Le mot «claque» est plusieurs fois utilisé dans la presse pour qualifier la surprise constituée par le résultat du vote lucernois. Beaucoup pensaient pourtant que le poids de la tradition serait prépondérant dans un canton qui a fourni depuis des siècles une bonne partie du contingent de l’armée du pape.
Chez les partisans du «oui», l’heure est ainsi plutôt à la dédramatisation. La Fondation pour la rénovation de la caserne de la Garde suisse pontificale au Vatican, créée spécialement afin de récolter les fonds en Suisse, a affirmé «respecter la décision» des Lucernois. Dans un communiqué, elle «regrette» toutefois «que le canton de Lucerne, dont les liens avec la Garde sont traditionnellement étroits, ne participe pas au financement du projet».
Stefan Wyer, chef du bureau suisse des médias et des relations de la Garde suisse pontificale, a assuré à kath.ch ne pas voir pas dans le «non» lucernois un signe de défiance contre la Garde. Le Valaisan estime qu’il y a de la sympathie et de l’estime, même dans le camp adverse, pour le travail de la Garde Suisse.
Pour lui et d’autres observateurs, le porte-monnaie a été le facteur décisif. Le point litigieux était notamment de savoir qui devait prendre en charge un tel financement, dans un environnement économiquement anxiogène. «400’000 francs n’est pas en soi un grand montant, estime ainsi David Roth, président du Parti socialiste cantonal dans le journal Le Temps. Mais nous sommes passés par de fortes mesures d’économies à Lucerne ces dernières années. Les écoles ont beaucoup souffert, il y a eu des licenciements. Et maintenant nous devrions donner de l’argent pour financer des baraquements militaires à l’étranger? Le parlement est passé complètement à côté des préoccupations des Lucernois.»
«L’Eglise catholique a un gros problème de crédibilité»
Willi Anderau
Même genre d’analyse chez Niels Jost, journaliste de la Luzerner Zeitung: «Le non massif s’explique par trois arguments essentiels qui ont su convaincre largement jusque dans le camp bourgeois. Premièrement, la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Ce n’est tout simplement pas le rôle du canton de cofinancer un projet de construction d’un appareil de sécurité dans un Etat étranger. Et encore moins au Vatican, qui dispose – deuxièmement – de moyens financiers suffisants pour financer lui-même la caserne». Troisièmement, explique l’éditorialiste, les non-catholiques n’ont pas compris pourquoi ils devaient eux aussi envoyer «leur» franc d’impôt à la Garde suisse, qui ne les concernent aucunement.
La «dé-catholicisation» de la société est un point mentionné fréquemment. Hansruedi Huber, porte-parole du diocèse de Bâle (dont le canton de Lucerne fait partie), voit dans le vote «l’expression d’une diversité culturelle toujours plus grande et de la privatisation du religieux qui en découle».
Le capucin Willi Anderau, résident de Lucerne, relève à kath.ch que «les catholiques sont désormais une minorité. C’est pourquoi on peut à juste titre se demander si, dans une société laïque, toute la population doit être mise à contribution pour soutenir financièrement la construction de la nouvelle caserne de la Garde suisse».
Pour le religieux, le problème d’image de l’Église catholique a également contribué au non. «L’Eglise catholique a un gros problème de crédibilité, estime-t-il. Non seulement en raison des nombreux cas d’abus révélés, mais aussi en raison des progrès hésitants et englués dans le traitement de réformes qui prennent beaucoup de retard. De nombreux catholiques se sont résignés et ont quitté l’Église. Pourquoi financer encore la construction d’une nouvelle caserne alors que de nombreuses questions plus importantes attendent toujours d’être résolues?» Pour Willi Anderau, le «non» lucernois envoie le signal à Rome que les choses ne peuvent plus continuer ainsi. (cath.ch/kath/arch/ag/rz)
Raphaël Zbinden
Portail catholique suisse
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