Aumônerie musulmane: un besoin constant de professionnalisation

«Pouvoir compter sur des homologues musulmans est devenu une nécessité dans notre travail», affirment les aumôniers chrétiens suisses. Ils ont pris part, le 13 septembre 2022, à un colloque à l’Université de Fribourg organisé par le Centre Suisse Islam et Société (CSIS), sur le thème «Accompagnement spirituel musulman dans le contexte interreligieux et séculier».

Ils sont une centaine de toute la Suisse – aumôniers, bénévoles ou théologiens, principalement chrétiens et musulmans –, du monde hospitalier, académique, pénitencier, scolaire ou militaire, a avoir échangé au sujet de la place et des défis de l’aumônerie musulmane au sein des institutions publiques.

Un constat général: la fonction de l’aumônier est en constante évolution, ont relevé les orateurs du jour. Elle a été d’abord de type ‘confessionnelle’: l’aumônier représente une appartenance religieuse, au nom de laquelle il-elle se présente dans l’hôpital, et son activité est principalement destinée aux patients de cette même appartenance. La fonction tend à devenir ‘non-confessionnelle: l’aumônier est nommé-e en raison de son lien avec une appartenance religieuse, mais il-elle ne se présente pas en son nom, et son activité est destinée à tous les patients.

De ‘aumônier’ à ‘accompagnant spirituel’

«A titre d’exemple, depuis 2006, au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM), les aumôniers portent le titre ‘d’intervenant-e-s en soins spirituels’ (de l’anglais: ‘spiritual care’). De même, au CHUV à Lausanne, les aumôniers sont habituellement présentés comme ‘accompagnant-e-s spirituels'», relève Pierre-Yves Brandt, de l’Institut des sciences sociales des religions, à l’Université de Lausanne.

Pierre-Yves Brandt, professeur de l’Institut des sciences sociales des religions, à l’Université de Lausanne | © Grégory Roth

«Sur le terrain, le besoin d’avoir un accompagnement personnalisé se fait de plus en plus sentir, notamment de la part des patients musulmans, pour lesquels mes compétences ont leurs limites. C’est un luxe de pouvoir compter sur les collègues musulmans afin de prendre le relai», reconnaît Evelyne Oberson, responsable catholique pour l’aumônerie des Hôpitaux Universitaire de Genève (HUG). Un cas unique: à Genève, l’aumônerie hospitalière est composée de six confessions qui collaborent étroitement: protestante et catholique, institutionnalisées, et catholique chrétienne, chrétienne orthodoxe, juive et musulmane, bénévoles.

La pratique en avance sur la théorie

«En matière d’aumônerie musulmane, la pratique est en avance par rapport à la théorie», précise la chercheuse Dilek Uçak Ekinci, qui a répertorié les demandes types de patients musulmans en Suisse allemande. Son étude montre que les femmes sont globalement bien acceptées en Suisse au chevet des patients masculins. Elle observe également que les imams ne sont pas majoritairement demandés, sauf lorsqu’un rite nécessite leur présence. Une tendance comparable à celle concernant les prêtres et les pasteurs, dans les sollicitations de patients chrétiens.

La chercheuse Dilek Uçak Ekinci, doctorante aux Universités de Fribourg et Zurich | © Grégory Roth

Quelques expériences pionnières en la matière

«A l’Hôpital cantonal de St-Gall, une présence de l’aumônerie musulmane a été mise en place les vendredis. Mais les demandes sont en augmentation durant le reste de la semaine, ce qui est positif», se réjouit Dolores Schwab, chargée de la qualité des soins de l’institution.

Mohamed Batbout, pour le canton de Fribourg, se félicite de la collaboration des aumôneries dans le milieu carcéral. L’aumônier musulman plaide aussi pour un développement de la formation. Il milite afin que les jeunes générations s’intéressent à ce métier.

L’aumônier et imam zurichois Muris Begovic | © Grégory Roth

Zurich fait figure de pionnière avec son Aumônerie musulmane (QuaMS), bien intégrée dans le triangle: État, Hôpitaux et Églises. Son responsable, Muris Begovic, a recensé 319 interventions de bénévoles durant l’année 2021. «Nous souhaitons que le triangle deviennent un carré, en intégrant aussi le monde académique, de sorte à renforcer la professionnalisation de notre service», ajoute l’imam zurichois, qui est aussi le premier musulman à être aumônier de l’armée suisse.

Pas d’aumônerie ‘confessionnelle’ à l’armée

«Dans le contexte militaire, il n’y a pas d’aumônerie musulmane… comme il n’y a pas d’aumônerie chrétienne ou d’une autre dénomination religieuse», explique Noël Pedreira, remplaçant du chef de l’Aumônerie de l’armée. «Les membres de l’aumônerie de l’armée partagent une conception commune de l’assistance spirituelle, certes ancrée dans un contexte marqué par l’héritage chrétien, mais dans laquelle peuvent se reconnaître les adeptes d’autres religions».

Un premier CAS romand pour l’aumônerie musulmane

En 2021, seize aumôniers musulmans de Suisse allemande ont reçu leur CAS (Certificate of Advanced Studies). Le Centre Suisse Islam et Société (CSIS) offre, dès septembre 2022, cette formation pour la première fois en Suisse romande. Ce CAS sera proposé, à travers huit modules. Les participant-e-s vont étudier les approches de l’aumônerie en contexte séculier et pluriel, ainsi que les exigences liées à l’accompagnement spirituel dans les institutions publiques.

«Cette formation, dispensée par des juristes, imams et théologiens, va leur permettre un encouragement à la pensée critique, à partir de sources islamiques et la réflexion islamo-théologique», précise Hansjörg Schmid, professeur et directeur du CSIS. (cath.ch/gr)

Hansjörg Schmid, professeur et directeur du Centre Suisse Islam et Société (CSIS) | © Grégory Roth

Grégory Roth

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