L’agence I.MEDIA, qui a pu écouter plusieurs représentants de ces trois groupes autochtones lors de leur visite au Vatican en mars et avril 2022, revient sur leurs spécificités et leurs revendications.
Les Premières Nations
Regroupement autochtone le plus important du Canada, le terme de Premières Nations représente un peu plus d’un million et demi de personnes – soit environ 4% de la population canadienne. En pratique, il est la plupart du temps employé pour tous les peuples présents sur le territoire canadien avant l’arrivée des Occidentaux, à l’exception des Inuits et des Métis. Le terme regroupe un grand nombre de «nations», telles qu’innue, mi’kmaque, crie, algonquine, ojibwée, mohawk, huronne, dénée, Pieds Noirs… Elles sont aussi souvent divisées en communautés locales.
Il est possible de les regrouper en quatre zones géographiques, chaque nation ayant une histoire et une culture intimement liée à son environnement. Les habitants de la côte du Nord-Ouest forment par exemple des communautés qui se définissent par la pratique nacestrale de la pêche du saumon et des eulakanes dans les fjords et les rivières, la cueillette des baies et racines et l’utilisation du bois pour leurs maisons, leurs pirogues et leurs mâts totémiques.
Les habitants des vastes plaines du centre du pays avaient une culture centrée sur la chasse du bison, source d’une grande partie de leur subsistance. On connaît leurs habitations en peaux, appelées tipis, et leurs grandes coiffes de plumes.
Les nations des forêts boréales étaient à l’origine des chasseurs-cueilleurs dépendant du caribou, de l’orignal et pratiquant la traite des fourrures. La plus grande partie de ces nations se trouvant dans le Yukon, les Territoires du Nord-Ouest et le nord des provinces de l’Ouest parlent des langues athapaskanes.
Les nations des forêts orientales, partie la plus occupée par les Occidentaux, se distinguaient à l’origine par leur agriculture plus sédentaire à base de courge, de maïs et de haricots, par leurs «longues maisons» permettant de former des petits clans, l’emploi du canoë en écorce de bouleau, utilisé pour la pêche et le commerce, les noms de totem et leurs croyances comme celle du «Manitou», le Grand Esprit des peuples algonquins.
L’Assemblée des Premières Nations, fondée en 1982, représente l’ensemble de ces nations et défend leurs cultures pour qu’elles continuent à exister partout dans le Canada. Elle est dirigée depuis 2021 par la cheffe RoseAnne Archibald, de la nation Taykwa Tagamou.
Lors de leur passage à Rome, l’un des représentants, le chef Gerald Antoine, a déclaré attendre en priorité deux gestes concrets de la part du pape. D’abord, des excuses officielles, insistant sur le fait que la délégation préférerait qu’elles soient présentées «sur le sol canadien». D’autre part, il a invité le pape à se rendre sur «l’île de la Tortue», nom que donnent les autochtones au continent nord-américain.
Il a aussi demandé le soutien de l’Église dans la restitution de leurs terres et à leur autonomie, l’abrogation de la «doctrine de la découverte» – en particulier de la bulle papale Inter Caetera de 1493 – l’accès aux registres de l’Église sur les pensionnats. «Aujourd’hui est le jour que nous attendions », a-t-il déclaré quelques jours plus tard, après que le pape ait officiellement demandé pardon pour les erreurs commises par certains membres de l’Église dans le passé. Il a affirmé avoir eu le sentiment qu’ils avaient «été entendus».
Les Inuits
Les Inuits sont un groupe de peuples autochtones vivant dans les régions arctiques de l’Amérique du Nord. Leur population actuelle au Canada avoisine les 50’000 habitants. Le mot «Inuit» signifie «humains» ou «gens» dans leur langue traditionnelle la plus courante, l’inuktikut. Cette langue dispose d’un syllabaire écrit qui date du 19e siècle et a été inventé par les missionnaires pour initier les populations au christianisme et à la Bible. Historiquement, les Inuits ont aussi été désignés sous le terme d’Esquimaux.
La raison pour laquelle ils sont considérés à part du reste des Premières Nations est principalement d’ordre historique et juridique. En effet, les législations sur les «Indiens» du 19e siècle ne les incluaient pas, principalement du fait de leur isolement dans le Grand Nord canadien. Le peuple Inuit a donc longtemps été placé dans une situation de vide juridique au Canada, un problème qui a en partie été réglé en 1939 par la Cour Suprême dans un Renvoi sur les Esquimaux, qui leur donnait pour la première fois une existence juridique.
Le mode de vie des Inuits était originellement adapté aux conditions climatiques extrêmes du Grand Nord, et tourné traditionnellement vers la survie. Il était orienté autour du trappage, de la chasse au harpon et à l’arc, ces activités permettant de développer un artisanat centré sur la fabrication d’abris et de vêtements chauds. La chasse au caribou était essentielle dans l’économie inuite, et, dans une moindre mesure, celle du phoque, de la baleine et de l’ours polaire.
Culturellement, un des éléments constitutifs est l’inuksuk, sorte de cairn à forme humaine servant de repère pour la chasse. Les communautés inuites ont longtemps été nomades, suivant les troupeaux de caribous, mais sont aujourd’hui principalement sédentarisées.
