La doctrine chrétienne doit suivre la vraie et légitime règle du progrès, afin d’être «consolidée par les années, élargie par le temps, affinée par l’âge», affirme le pape François. Une conception directement inspirée de saint Vincent de Lérins. La pensée du moine de Gaule méridionale apparait régulièrement dans les discours, documents ou entretiens papaux, depuis son élection en 2013, explique l’agence américaine Catholic News Service (CNS) dans un article d’août 2022.
François a ainsi contribué à faire connaître ce théologien peu connu, bien qu’autrefois fort influent, qui a vécu au 5e siècle dans le monastère des îles de Lérins, en face de Cannes. Il a rédigé vers 434 le Commonitorium, dans lequel il énonce les critères permettant de savoir si une doctrine est orthodoxe ou hérétique. L’ouvrage deviendra l’une des lectures de référence dans l’Occident chrétien.
Des principes qui ont pris peu de rides, au vu de l’influence qu’ils ont encore sur un pape du 21e siècle. Pas plus tard qu’en juillet dernier, dans l’avion le conduisant du Canada à Rome, le pontife avait confirmé que saint Vincent de Lérins offrait une règle «particulièrement limpide et éclairante» pour un développement approprié de la doctrine.
Un accompagnement intellectuel donc bienvenu pour un pontife toujours tenu à un exercice d’équilibrisme. Comme chacun de ses prédécesseurs, «le pape François a la tâche difficile de protéger le dépôt de la foi tout en encourageant la croissance et le progrès légitimes», explique à CNS Mgr Thomas G. Guarino, de l’Université catholique des États-Unis (Washington DC), auteur de Vincent de Lérins et le développement de la doctrine chrétienne.
Cette idée de croissance enracinée dans la Tradition a également conduit le pape, sur le vol de retour du Canada, à mettre en garde contre un sens perverti de cette tradition, un péché insidieux qu’il appelle «rétrogradation». La Tradition, bien comprise, constituerait ainsi «la racine de l’inspiration permettant à l’Église d’aller de l’avant», et non de reculer. La Tradition «est toujours ouverte, comme les racines de l’arbre, et c’est ainsi que l’arbre grandit».
Le pontife s’inspire également clairement de la pensée de saint Vincent dans sa conception de la synodalité. Dans le Commonitorium, le moine insiste sur le fait que la foi catholique est maintenue par tous les chrétiens.
Mais, comme le moine du 5e siècle, le pape a reconnu à maintes reprises le risque d’aller trop loin et de s’écarter de la direction prise par l’Eglise dans son ensemble et par les autorités ecclésiastiques. Le pape François a ainsi souvent mis en garde contre les réformes erronées et la tentation de marcher «seul», plutôt que comme «un corps apostolique et de s’écouter mutuellement sous la direction de l’Esprit Saint, même si nous ne pensons pas de la même manière». Un point qu’il a également soulevé au sujet du chemin synodal allemand, déclarant notamment qu’il n’y avait pas besoin d’une «seconde Eglise évangélique en Allemagne».
Mgr Guarino estime également qu’il serait inapproprié de se référer à saint Vincent lorsque que la doctrine subit des «revirements». Il prend pour exemple le changement effectué par François en 2017 concernant l’enseignement sur la peine de mort, pour lequel le pape s’était référé au théologien du 5e siècle. Alors que jusque-là elle était considérée comme licite sous certaines conditions, le pontife a modifié le Catéchisme en relevant que la peine capitale était «inadmissible». Un changement qui n’aurait probablement pas reçu l’approbation de saint Vincent, souligne le professeur américain, même s’il se justifiait par le fait que l’enseignement antérieur de l’Église sur la peine de mort n’était pas une déclaration dogmatique d’un concile œcuménique.
Tout en souhaitant voir le pape invoquer le saint «avec un peu plus de précision», Mgr Guarino estime toutefois que «François devrait être chaleureusement félicité pour avoir ravivé l’intérêt concernant l’un des grands penseurs de l’Église primitive.» (cath.ch/cns/arch/rz)
Vincent de Lérins est un écrivain ecclésiastique, issu d’une famille illustre des Gaules. Il exerce d’abord le métier des armes puis se retire au monastère de Lérins. Quatre ans après le concile d’Ephèse (435), il rédige le Commonitorium, ouvrage contre les hérésies où il énonce les critères qui permettent de savoir si une doctrine est orthodoxe ou hérétique.
Vincent, comme plusieurs Pères de l’Eglise provençale, prend position contre les positions de saint Augustin au sujet de la grâce: il est certes d’accord avec le Père africain pour condamner Pélage, mais il affirme que la grâce de Dieu coopère avec l’homme. Cette dernière position est condamnée, sous le nom de semi-pélagianisme, lors du concile d’Orange en 534. Vincent de Lérins est mort avant 450.
Cette tradition des moines de Lérins qui devinrent évêques (saint Honorat fut évêque d’Arles) est encore d’actualité: le précédent abbé, Dom Nicolas Aubertin a été nommé évêque de Chartres avant d’être archevêque de Tours, de 2005 à 2019. Saint Vincent de Lérins est fêté le 24 mai. (Source: diocèse de Fréjus-Toulon) RZ
Raphaël Zbinden
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