Le cœur de son diocèse – qui s’étend sur sept des vingt-cinq régions de l’Ukraine et qui couvre presque tout le territoire ukrainien à l’est du fleuve Dniepr – se trouve entre Kharkiv et Zaporijjia, deux villes clés dans le conflit, déclenché le 24 février 2022 par le président russe Vladimir Poutine.
A 44 ans, Mgr Pavlo Honcharuk, nommé évêque de Kharkiv-Zaporijjia en janvier 2020, fait partie des évêques catholiques les plus jeunes du monde. «Notre Église sert les gens, les personnes âgées et les enfants, tout en aidant nos soldats, qui défendent notre patrie», confie à l’œuvre d’entraide «Aide à l’Eglise en Détresse» (ACN) l’ancien aumônier militaire, qui témoigne de son quotidien auprès des habitants, entre exigences matérielles et besoin de réconfort.
Actuellement, les combats se poursuivent sur toute la ligne du front de près de 1’000 km. Une bonne partie de son diocèse, dont les villes sont constamment bombardées, est affectée.
«Notre Église est vivante et active. Prêtres et fidèles sont à leur place et dans les paroisses, on continue à réciter les prières et à célébrer la liturgie tous les jours. Cela n’est pas possible là où les combats se déroulent ou dans les territoires occupés», confie-t-il à ACN.
«Il y a une tension permanente. Nous sommes constamment en attente, surtout quand il y a des bombardements et on ne sait pas quand et où ils vont frapper. Avant-hier, c’était à environ 1’000 mètres de chez nous. Hier soir, les bombes ont frappé quelque part très près. Je sais que je n’aurai pas le temps d’entendre le missile qui me frappera. Nous sommes préparés à une mort soudaine et inattendue. Par conséquent, nous recourons souvent aux sacrements, en particulier à la confession. C’est une expérience complètement nouvelle, un mode de vie différent. Le matin, je me lève et je me rends compte que je suis en vie».
«Il y a malgré tout de grands signes de la présence de Dieu au milieu du tourbillon de la guerre, précise-t-il, dans le cœur des gens qui servent dans divers endroits en tant que soldats, médecins, pompiers, policiers, ainsi que ceux et celles qui travaillent dans d’autres services. En regardant dans les visages de ces gens, on est témoins de la grande puissance divine de l’amour avec laquelle Dieu les inspire».
A Kharkiv, la situation est en constante évolution. «Par exemple, un monsieur peut venir voir son appartement et puis repartir immédiatement. En général, les gens partent à cause des bombardements incessantsà Kharkiv. Nous sommes très près de la ligne de front, littéralement à vingt kilomètres…»
Avant la guerre, la ville de Kharkiv comptait 1,7 million d’habitants. À l’heure actuelle, environ 700’000 sont resté. «Mais d’autres villes du diocèse, comme Sloviansk, Kramatorsk ou Bakhmout, sont des endroits très dangereux dans la zone de guerre. Pratiquement tout le monde est déjà parti et peu de gens restent dans ces villes».
Le jeune évêque relève que dans les zones où l’on combat «la situation humanitaire est tragique car il est très dangereux d’y aller et d’y apporter de la nourriture ou des médicaments». A 10 ou 20 km de la ligne de front, comme à Kharkiv, la situation, plus vivable, a poussé de nombreux habitants à revenir. «Il y a déjà beaucoup de gens dans la ville, mais le problème est que nombre d’entre eux ont perdu leur maison. Beaucoup aussi sont sans emploi: certaines entreprises ont été complètement détruites, des marchés ont brûlé ou ont été endommagés (…). Ces personnes n’ont même pas d’argent pour acheter du pain, elles ont besoin de vêtements, de chaussures, de nourriture, de médicaments, et aussi de compréhension et de soutien. Il y a énormément de besoins», souligne-t-il.
«Si la maison est détruite, la personne n’a nulle part où vivre. Et si on n’a pas d’emploi, si son lieu de travail a été détruit, on se retrouve sans argent. Et si, en plus de cela, on est blessé… Parfois, les gens se retrouvent seulement avec ce qu’ils portaient, parce que tout est parti en fumée avec la maison».
L’évêque estime qu’environ 15 % de Kharkiv a déjà été détruite. « Il s’agit de dommages irréparables. Les usines et les entreprises qui en sont capables continuent à produire. Les gens qui y travaillent ont encore un emploi, tandis que d’autres ont été transférés vers d’autres villes ukrainiennes. En outre, les hôpitaux ainsi que les services municipaux – qui sont responsables de l’électricité, du gaz, de l’eau, des eaux usées, de la collecte des ordures, du nettoyage des rues et des transports publics – fonctionnent toujours. Tout marche. Si on détruit quelque chose, en vingt-quatre heures, il n’y aura aucune trace de ce qui s’est passé, car les services municipaux auront tout nettoyé et enlevé. Les pompiers, la police et d’autres services travaillent également à plein temps. Les gens tentent d’avoir une vie normale bien que la guerre nous entoure partout. Les écoles et les universités donnent des cours en ligne».
Seules les succursales de certaines banques sont ouvertes, poursuit Mgr Pavlo Honcharuk. «Mais le secteur financier dans son ensemble fonctionne et les cartes bancaires sont acceptées partout. Les magasins sont partiellement ouverts. Là où les étals et les kiosques du marché ont survécu aux bombardements, il y a toujours du commerce. Mais les gens ne peuvent rien acheter parce qu’ils n’ont pas d’argent. Les gens ici ne sont pas riches. Les riches sont partis il y a longtemps, tandis que ceux qui vivaient de salaire en salaire sont restés.
«Comme vous pouvez voir, les gens roulent encore en auto pendant les bombardements: certains s’en sortiront, d’autres pas. Mais les gens ne sont pas irresponsables. Le danger a duré si longtemps que d’une manière ou d’une autre, on doit apprendre à l’ignorer. Auparavant, les gens tout simplement ne maîtrisaient pas le danger; ils prenaient la fuite. Puis on a commencé à y penser. Mais c’est très épuisant quand on doit fuir dix fois par jour.»
«Certains résidents de Kharkiv ou d’autres villes en première ligne ont déménagé dans les villages les plus proches, ajoute Mgr Honcharuk – chez leurs proches ou dans des maisons abandonnées. Mais quand les gens ont vu que la guerre allait durer, certains sont partis plus loin. Même à l’intérieur du pays, il faut trouver un endroit où vivre et travailler et cela comporte beaucoup de difficultés. En plus, seulement les femmes et les enfants peuvent partir à l’étranger, tandis que les hommes doivent rester au pays à cause de la loi martiale. C’est un coup dur pour la famille, pour les conjoints, et cela cause de grandes souffrances!»
«A Kharkiv, les religieux maristes ainsi que Caritas aident les déplacés, car de nombreuses personnes qui ont perdu leur maison dans les villages voisins sont venues en ville, bien que Kharkiv soit tout le temps sous les bombardements. Nous travaillons aussi dans d’autres endroits et nous aidons en distribuant de l’aide humanitaire, des choses pour les enfants, de la nourriture, des couches, ou tout simplement en étant disponibles pour parler avec les victimes de la guerre. On fait cela à Poltava, Soumy, Konotop, Dnipro ainsi qu’à Zaporijjia et Pokrovsk».
L’évêque ukrainien, qui remercie les bienfaiteurs qui permettent à ACN d’envoyer de l’aide en Ukraine et à son diocèse, affirme que ce qui est important, «c’est que vous ne soyez pas restés indifférents à notre situation!» (cath.ch/acn/jb/bh)
Bernard Hallet
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