«Je suis de près, avec inquiétude et tristesse, la situation au Nicaragua», a déclaré le pape François en marge de l’Angélus du 21 août 2022. Le pontife a également espéré que «grâce à un dialogue ouvert et sincère, les bases d’une coexistence respectueuse et pacifique puissent encore être trouvées».
De telles paroles étaient attendues depuis longtemps, alors que les événements se sont dramatiquement accélérés dans ce petit pays d’Amérique centrale. L’arrestation de Mgr Rolando Alvarez, évêque de Matagalpa, et de huit de ses collaborateurs, le 19 août, a été largement diffusée par les médias et a provoqué une vague d’indignation internationale.
Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU s’est dit très préoccupé par «les dernières mesures contre les organisations de la société civile, dont celle de l’Eglise catholique». La diplomatie suisse s’est également prononcée, le Département fédéral des affaires étrangères appelant le gouvernement nicaraguayen à «respecter la liberté de religion».
Vingt-quatre anciens chefs d’Etats hispanophones, dont l’ex-Premier ministre espagnol Jose Maria Aznar et l’ancien président argentin Mauricio Macri, ont demandé conjointement au pape d’intervenir «avec une position forte».
Face à cela, il était difficile pour François de rester dans le silence. L’expression de son inquiétude et son appel au dialogue ont donc été bien accueillis. Certains ont cependant remarqué l’aspect tardif et «timide» de la démarche, alors que la situation est préoccupante depuis longtemps, au Nicaragua, note le philosophe et politologue vénézuélien Edgar Beltran dans une analyse publiée le 25 août 2022 dans le média américain The Pillar. «Dans toute l’Amérique centrale, les catholiques se demandent pourquoi le pape François a été lent à critiquer un régime nicaraguayen déterminé à persécuter l’Église».
Il y aurait, face à cela, deux grandes opinions. Une première estime que le pontife ne critique pas la situation de l’Église au Nicaragua en raison de ses affinités idéologiques ou politiques. Selon la seconde, il voudrait éviter qu’une critique trop directe ne puisse aggraver la situation.
La première hypothèse séduit bien évidemment plus facilement les détracteurs du pape François. Ils relèvent que ce dernier serait influencé par les mêmes idées sociales et économiques qui, en théorie, sous-tendent le régime du président Daniel Ortega, placé à l’extrême-gauche de l’échiquier politique. Ils reprochent à François de critiquer vivement les excès du capitalisme tout en restant silencieux sur les violations des droits humains dans des régimes «de gauche» tels que le Nicaragua ou la Chine.
«La conviction du pape François que le dialogue peut surmonter toutes les situations semble très forte»
«Mais si les détracteurs du pape le qualifient parfois de marxiste, cette étiquette ne reflète pas son réel enseignement sur la politique et l’économie», note Edgar Beltran. Le politologue rappelle que le pontife a critiqué, dans le passé, le marxisme en général et son application dans certaines expressions de la théologie de la libération. Que le pape François tente de ménager le régime Ortega par «affinité idéologique» paraît donc plutôt improbable.
L’idée qu’il s’efforce de ne pas aggraver la situation au Nicaragua «tient en revanche la route», estime Edgar Beltran. Selon des rapports locaux, un canal de dialogue a été ouvert entre la conférence épiscopale nicaraguayenne et le régime Ortega, après l’arrestation de Mgr Álvarez. L’objectif était de négocier la possibilité pour l’évêque d’un exil, plutôt que d’une détention. Finalement, Mgr Álvarez a refusé d’être exilé et a été placé en résidence surveillée. Mais, pour Edgar Beltran, il est raisonnable de penser qu’une condamnation ferme du régime par le pape François aurait pu mettre fin à ces négociations, et mener l’évêque dans une véritable prison.
Le pontife argentin voudrait notamment éviter de reproduire la situation qui avait cours sous le pontificat Jean Paul II. Le Polonais, influencé par son histoire de confrontation aux régimes communistes de l’Europe de l’Est, s’était opposé frontalement au gouvernement sandiniste d’Ortega, dans les années 1980. Cela avait eu pour conséquence une intensification de la répression contre l’Eglise.
Le politologue vénézuélien pense également que l’expérience de la diplomatie vaticane dans son propre pays encourage l’évêque de Rome. Face au régime socialiste de Nicolas Maduro, le Saint-Siège a en effet toujours privilégié la modération et le dialogue. Le silence relatif de l’Eglise lui aurait permis de rester modérément libre et opérationnelle, et de jouer un rôle dans les tentatives – jusqu’à présent infructueuses – de négociation entre le gouvernement et l’opposition. «Certains Vénézuéliens affirment que si le pape François avait adressé des paroles plus dures au dictateur, (…) l’Église vénézuélienne serait aujourd’hui le Nicaragua 2.0», souligne Edgar Beltran.
Certains affirment que la prudence diplomatique n’atténue généralement pas la persécution des chrétiens. Ils citent l’exemple de la Chine, où l’accord du Saint-Siège avec Pékin a été perçu comme une victoire de relations publiques pour le gouvernement chinois, avec peu de concessions réelles accordées à l’Église.
Les derniers développements au Nicaragua semblent plutôt appuyer cette vision des choses. Au 26 août, Daniel Ortega n’a toujours pas réagi à l’appel du pape François à un dialogue sur la situation délicate des droits de l’homme dans le pays. Selon les observateurs locaux, cela indique que le président n’est tout simplement pas intéressé par un accord, rapporte le portail Confidencial Digital. Le régime a répondu le 24 août à l’allocution du pontife en fermant une autre station de radio catholique.
La conviction du pape François que le dialogue peut surmonter toutes les situations semble très forte. Outre le cas de la Chine, Jorge Bergoglio s’est également toujours refusé à condamner explicitement Vladimir Poutine en rapport à l’invasion de l’Ukraine. Il s’efforce notamment de rencontrer Cyrille Ier, le patriarche de Moscou, caution religieuse du président russe. Pour l’instant en vain.
L’attitude conciliante de la diplomatie du Saint-Siège s’explique aussi par le contexte mondial. François et ses conseillers doivent prendre en compte un environnement où la sécularisation est galopante et où la voix de l’Eglise est de moins en moins entendue. Le Vatican estime devoir ainsi jouer une partition diplomatique plus humble et plus pragmatique, analyse Edgar Beltran. «Au lieu de condamnations largement symboliques, le pape dirait probablement qu’il essaie d’obtenir des résultats réalisables, aussi petits soient-ils». (cath.ch/pillar/ag/arch/rz)
Raphaël Zbinden
Portail catholique suisse
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