Cécile Lemoine/Terresainte.net
L’archevêque maronite de Haïfa et de la Terre Sainte, Mgr Moussa el-Haje, qui réside au siège de l’évêché de Jérusalem, a été arrêté le 18 juillet dernier par la Sûreté générale libanaise alors qu’il se rendait au Liban depuis Israël, comme il le fait chaque mois. Mgr el-Haje a été relâché après douze heures d’interrogatoire, la confiscation de son passeport, de son portable, de la valise de médicaments qu’il transportait et d’un montant de 460’000 dollars en espèces.
Une arrestation inédite pour un membre du clergé maronite, dont les déplacements de part et d’autre de la frontière sont protégés par une clause de l’accord d’armistice avec Israël de 1949. Pour le patriarcat maronite, basé dans la ville de Bkerké, au Liban, il s’agit d’un grave précédent. «S’il y a une loi qui interdit d’apporter de l’aide humanitaire, qu’on nous la montre, a lancé le patriarche maronite Mgr Béchara Raï dans son homélie du dimanche 24 juillet. Il est inacceptable que des évêques soient arrêtés et interrogés sans s’en référer à l’Église et au Patriarche. Les évêques actuels et leurs prédecesseurs apportent de l’aide au Liban depuis des années, et continueront à le faire.»
Que lui reprochait-on? L’acheminement de près d’un demi-million de dollars en provenance d’un État ennemi, ainsi que l’importation de médicaments israéliens, dont les prescriptions sont rédigées en hébreu. Cette aide provient de familles libanaises réfugiées en Israël depuis le retrait de l’armée israélienne de la zone Sud Liban en 2000. Au Liban, ils sont tenus pour des traîtres et accusés d’avoir collaborer avec Israël. L’ordre d’arrestation du prélât émanait du juge libanais Fadi Akiki, connu au Pays du Cèdre, pour sa «minutie à poursuivre des personnalités libres ou opposées au camp du Hezbollah», explique Samir Moukheiber, journaliste au site d’information Ici Beyrouth.
Or il se trouve que l’Église maronite ne cache pas ses positions à l’encontre du Hezbollah. Le patriarche Béchara Raï, influent personnage politique au Liban, est l’un des seuls à dénoncer régulièrement et librement la montée en puissance du parti chiite financé par l’Iran, ennemi juré d’Israël (dont la branche armée est considérée comme un groupe terroriste par l’Union Européenne), qui profite de l’affaiblissement d’un État plongé dans sa plus grave crise depuis la guerre civile des années 1970-1980.
Aux racines de cette descente aux enfers, une crise de la dette qui a provoqué l’effondrement du système bancaire, et la dévaluation continue de la livre libanaise alors que le prix de la vie ne cesse d’augmenter. L’explosion du port de Beyrouth, en août 2020, a mis le dernier clou dans le cercueil de l’économie libanaise, depuis grévée par une crise sociale et politique: 80% de la population vit en-dessous du seuil de pauvreté et subit des pénuries de médicaments, d’électricité et de carburant. Alors que la confiance dans l’élite politique et financière du pays a disparu, le patriarche Raï montre et dit son soutien aux libanais.
Dans un entretien accordé au quotidien libanais L’Orient le Jour, Mgr Moussa el-Haje est revenu sur ce qu’il estime être la raison de cette arrestation inédite: «L’objectif est clairement d’envoyer un message musclé au patriarche. C’est un précédent très dangereux. Ceux qui m’ont arrêté n’ont pas agi d’eux-mêmes. Il y a certainement un parti politique derrière eux qui les a poussés dans cette direction», affirme l’archevêque.
Il détaille un peu plus loin: «Il faut avoir en tête la visite effectuée par des responsables du Hezbollah au patriarche en 2014. Ils lui avaient clairement signifié qu’il lui était interdit d’aller dans les territoires occupés. Il leur avait répondu que personne ne pouvait lui dire ce qu’il peut faire ou non. Depuis, les relations entre Bkerké et le Hezbollah sont tendues. Encore plus depuis que le chef de l’Église a haussé le ton et exprimé des positions très tranchées au sujet de l’échéance présidentielle et du profil du futur président. Donc ils essayent aujourd’hui de lui faire du tort à travers moi».
Convoqué à nouveau par le juge Fadi Akiki à une audience qui devait se tenir le 20 juillet, Mgr el-Haje ne s’y est pas rendu. Dans la foulée, le patriarcat maronite a appelé à la restitution de l’argent et des médicaments ainsi qu’à la suspension du juge Akiki.
Les Ordinaires catholiques de Terre Sainte ont quant à eux exprimé leur soutien, dans un communiqué publié le 21 juillet et signé par son président, Mgr Pierbattista Pizzaballa, patriarche Latin de Jérusalem: «Nous sommes entièrement solidaires avec Mgr Moussa El Hage dans l’œuvre de charité qu’il accomplit généreusement et depuis longtemps. Nous demandons de permettre à l’Église de Terre Sainte de continuer d’accomplir librement, sans entraves, son œuvre humanitaire en faveur des pauvres». (cath.ch/terresainte/cl/bh)
Rédaction
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