1. Que sont les écoles résidentielles?
Au début du 19e siècle, après une phase de consolidation des colonies de la côte Atlantique, du Québec et de l’Ontario, l’administration britannique commence à prendre contrôle des vastes territoires de l’ouest du Canada, établissant des réserves indiennes. Cette dynamique va encourager l’ouverture d’établissements scolaires pour des enfants d’autochtones. Leur but: faciliter l’assimilation des nouvelles générations à la société occidentale. Pour cela, ils vont d’abord s’appuyer sur d’importants mouvements philanthropiques protestants, puis, faisant jouer la concurrence dans un Canada encore très catholique, l’ensemble des acteurs religieux du pays.
La première école résidentielle à ouvrir est la Mohawk Institute Residential School de Brandtford, un établissement anglican fondé en 1831, qui va accueillir entre 90 et 200 pensionnaires par an pendant près d’un siècle et demi. Inspiré par les «écoles industrielles» développées dans les Antilles, le méthodiste Egerton Ryerson théorise le principe d’établissements capables de transformer les populations autochtones en agriculteurs «fortifiés par les principes, sentiments et habitudes chrétiennes». Il rédige en 1847 un rapport sur le sujet pour le département des Affaires indiennes britanniques qui y voit une méthode pour faire grandir son influence non seulement sur les indiens mais aussi sur les nombreuses populations francophones. De premiers établissements voient alors le jour, financés en grande partie par les pouvoirs publics.
«Les ‘quatre cavaliers de l’apocalypse indienne’ avaient été le missionnaire, l’agent indien, le policier et le gardien des réserves indiennes»
Le processus va s’accélérer avec la création de la Confédération canadienne, en 1867. En 1876, le Parlement canadien publie la Loi sur les indiens qui définit un programme éducatif géré par le gouvernement fédéral et inspiré par les principes de Ryerson, qui devient surintendant en chef des écoles du Haut-Canada.
La plupart du temps, leur fonctionnement est confié aux communautés religieuses mais reste financé en grande partie par l’État. 67% des établissements seront confiés à des organisations catholiques. En 1894, face à la résistance de certains parents, le gouvernement rend obligatoire la participation des enfants âgés entre 7 et 16 ans. En 1945, le gouvernement cesse de verser certaines allocations familiales aux familles qui n’y scolarisent pas leurs enfants. En 1969, le gouvernement cesse de collaborer avec les clergés, ce qui entraîne la fermeture de la plupart des établissements même si certains, encore financés par le gouvernement, resteront ouverts jusqu’à la fin des années 1990.
2. Pourquoi ces établissements sont-ils critiqués?
On peut distinguer quatre raisons principales. D’abord, toutes les associations autochtones reprochent le «génocide culturel» perpétré par les écoles résidentielles. C’était le terme employé par le chef Antoine lors de la conférence de presse faisant suite à l’audience accordée par le pape François à la délégation des Premières nations au Vatican le 31 mars 2022.
Le conseiller spirituel autochtone Fred Kelly avait pour sa part parlé d’une «solution finale au problème indien», visant à «tuer l’indien dans l’enfant» en le retirant de la tutelle légitime de ses parents, jugés «inaptes» par le gouvernement canadien. Il évoquait les «quatre cavaliers de l’apocalypse indienne» qu’avaient été pour eux le missionnaire, l’agent indien, le policier et le gardien des réserves indiennes.
«38’000 accusations d’agressions physiques et sexuelles déposées entre 2005 et 2015»
Les représentations autochtones fustigent une assimilation forcée à la société occidentale – et pour certains, une conversion forcée aux religions chrétiennes – qui a mis en péril voire détruit leurs cultures, leurs langues, leurs croyances et qui les a éloignés ou dépossédés de leurs terres. On interdisait par exemple aux enfants de parler leur langue, de s’adonner à des pratiques spirituelles de leurs peuples, par exemple le potlach ou la ›danse de la soif’ ou d’être en contact avec des aînés susceptibles de leur transmettre leurs traditions.
Le second point concerne les mauvais traitements que certains pensionnaires ont pu subir. En premier lieu du fait de la dure discipline imposée par certains établissements, qui n’hésitaient pas à avoir recours aux châtiments corporels, notamment contre les fugueurs. Plusieurs cas d’abus sexuels ont aussi été rapportés par des survivants.
La Commission Vérité et Réconciliation rapporte l’existence de presque 38’000 accusations d’agressions physiques et sexuelles déposées entre 2005 et 2015. Une trentaine de prêtres et de membres du personnel ont déjà été condamnés à des peines de prison. Les conditions générales de vie dans les pensionnats sont aussi pointées du doigt: surpopulation des établissements, conditions d’hygiène minimales voire inexistantes, absence de chauffage, absence de soins de santé…
Des enquêtes gouvernementales ont montré que dans certains établissements, la tuberculose avait entraîné la mort de très nombreux pensionnaires. Le rapport de la Commission Vérité et Réconciliation estime que le taux de mortalité a même dépassé certaines années 2,5% des effectifs nationaux au plus haut de la pandémie (entre 1884 et 1905). En tout, la commission comptabilise 3’021 cas de décès dans les pensionnats pour la période entre 1867 et 2000 en comptant les élèves connus et inconnus. La plus grande partie de ces décès est survenue avant 1945. Dans l’ensemble, ces chiffres témoignent d’une surmortalité très nette par rapport au reste de la population canadienne, en particulier entre 1821 et 1950.
