L’abbé Arnaud Evrat, recteur de la basilique Notre-Dame depuis 2014, reçoit cath.ch dans la Maison générale de la FSSP, basée dans le quartier du Schönberg, à Fribourg. «Au mois de juin 2012, Mgr Morerod nous a annoncé qu’il voulait nous confier la charge pastorale de la basilique. Une première messe en forme extraordinaire y a été célébrée le 2 septembre 2012», se rappelle le responsable de l’apostolat de la Fraternité à Fribourg. Interview.
La liturgie tridentine a une longue tradition, liée à Fribourg?
Abbé Arnaud Evrat: À Fribourg, en 1987, un groupe de jeunes laïcs, qui s’étaient connus pour certains à l’Université, avait fait en sorte qu’une messe tridentine soit célébrée chaque dimanche. A ce moment-là, la FSSP n’existait pas encore. C’est Jean Paul II qui avait motivé ces jeunes, en rendant la messe tridentine possible, sous certaines conditions, dès 1984.
«Depuis 1987, une messe tridentine a été célébrée chaque dimanche à Fribourg»
Comment ce groupe s’est-il organisé?
Ils ont obtenu l’autorisation en 1987 de Mgr Mamie, de célébrer chaque dimanche une messe tridentine, en pleine communion avec le diocèse. Ils devaient simplement trouver le prêtre, le lieu et le matériel. Ce fut chez les Ursulines, au Collège St-Michel, à St-Joseph de Cluny, puis de nouveau à St-Michel. L’église du Collège est très belle et très bien adaptée pour la liturgie ancienne; j’y ai célébré chaque dimanche, depuis mon ordination en 2006 jusqu’au départ pour la basilique Notre-Dame en 2012. Mais ça n’était pas idéal.
Pourquoi?
Car l’église était un peu trop grande pour la communauté d’environ cinquante fidèles que nous étions alors, et surtout, le Collège ne permettait pas de célébrer pendant les temps de cours, c’est-à-dire pendant la semaine. Or la FSSP avait été encouragée à célébrer tous les jours de la semaine depuis la promulgation du Motu proprio Summorum Pontificum de Benoît XVI, en 2007. C’est pour cela que Notre-Dame fut une excellente solution.
Le moment tombait plutôt bien?
Notre-Dame a connu des rénovations importantes qui ont duré des décennies, jusqu’en 2011. L’église, magnifiquement restaurée, pouvait à nouveau servir au culte, mais il n’y avait pas vraiment de projet pastoral. Elle était toujours desservie par des prêtres de la cathédrale, qui tiraient un peu la langue, parce que cela ajoutait encore une messe à celles qui étaient célébrées à la cathédrale. Cela fait partie des dossiers mis sur le bureau du nouvel évêque. En arrivant en 2011, Mgr Morerod était au courant de notre inconfort à St-Michel, et nous étions candidats pour la basilique. Il nous a alors demandé: que feriez-vous si vous étiez à Notre-Dame?
«La basilique Notre-Dame est historiquement ‘le lieu de la messe en latin à Fribourg'»
Et qu’avez-vous répondu?
Nous avons réalisé une sorte de projet pastoral, disant que cela permettrait d’avoir un lieu unique pour les messes quotidiennes de notre Fraternité, et que nous pourrions aussi assurer des permanences de confessions. Notre-Dame étant aussi un lieu marial, nous projetions de reprendre les processions mariales et les prières mariales tous les premiers dimanches du mois, avec la Congrégation mariale. Enfin, de retrouver des messes tridentines à la basilique était un clin d’œil au passé, puisque Notre-Dame est historiquement «le lieu de la messe en latin à Fribourg». En effet, même après la promulgation du Missel du Paul VI, les différents recteurs de la basilique, comme Mgr John Rast, y ont gardé une liturgie en latin, mais dans la forme ordinaire issue de la réforme conciliaire.
Après avoir rédigé ce projet, le supérieur et moi-même avons été convoqués à l’évêché, en juin 2012, et nous avons été informés que dès septembre, nous aurions la charge de la basilique à nous seuls.
Pourquoi ce choix d’après vous?
L’évêque a sans doute fait preuve de pragmatisme: dans la même rue, il y a cinq églises avec la messe de Paul VI célébrée chaque jour – la cathédrale, les Cordeliers, la Visitation, les Capucins et les Carmes un peu plus loin. En faisant venir la FSSP à la basilique, il n’y a pas eu une «concurrence» supplémentaire d’offre liturgique, mais une complémentarité. Et cela résolvait la question de la messe tridentine dont l’avenir à St-Michel était problématique. En outre, la basilique est une rare église à Fribourg, qui ne soit ni une paroisse, ni une communauté religieuse.
Notre-Dame de Fribourg
Pourquoi la basilique Notre-Dame a-t-elle un statut particulier?
