La recherche des noms des enfants autochtones disparus continue

«La seule façon pour les communautés indigènes de guérir» est «une pleine compréhension de ce qu’il s’est passé», affirme Raymond Frogner, responsable des archives au Centre national pour la vérité et la réconciliation (CNVR) du Canada depuis 2016.

Anne Kurian, IMEDIA

Raymond Frogner, qui a accès depuis peu aux archives des Missionnaires Oblats de Marie-Immaculée, congrégation gestionnaire de la majorité des pensionnats catholiques autochtones dans le pays, explique l’état des recherches et ses attentes en vue du prochain voyage du pape François (24-30 juillet) au Canada.

Comment le CNVR voit-il ce voyage imminent du pape François?
Raymond Frogner: C’est un événement sans précédent, qui va donner une dimension internationale aux droits des autochtones au Canada. Cela va permettre de braquer le projecteur sur l’histoire des écoles résidentielles qui n’était encore pas très reconnue jusqu’à présent.

En tant que chercheur, constatez-vous des changements dans l’approche de cette histoire douloureuse?
Depuis deux ans, j’ai constaté un meilleur rapport avec les Oblats et d’autres entités catholiques qui avaient gardé leurs données et n’avaient pas été très disponibles auparavant. Récemment, les perspectives d’accès à leurs archives se sont beaucoup améliorées. On ressent beaucoup plus de responsabilité et je pense que cela est dû au pape.

«L’Église doit reconnaître les valeurs de la spiritualité autochtone»

C’est la découverte des sites de tombes dans ces écoles qui a provoqué une sorte d’impératif moral. Franchement, je pense que sans cela, le pape ne viendrait pas. À partir de ces révélations, les ordres religieux qui géraient les écoles ont commencé à reconnaître qu’il n’y aucune raison de ne pas ouvrir leurs dossiers. Ils ont compris que la seule façon pour les communautés indigènes de guérir de ces événements était une pleine compréhension de ce qu’il s’est passé.

Où en sont vos recherches en ce moment?
Je reviens de Rome, où j’ai effectué des recherches dans les archives des Oblats. Jusqu’à maintenant, on savait peu de choses sur le contenu de ces dossiers. J’ai découvert, comme je le pensais, que la plupart des archives sont administratives. Les histoires des enfants ne sont pas dans ces fichiers. Mais à ma grande surprise, j’ai trouvé un millier de photographies originales, venant de pensionnats de tout le Canada. Les Pères oblats ont envoyé ces photos individuellement à Rome. Même l’archiviste était surpris de cette découverte. On va pouvoir lancer un projet pour numériser ces photographies où l’on voit les enfants, et y donner accès aux communautés autochtones.

Nous avons aussi un projet pour découvrir les noms des enfants qui ont disparu au sein de pensionnats. Jusqu’à présent, nous avons trouvé 4’117 noms, et à mon avis cela représente un tiers du total. Parmi les quatre millions de documents comptabilisés dans nos archives, nous allons étudier 400’000 documents et dans une dizaine de mois, nous devrions publier un rapport qui dévoilera de nouveaux noms de personnes disparues.

Que reste-t-il à faire de la part de l’Église du Canada?
Le pape a déjà formulé les excuses de l’Église catholique [à Rome en recevant des délégations autochtones le 1er avril 2022, ndlr]. Il reste encore le chemin de guérison. Selon moi, l’Église doit reconnaître les valeurs de la spiritualité autochtone. Les deux doivent pouvoir dialoguer d’égal à égal, sans rapport de domination, sans dresser une autorité l’une contre l’autre. Il faut un reset, un recommencement de cette relation dans l’égalité, la dignité, le respect.

«Il y a le risque que, dès que l’on privatisera la terre de ces régions, des investisseurs s’en emparent»

Par ailleurs, l’Église catholique n’a jamais payé ses obligations financières de la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens de 2006. Sur les 25 millions de dollars demandés, elle n’a payé qu’un ou deux millions. Les autres organisations religieuses ont payé toutes les sommes. Il y a deux ans, le gouvernement a clos l’histoire. Mais ici, il y a des communautés autochtones qui n’ont pas l’eau potable, alors que des catholiques construisent encore des églises. Il faudrait plus de soutien de leur part. De même, il faut poursuivre l’ouverture des archives des communautés.

Et plus largement, au niveau de la société canadienne, que peut apporter ce voyage?
Le rapport de 2007-2015 a fait un grand travail, notamment en enregistrant le témoignage d’environ 7’000 survivants venant de 200 communautés du Canada. La commission a également ouvert la discussion sur la souveraineté et l’identité des communautés autochtones, en reconnaissant que les séquelles des pensionnats ne sont pas seulement l’histoire des autochtones mais celle du Canada.

La question est aujourd’hui de repenser la relation entre gouvernement et communautés autochtones. Il y a par exemple la question de «l’Indian Act» toujours en vigueur (depuis 1876, ndlr), qui mène la vie de ces communautés de la naissance à la mort, avec l’éducation, la santé, la foi. Les terres des «réserves indiennes» – qui sont souvent les pires zones des provinces – sont communes, il n’existe pas de propriété privée. Il faudrait redéfinir ces territoires et penser à une coexistence entre les autochtones et les gouvernements locaux, au sein de relations plurinationales. Il y a le risque que, dès que l’on privatisera la terre de ces régions, des investisseurs s’emparent de ces propriétés. Mais ces questions doivent être affrontées, il faut reconsidérer l’objectif de cette loi. (cath.ch/imedia/ak/rz)

I.MEDIA

Portail catholique suisse

https://www.cath.ch/newsf/la-recherche-des-noms-des-enfants-autochtones-disparus-continue/