Accueil de réfugiées à Marly: «L’Ukraine c’est à côté de chez nous!»

Depuis six mois, Roland et Rose-Marie ont été les chevilles ouvrières de l’accueil de trois familles de réfugiées ukrainiennes à la cure de Marly, dans le canton de Fribourg. A l’heure où l’une d’elles est rentrée en Ukraine et où les deux autres s’installent plus durablement en Suisse, ils témoignent d’une expérience à 100% positive.

Un gros classeur fédéral vert presque plein trône sur la table. Il contient l’ensemble des documents administratifs liés à l’accueil des réfugiées ukrainiennes à la cure de Marly depuis presque six mois. «Nous avons le temps, mais nous avons pris ce temps», commentent Roland et Rose-Marie, tous deux retraités.

«Notre avenir est en Ukraine»

Mais l’essentiel n’est pas là. Roland ouvre son téléphone portable pour nous faire voir une vidéo de Margot qui lui envoie pleins de bisous. Après cinq mois passés à Marly, la petite Ukrainienne de cinq ans, sa sœur, sa maman et sa grand-maman sont rentrées au pays depuis le 19 août. «Elles vont bien. Même si elles doivent rester attentives aux sirènes d’alarme, la région où elles se trouvent est calme.»

Tatiana et sa mère ont considéré que leur avenir et celui de leurs enfants n’était pas en Suisse, mais bien en Ukraine. La jeune enseignante voulait retrouver son mari policier et sa mère avait trop le mal du pays. Tatiana avait appris aussi que les enseignants qui avaient quitté l’Ukraine étaient licenciés. Elle a préféré retourner servir en son pays où elle a repris l’enseignement, pour le moment en ligne. Les quatre femmes ont pu rentrer dans la famille du mari de Tatiana, à environ 200 km de leur ancien domicile, dans la province de Mikolaiev.

Physiquement et moralement, elles étaient bien remises de leur exil. La grand-maman a même pu se faire opérer de la cataracte pendant son séjour en Suisse. «Avec l’argent récolté dans la région nous avons pu leur constituer un petit pécule de départ.»

Dix millions de personnes ont fui leur foyer depuis le début de l’invasion russe, selon l’ONU | © AP Photo/Marc Sanye/Keystone

Pas de retour pour les autres familles

«Nous avons fait le point avec les deux autres mamans et leurs filles au début de la semaine. Pour le moment, elles n’imaginent pas rentrer en Ukraine. Pour elles, ce serait suicidaire. Nous avons prévu qu’elles restent encore au moins un an.»

Mais l’accueil à la cure évolue, car Anastasia qui parle allemand a trouvé du travail d’abord dans une fromagerie – qui était son domaine d’activité en Ukraine – puis dans un restaurant à St-Sylvestre et compte s’y installer avec ses deux filles. La dernière, Natalia, devrait rester à Marly avec sa fille qui a intégré le CO. Mais si elles ne sont plus que deux, la cure est bien trop grande. Un nouveau logement sera proposé.

Pas question pour autant pour Roland, Rose-Marie et leurs amis de les laisser tomber. Ils feront tout pour continuer à les accompagner sur leur chemin d’intégration. «L’obstacle de la langue reste très élevé, surtout quand on cherche du travail.» Des cours de français et les exercices de conversation commencent à porter des fruits, mais le chemin sera encore long.

Les longues files de femmes en fuite

Rien ne prédisposait en soi ce couple de retraités à se lancer dans l’aventure de l’accueil de réfugiés. Ils étaient certes engagés dans diverses activités sociales, mais rien de ce type. C’est à travers les images de la télévision qu’ils ont été interpellés. «Nous n’avions aucun lien, ni aucune connaissance de l’Ukraine. Mais ces longues files de mamans en fuite avec à la main leurs enfants et un maigre baluchon nous ont choqués. Imaginez un seul instant: vous vous trouvez tranquillement dans votre salon, quand soudain les fenêtres éclatent sous les bombes et vous devez quitter votre maison dans les heures qui suivent… Nous pouvions certes envoyer de l’argent, mais il fallait faire quelque chose de concret pour ces femmes qui fuyaient pour sauver leurs enfants.»