Les religions traditionnelles inuites sont des formes de chamanisme sans divinité fondées sur l’animisme, la présence d’une âme en toute chose. Elles croient en l’existence d’une Terre-Mère spirituelle et nourricière qui intègre l’environnement et toutes les dimensions existentielles, notamment la quête de nourriture. Avec l’arrivée des missionnaires, ces spiritualités ont été largement remplacées par le protestantisme et le catholicisme, même si elles ont tendance à être redécouvertes aujourd’hui sur fond de réappropriation du patrimoine culturel.
Politiquement, les Inuits sont aujourd’hui représentés par l’Inuit Tapiriit Kanatami – littéralement: «Les Inuits sont unis au Canada» – une organisation fondée en 1971 et qui négocie avec le gouvernement fédéral canadien, mais promeut aussi la culture inuite. Son président actuel est Natan Obed.
Lors de sa venue à Rome en mars dernier, Natan Obed avait insisté sur l’importance d’excuses officielles et de la venue du pape François au Canada pour les présenter. Il avait aussi souligné l’importance du soutien de l’Église pour certains objectifs politiques défendus par leur organisation, notamment les questions concernant «l’autodétermination».
Il avait aussi demandé une plus grande collaboration pour que les prêtres abuseurs soient présentés à la justice canadienne, évoquant notamment le cas du prêtre oblat français Johannes Rivoire en demandant son extradition. À l’issue d’une «semaine émouvante», le chef de la délégation Inuit a salué le rôle joué par le pontife et «son empathie envers les indigènes du Canada».
Les Métis
Considéré comme autochtone, le groupe des Métis descend, comme son nom l’indique, à la fois des premiers Européens installés au Canada et des Premières Nations. Aujourd’hui, il rassemble environ 500’000 personnes, répartis principalement en Ontario, en Alberta et dans le Manitoba. Originellement, le terme désigne les habitants des communautés de la rivière Rouge et de Winnipeg, même s’il existe aussi des Métis au Québec ou en Colombie britannique.
Leur histoire provient du phénomène d’unions de colons français – puis, plus tardivement, anglais et écossais, pratiquant souvent le commerce des fourrures – avec des femmes autochtones – algonquines dans l’est du Canada, saulteux, cries et ojibwées dans l’ouest. Dans la «patrie» traditionnelle des Métis, les plaines du centre du pays, ces dernies ont développé au fil des ans leur propre style de vie.
Le personnage clé de l’histoire des Métis est Louis Riel (1844-1885), personnage à la vie aventureuse considéré comme le fondateur de la province du Manitoba. Ce chef politique, profondément catholique, a mené une longue guérilla contre le Canada pour défendre son peuple, menant la «Résistance de la rivière Rouge» et théorisant le principe de «peuple métis». Mis hors la loi et pourchassé, il en vient à s’exiler aux États-Unis, où il connaît une période mystique qui le pousse à revenir mener une rébellion contre les autorités, ce qui entraîne son arrestation et sa pendaison.
Les Métis parlent le français métis ou le michif, des langues mixtes, ainsi que plusieurs langues traditionnelles des Premières Nations. Les Anglo-Métis, aussi connus sous le nom de Countryborn, parlent anglais et certaines formes de langues créolisées.
Leur culture, mélange là encore des traditions européennes et autochtones, comporte une tradition musicale très importante, centrée sur le chant, le violon et la danse. Les artisanats de perlage et de broderie très colorés aux motifs floraux toujours entretenus, et une tradition de transmission orale essentielle – notamment de conteurs et de poètes – héritée de celles présentes chez les populations indigènes, sont également des éléments primordiaux. Une grande partie des Métis sont catholiques, protestants traditionnels ou évangéliques. Depuis quelques années, on observe aussi un retour à des religions traditionnelles autochtones.
Le Ralliement national des Métis est l’organe représentatif des Métis, fondé en 1983, dont le but est de protéger l’existence de la culture et du peuple métis. Il est aujourd’hui dirigé par sa présidente Cassidy Caron.
Leur délégation venue à Rome à la fin du mois de mars 2022 avait insisté sur «le rôle que les pensionnats de l’Église catholique ont joué dans les actes répréhensibles commis à l’égard de ces enfants et de nos communautés». La présidente Cassidy Caron a énuméré les revendications de sa délégation: l’accès aux registres des écoles et églises catholiques concernées, la récupération d’artefacts traditionnels se trouvant aux Musées du Vatican, la nécessité de ne pas interférer dans le déferrement en justice de certains des auteurs d’abus encore vivants, des compensations substantielles aux victimes, dont beaucoup vivent dans la pauvreté, et la mise en place de fonds dédiés à la «guérison» qui seraient gérés directement par les autochtones.
Les délégués ont cependant souligné l’importance qu’avait pour eux cette réception officielle, un représentant déclarant que c’était «la première fois que des survivants Métis ont été invités pour dire quelque chose». Cassidy Caron a appelé l’Église à apporter son soutien à son peuple pour faire reconnaître les torts commis par le Canada contre eux.
Après la demande de pardon présentée par le pape François le 1er avril, Cassidy Caron a salué ces mots historiques pour son peuple, et a déclaré espérer qu’il répéterait ces excuses «directement aux survivants et à leurs familles» quand il se rendra au Canada. Elle s’est réjouie de cette perspective, qu’elle prévoit émouvante: «S’il a été touché par 30 personnes, qu’est-ce que ça sera quand il viendra au pays!». Un membre de la délégation, l’ancienne Angie Crerar, très émue, avait pour sa part appelé les siens à accueillir le pape «comme il l’a fait pour nous». (cath.ch/imedia/cd/rz)
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