplement envoyé dans une ›prison dorée’ pour le sortir du circuit, avant de le renvoyer à l’étranger, si possible assez loin, quelques années plus tard.» Et sans avoir été dénoncé à à la justice civile. «La Fraternité exerce une forte influence sur les fidèles», rappelle Benjamin Effa, qui déplore l’omerta liée à l’idée qu'»accuser un prêtre est plus grave que l’agression commise par le prêtre».
De son côté, Benoît de Jorna affirme que la FSSPX s’est convertie à la ’tolérance zéro’ dans ses écoles, qui rassemblent sur le territoire français près de 2’000 élèves : »Il y a une charte extrêmement précise quant à l’action des prêtres et de nos collaborateurs dans la manière de se comporter vis-à-vis des enfants. On ne peut pas être professeur ou encadrant dans nos écoles sans montrer auparavant son casier judiciaire.»
Interrogé par La Vie sur la prévention des abus et sur le changement de mentalité à adopter, le prêtre indique que «les actes sont catastrophiques, mais ils ne concernent qu’une proportion infime de prêtres. Une insistance plus grande ferait croire que le nombre serait énorme, ce qui n’est pas le cas. Il ne faut pas développer à outrance ce qui ne doit pas l’être. Ce sont des actes innommables, mais ce n’est pas pour autant que l’on va faire des conférences sur le sujet.» (cath.ch/ja/cx/la vie/mp)
Maurice Page
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