Abbé Arnaud Evrat: Plus ancienne église de Fribourg, elle a été construite en 1201, comme chapelle de l’Hôpital. Mais dès que l’Hôpital s’est déplacé pour s’agrandir, à la fin de Moyen-âge, la basilique a toujours eu de la peine à trouver sa place, n’ayant jamais été une paroisse. Elle a été plusieurs fois menacée d’être démolie, notamment en 1968. Cette année-là, l’évêché, qui avait entretemps récupéré la propriété à l’Hôpital, a vendu l’église pour un franc symbolique à une fondation qui s’est constituée à ce moment-là, la Fondation de la Basilique Notre-Dame, qui est devenue propriétaire des biens mobiliers et immobiliers. De 1987 à 2011, de longues campagnes de levée de fonds et des restaurations par étapes se sont succédées: le clocher, les façades, les toitures, la sacristie et enfin l’intérieur, de 2009 à 2011. Au total: 25 ans de rénovation pour 11 millions de francs, dont 75% provenaient de dons privés et 25% de subvention de l’État.
Pourquoi est-elle devenue une basilique?
Comme cela arrive parfois au fil des siècle, les prêtres qui desservaient Notre-Dame se sont auto-érigés en chapitre, – peut-être par mimétisme, puisqu’il y avait juste à côté le chapitre St-Nicolas, fondé par le pape. Au 18e siècle, ce chapitre a été officiellement affilié à celui de St-Jean de Latran, la cathédrale du pape. C’est en 1932, que la collégiale Notre-Dame est devenue basilique, à l’occasion des 350 ans de la Congrégation mariale, fondée par saint Pierre Canisius, et de la rénovation de la chapelle du Rosaire, initiée par John Rast. Recteur de Notre-Dame de 1929 à 1981, il était aussi secrétaire de la nonciature à Berne. Par l’intermédiaire de Mgr Besson, évêque de l’époque, il a obtenu que Rome élève la plus ancienne église de Fribourg au rang de basilique: soit une église qui a un rôle important au sein d’un diocèse. Aujourd’hui encore, les deux objets propres d’une basilique sont visibles à Notre-Dame: l’ombrelle, jaune et rouge, avec les armes du pape et de l’évêque de l’époque [Pie XI et Mgr Besson, ndlr.], et la cloche, le ‘tintinabulum’, qui est censé annoncer la venue du pape. GR
Le choix d’avoir la basilique uniquement pour votre Fraternité ne vous a-t-il pas isolé?
Au contraire, en un sens, nous étions davantage à l’écart à St-Michel. Désormais, les Cordeliers sont à cinq pas. Les fidèles vont très souvent faire action de grâce chez eux dans la chapelle de l’adoration perpétuelle. Et un des frères franciscains vient régulièrement à la messe chez nous. Les liens se font naturellement de part notre proximité avec les autres églises. Des fidèles d’autres paroisses viennent volontiers se confesser à Notre-Dame, ou prier un moment dans la journée. Parfois des fidèles de la cathédrale viennent même prendre l’apéro que nous organisons devant la basilique en sortant de la messe.
J’ai des contacts réguliers et fraternels avec le curé de la cathédrale et les autres prêtres du décanat. Le secrétariat pour tous nos registres, c’est celui de la cathédrale, donc je vais régulièrement les embêter pour cela… Nous ne sommes pas du tout une Église dans l’Église. Nous sommes un lieu sur le territoire de l’Unité pastorale qui est intégré. Nous proposons des sacrements d’initiations: baptême, première communion et confirmation. Des couples y viennent régulièrement célébrer leur mariage. Et il y a eu quelques fois des ordinations sacerdotales célébrées chez nous par les évêques du diocèse pour des prêtres religieux du quartier.
Comment décririez-vous votre communauté de fidèles?
Notre communauté n’est pas fermée sur elle-même. Certains fidèles viennent chaque dimanche, d’autres de temps en temps. Certains viennent un dimanche sur deux, en alternance avec une autres paroisses ou une communauté religieuse de la ville. D’autres encore viennent seulement pour les grandes fêtes, mais le reste du temps ils vont ailleurs. Il serait faux de penser que nous avons des cloisons étanches.
«La FSSP fait partie de ce ‘turn over‘ fribourgeois»
Ce qui était peut-être vrai il y a dix ou vingt ans, ne l’est plus aujourd’hui. La jeune génération vit davantage sa foi «à la carte». Pratiquement plus personne ne sait quelle est sa paroisse ou ne reste uniquement dans sa paroisse. Tout est toujours en mouvement. Les gens sont peut-être davantage consommateurs. S’ils aiment, ils viennent; s’ils n’aiment pas, ils ne viennent plus. Et nous faisons partie de ce turn over fribourgeois.
Comment cela se passe au niveau du fonctionnement et de l’intendance?
Avoir confié la basilique à la FSSP, en lien avec la fondation – qui est propriétaire, qui s’occupe de l’entretien, et dont les membres sont des fidèles proches de notre communauté –, donne une dynamique pastorale intéressante. Nous ne sommes pas une paroisse et le contrat qui liait la basilique à la cathédrale a été dénoncé en 2010, car le conseil de paroisse St-Nicolas St-Paul, ne voulait pas avoir à payer les frais de culte, de sacristain, de chauffage, d’électricité de Notre-Dame. Il fallait donc trouver un moyen pour que la basilique «tourne».
