L’Osservatore Romano du 31 août 2022 rend hommage dans sa Une à un «visionnaire humaniste» et «romantique». Le quotidien du Saint-Siège met en valeur «le renouvellement de la politique religieuse et l’engagement pour la liberté de conscience et de religion» qui furent des marqueurs de sa présidence. Malgré son adhésion personnelle à la doctrine socialiste athée et ses difficultés avec les cadres du Parti communiste les plus rigides.
Lors du millénaire du baptême de la Russie en 1988, conscient des préjugés antireligieux des membres du Politburo, Gorbatchev avait demandé à ses collaborateurs de ne pas leur envoyer de compte-rendu de son entretien avec le cardinal Casaroli, secrétaire d’État du Saint-Siège, sous prétexte que ce dialogue aurait été «incompréhensible» pour eux, rapporte le journal du Saint-Siège.
Pour sa part, interrogé par l’ANSA, le président de l’Académie pontificale pour la Vie, Mgr Vincenzo Paglia, souligne les contradictions de ce personnage historique qui «croyait dans le communisme et dans la démocratie». Mgr Paglia, membre de Sant’Egidio, avait été personnellement impliqué dans l’organisation du premier voyage de Gorbatchev au Vatican, en rencontrant l’un de ses conseillers au cours d’un voyage à Moscou.
Il se souvient du climat étonnamment amical et fraternel du sommet organisé au Vatican, au terme duquel le leader soviétique avait été enthousiasmé par la pensée sociale de Jean Paul II. «Au point qu’il m’a confié qu’il serait toujours du côté du pape. Finalement, ils s’étaient compris et se faisaient confiance l’un l’autre», explique l’archevêque italien.
Alors évêque de Terni, en 2001, Mgr Paglia avait remis un prix à l’ancien leader soviétique. «Durant son intervention, il a accepté de parler justement de la doctrine sociale de Jean Paul II. Ce fut un moment extraordinaire», se souvient l’archevêque italien. Le dernier président de l’URSS a visité l’Italie à de nombreuses reprises après avoir quitté le pouvoir, allant jusqu’à exprimer sa fascination pour saint François d’Assise lors d’une visite dans la cité ombrienne, en 2008.
Au sein des épiscopats européens, l’une des réactions les plus significatives est venue du président de la Conférence des évêques allemands (DBK), Mgr Georg Bätzing, qui estime que c’est grâce à Gorbatchev que «la réunification de l’Allemagne a été rendue possible, tout comme un nouveau réveil de la vie ecclésiale dans les anciens pays du bloc de l’Est».
Il estime, sur Twitter, que «le monde serait différent aujourd’hui s’il n’y avait pas eu à l’époque lui et son intervention courageuse pour faire tomber le mur de Berlin». Évoquant, dans le contexte de la guerre en Ukraine, les menaces posées par «les régimes autocratiques», Mgr Bätzing estime «que la mort de Mikhaïl Gorbatchev nous rappelle à tous que la réconciliation est possible, même en ces temps difficiles. Mes prières accompagnent le défunt», assure le président de l’épiscopat allemand.
Dans le contexte actuel de tensions entre l’Europe et la Russie, peu de réactions ont en revanche été exprimées parmi les épiscopats d’Europe centrale, où le dernier président soviétique demeure associé au souvenir de l’emprise de Moscou. L’agence KAI, liée à l’épiscopat polonais, remarque toutefois la bonne entente de Jean Paul II avec Mikhaïl Gorbatchev lors de leur entretien du 1er décembre 1989, durant lequel ils se parlèrent en russe, avec une familiarité qui surprit leurs entourages.
Contrairement à l’idée reçue, il ne s’agissait pas à proprement parler de la première rencontre d’un pape avec un président soviétique: le 30 janvier 1967, Paul VI avait en effet reçu le président du présidium du Soviet suprême, Nikolaï Podgorny, qui était, d’un point de vue juridique, le chef de l’État soviétique. Mais le pouvoir réel de Podgorny, dans le cadre d’une forme d’exercice collégial du pouvoir, était largement inférieur à celui du secrétaire général du Parti Communiste d’Union Soviétique, Leonid Brejnev, qui pour sa part n’a jamais rencontré le pape.
D’autres échanges avec des responsables soviétiques ont eu lieu, sans que le Saint-Siège et l’URSS n’entretiennent de relations diplomatiques officielles. Le premier contact fut la réception par Jean XXIII du gendre de Khrouchtchev, le rédacteur en chef du quotidien Izvestia Alexei Adjoubei, le 7 mars 1963. Le ministre des Affaires étrangères Andrei Gromyko, qui fut le seul responsable soviétique à travailler avec tous les dirigeants successifs de Staline à Gorbatchev, fut également par la suite reçu à plusieurs reprises au Vatican, par Paul VI et Jean Paul II.
Mais c’est bien l’entretien entre le pape polonais et Gorbatchev en personne qui marqua un tournant, les deux chefs d’État – le plus petit et le plus grand du monde – s’accordant sur le concept de «Maison commune européenne». «Sur le moment, cette idée qu’on puisse dresser des passerelles entre les deux parties de l’Europe était enthousiasmante», rappelait en mars dernier le journaliste Bernard Lecomte, biographe de Jean Paul II et de Gorbatchev, dans un entretien à l’agence I.MEDIA.
«Le dirigeant soviétique, visiblement ému, avait dit spontanément à Jean Paul II: ‘Je vous invite très chaleureusement à Moscou’. Il avait présenté le pape à son épouse en lui disant: ‘Raïssa, je te présente l’un des hommes les plus importants du monde, et il est slave, comme nous!’. Il était enthousiaste comme un enfant!», rappelait Bernard Lecomte.
Après sa chute en 1991, l’ancien leader déchu reverra le pape à plusieurs reprises, notamment pour le Jubilé des hommes politiques en l’an 2000. En revanche, il n’avait pas pu se rendre à ses obsèques, le 8 avril 2005. Gorbatchev rappellera alors le rôle fondamental de Jean Paul II dans la fin de la guerre froide, notamment à travers son soutien au syndicat Solidarnosc en Pologne, qui avait cassé la crédibilité du Parti communiste comme instance de promotion de la condition des ouvriers.
Cet effondrement de l’URSS, lié à l’effondrement en ‘dominos’ des régimes communistes en Europe centrale, avait ainsi apporté une réponse à la question ironique de Staline: «Le pape, combien de divisions?». Au fil des années 1980, le soft-power du Vatican, lié naturellement au charisme personnel de Jean Paul II, s’était montré plus efficace que la pression militaire.
Au soir du 31 août, aucun message du pape François n’était encore diffusé concernant le décès de Mikhail Gorbatchev. (cath.ch/imedia/cv/rz)
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