Une cure inoccupée

La cure de Marly accueille des réfugiées ukrainiennes depuis six mois | © Maurice Page

Ancien conseiller de paroisse, Roland se souvient que la cure de Marly est vide depuis le départ des sœurs qui l’occupaient. Le bâtiment pourrait très bien se prêter à l’accueil. Contacté le président de paroisse donne rapidement son accord: «Oui, mais vous vous en occupez vous-mêmes». Ni une ni deux, Roland contacte l’association «Osons l’accueil» qui, débordée, le renvoie directement à l’ORS l’organisme mandaté par la Confédération et le canton pour l’accueil des réfugiés. «Pouvez-vous recevoir des familles rapidement?» Dare dare, il faut rééquiper la cure. Avec quelques amis, ils rassemblent le nécessaire, lits, literie et autres fournitures.

Moins d’un mois après l’invasion russe

Les deux premières familles arrivent le 18 mars, moins d’un mois après l’invasion russe. «Elles étaient épuisées, moralement et physiquement après des nuits dans les abris et un difficile voyage d’une dizaine de jours». Immédiatement, la solidarité locale se déploie. Le président de paroisse fait une annonce à la messe. Nourriture, vêtements, jouets, argent, proposition de divers services affluent. «J’ai été épatée de tant de générosité», témoigne Rose-Marie. Deux semaines plus tard, la troisième famille arrive.

Elan de solidarité

Le goût de vivre retrouvé | DR

Pour Roland et Rose-Marie, l’objectif est de leur redonner le goût de vivre en assurant leur autonomie et leur intégration. «Je suis allée faire les courses avec elles, je ne me suis pas contentée de remplir leur frigo», illustre Rose-Marie. Cinq jours après leur arrivée, les enfants sont déjà l’école. Roland accompagne les démarches administratives, leur fait ouvrir un compte bancaire, signe des contrats de téléphone mobile. Il faut même ‘régulariser’ le petit chien arrivé dans les bras des fillettes.

Pour leur redonner un cadre de vie stable et sûr, ils leur font découvrir la région. Rapidement elles sont allées elles-mêmes faire des promenades… au sommet de la tour de la cathédrale de Fribourg, au marché de Bulle, ou simplement le long de la Gérine. Deux personnes établies dans le canton et connaissant l’ukrainien acceptent de servir d’interprètes. Les traducteurs automatiques sur smartphone fournissent bien une petite aide. Mais cela reste aléatoire.

Quelques semaines plus tard, les Ukrainiennes sont très fières d’inviter Rose-Marie, Roland et des amis ‘chez elles’. «Elles ont fait preuve d’une extrême gentillesse et d’une très grande reconnaissance». Roland a certes entendu parler et constaté ‘l’arrogance’ de certaines personnes parmi les réfugiés d’Ukraine, mais rien de tel à Marly.

«Je tire mon chapeau à l’ORS»

Aucun grief non plus envers les professionnels de l’ORS: «Je leur tire mon chapeau. Ils ont su agir dans l’urgence avec compétence et efficacité. Les contacts ont été très bons.»

Le couple a aussi essuyé quelques remarques: «Pourquoi faites-vous tant pour les Ukrainiens et rien pour les Ethiopiens, les Syriens ou les Afghans?» «Certes, mais la plupart du temps, il a suffi de leur retourner la question: ‘et vous, qu’avez-vous fait?’»

Positif à 100%

Quel bilan tirer de cette expérience? «Pour nous, il est à 100% positif. Nous nous sommes ouverts à des personnes d’une autre culture. Nous avons appris à ressentir leur détresse. Par exemple en vivant auprès d’elles un dimanche triste d’angoisse, alors que leur ville était bombardée pendant 48h. L’Ukraine c’est vraiment à côté de chez nous! Notre seul regret est de ne pas pouvoir discuter avec elles de manière personnelle.  Nous réitérons nos remerciements à nos amis pour leur aide, à la paroisse pour la mise à disposition du logement. Accueillir directement des gens chez soi, en partageant notre appartement, aurait certainement été plus compliqué», admet Roland. (cath.ch/mp)

Maurice Page

Portail catholique suisse

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