«Confier la basilique à la FSSP a permis au diocèse de la faire ‘tourner’ sans qu’elle soit une charge»
La confier à la FSSP a permis de mettre des forces vives, de remplir l’église et qu’elle ne soit pas une charge financière pour le diocèse ou les paroisses. Car pour ce qui est du fonctionnement pastoral, nous ne vivons que des quêtes des fidèles. Les organistes, les fleuristes et la sacristine sont bénévoles, seuls certains chanteurs sont payés, ponctuellement. Pour être juste, il faut tout de même préciser que le Bureau interparoissial de la Ville de Fribourg (BIP) aide chaque année la Fondation à couvrir une partie des frais de fonctionnement du bâtiment.
Et pour les prêtres de la Fraternité?
Les membres de la FSSP ne touchent pas à proprement parler un salaire. Le diocèse défraye la Fraternité pour le travail pastoral que nous faisons à Genève, Neuchâtel, Fribourg et Bulle.
Quel bref bilan tirez-vous de ces dix ans de service à la basilique?
Ce qui était un pari il y a dix ans s’est avéré être une excellente intuition de Mgr Morerod. Cela nous permet de rendre service dans la ville de Fribourg, je pense particulièrement au ministère des confessions, sans problème de rite, qui ont lieu tous les jours, sauf le mercredi, et dont les horaires sont communiqués par le décanat. Le choix n’a pas été un isolement, puisque Notre-Dame est au cœur de la ville. Un exemple parlant: à la consécration épiscopale de Mgr Alain de Raemy, la célébration à la cathédrale était retransmise dans la basilique, et l’évêque auxiliaire est venu donner ensuite la bénédiction aux fidèles. Finalement, je peux dire que notre communauté est vivante et s’est bien développée en dix ans. (cath.ch/gr)
Rite tridentin ou forme ordinaire?
L’évêque pourrait-il vous envoyer célébrer en français dans une autre paroisse?
Abbé Arnaud Evrat: Notre communauté, la Fraternité Saint-Pierre, a un charisme et une identité propre. Et l’Église encourage fortement tous les chrétiens, mais particulièrement les évêques et les prêtres, à être attentifs au respect du charisme de chaque communauté religieuse. En ce qui nous concerne, notre charisme est entre autre d’avoir une certaine spécificité liturgique. Le but n’est pas de nous demander d’aller boucher des trous dans d’autres paroisses. En plus, à Fribourg, sur une trentaine de messes dominicales, il y en a deux en forme extraordinaire. On ne peut donc pas dire qu’il y a trop de prêtres qui célèbrent en latin.
Avez-vous déjà célébré une messe en français depuis votre ordination?
Non, car, bien que chaque prêtre reste libre de célébrer selon la forme ordinaire, notre communauté n’est pas «biritualiste». Notre posture sur le sujet est évidemment très délicate, a fortiori depuis le Motu proprio Traditionis custodes du pape François. Pour vous répondre, je dirais qu’il y a deux manières de le comprendre. Une manière positive, qui est de dire que je suis attaché à ce que je fais, et que cette manière de célébrer me comble, sinon je serais allé ailleurs. Il y a une interprétation négative, qui est celle de ceux qui n’aiment pas beaucoup ce que nous faisons et prétendent ainsi qu’en répondant ‘non’ à votre question, nous mettons en doute la validité de la forme ordinaire. Cela est totalement faux: nous ne mettons pas en cause la validité, la licéité ou la «fructuosité» de la forme ordinaire. Sinon ce serait de la schizophrénie, parce qu’en ce qui me concerne, j’ai été ordonné par un cardinal qui disait tous les jours la messe en forme ordinaire.
Pourquoi alors ne pas célébrer en français?
L’ancien curé de la cathédrale et qui était aussi recteur de la basilique avant moi, m’avait demandé à plusieurs reprises de venir concélébrer à la cathédrale. «Cela symboliserait une belle unité entre nous», disait-il. Je suis tout à fait d’accord avec lui, mais je n’ai jamais accepté sa proposition, car ma démarche n’aurait pas été sincère, mais uniquement politique. J’aurais été mal à l’aise avec ce rite dans lequel je n’ai jamais célébré, avec la communion que je n’ai jamais distribuée dans la main. Pour moi, l’unité est de toute façon déjà là, parce que je sais que nous professons le même credo, que nous sommes sous l’autorité du pape et des évêques, et que nous célébrons les sept mêmes sacrements. Le fait qu’il y ait plusieurs formes dans la manière de célébrer n’empêche pas l’unité. De même que les différents rites que l’Église reconnaît ou à reconnu au fil du temps n’ont jamais entravé son unité dans la diversité. GR
Grégory Roth
Portail catholique suisse
https://www.cath.ch/newsf/fribourg-la-basilique-notre-dame-desservie-depuis-10-ans-par-la-fssp/