«Les associations mettent en avant les ‘traumatismes historiques'»
Le troisième grief, peut-être le plus sensible ces dernières années, est celui des disparitions d’enfants, notamment liées aux décès en raison d’une maladie ou au cours d’une fugue. Le gouvernement interdisant de rapatrier les corps aux familles, beaucoup d’élèves auraient été enterrés par les établissements dans des tombes aujourd’hui anonymes, sans prévenir les parents. Il existe aussi des cas d’adoption forcée d’enfants par des familles non-autochtones. Dans toutes ces situations, les associations dénoncent la disparition sans explications officielles d’enfants hébergés par ces établissements.
Enfin, les associations mettent en avant les «traumatismes historiques» ou «intergénérationnels» dont souffrent certains anciens pensionnaires et leurs descendants. Un phénomène qui se manifeste par une hausse des suicides, de la toxicomanie, de la dépression, des abus dans les communautés autochtones. Le pape François a lui-même parlé de ces «effets continus des traumatismes intergénérationnels», en faisant un des thèmes de son voyage.
3. Que sait-on sur les tombes d’enfants?
La présence de sépultures d’enfants à proximité d’écoles résidentielles est décrite par de nombreux témoignages d’anciens pensionnaires depuis les années 1970-1980. Cependant, aucune preuve réelle n’a été apportée jusqu’en mai 2021, quand un survol par géoradar d’une zone à proximité du pensionnat de Kamloops détermine la présence d’environ 215 corps. La nouvelle crée un grand émoi, d’autant plus qu’elle est suivie dès le mois de juin de la découverte de trois autres ›cimetières d’enfants’ et de plus de 1000 corps.
«La Commission de Vérité et Réconciliation reconnaît le terme de ‘génocide culturel'»
À partir de cette période, de nombreux programmes de survols avec géoradar des alentours d’établissements sont mis en place. En juin 2022, 2’301 dépouilles sont retrouvées à proximité de 14 établissements différents. Cependant, aucune exhumation n’a été conduite pour l’heure – et donc aucune identification. De nombreuses recherches sont encore en cours dans tout le pays pour localiser d’autres cimetières. Dans plusieurs cas, l’absence de nom sur les tombes semble être liée à la dégradation naturelle des croix en bois utilisées pour leur sépulture, comme l’a rapporté à l’agence I.MEDIA un responsable jésuite.
4. Quelle responsabilité et quelle réponse pour l’Église catholique?
La responsabilité de l’Église catholique a été reconnue par la Commission de Vérité et Réconciliation du Canada à l’issue de sa longue enquête menée entre 2008 et 2015. L’investigation reconnaît le terme de «génocide culturel» et la participation de l’Église catholique dans le processus.
L’Église catholique a officiellement présenté ses excuses aux autochtones en 2021, le résultat d’un long processus de reconnaissance des erreurs commises dans sa gestion des écoles résidentielles entamé au début des années 1990. Il faut noter que ces excuses officielles sont arrivées bien après celles des représentants anglicans (1993) et unitariens (1986), même si la conférence oblate du Canada – la congrégation catholique qui a été en charge de la gestion de la plupart des pensionnats – avait déjà demandé pardon en 1991, suivie en 1993 par les jésuites canadiens (en charge d’un seul établissement).
La Convention de règlement relative aux pensionnats indiens que l’Église catholique a signée en 2006 prévoyait le versement de 25 millions de dollars à titre de dédommagements. Après avoir tardé et essuyé de nombreuses critiques, les évêques canadiens ont annoncé en janvier 2022 avoir versé environ 28,5 millions de dollars. L’Église avait déjà investi 25 millions de dollars en construction de centres spécialisés dès 2011.
Les évêques catholiques ont mis sur pied un troisième projet financier en 2015: une campagne de contribution volontaire, adressée à tous les catholiques, intitulée ›Tous les efforts sont possibles’. Elle visait à financer des projets de soutien aux survivants des pensionnats et devait permettre de récolter 25 millions de dollars sur sept ans. Cependant, elle n’a atteint que 2,6 millions de dollars en 2022. La conférence épiscopale canadienne a dès lors lancé, dès septembre 2021, une nouvelle campagne visant à récolter 30 millions de dollars supplémentaires. En juillet 2022, à quelques jours du voyage du pape au Canada, les évêques ont annoncé avoir déjà récolté 4,6 millions de dollars.
Il ne s’agit pas des seuls engagements de l’Église catholique. Elle a aussi promis de garantir aux autochtones l’accès à la documentation et aux archives qui doivent permettre d’honorer la mémoire des personnes inhumées dans les tombes non identifiées. Sur cette question, certaines congrégations disposant de leurs archives propres – notamment celles des Oblats de Marie Immaculée à Rome – ont tardé à répondre à cette demande. Les diocèses eux-mêmes n’ont pas encore ouvert leurs archives. Ils mettent en avant leur souhait d’obtenir des garanties en termes de respect des données personnelles de leurs archives avant de les ouvrir. Le président de la CECC a fait savoir que si cette démarche prenait du temps, elle aboutirait bientôt.
«Les autochtones demandent la restitution d’artefacts présents dans les Musées du Vatican»
L’Église catholique au Canada a aussi mis dans la balance l’engagement personnel du pape François dans le processus de réconciliation. Celui-ci a été pensé en deux moments: d’abord la réception de délégations d’autochtones pendant une semaine à la fin du mois de mars 2022 à Rome; puis, la visite en personne du pontife lors d’un voyage «pénitentiel» au Canada.
Le pape, qui a demandé pardon aux autochtones à Rome le 1er avril dernier, devrait renouveler ce geste en terre canadienne, comme le souhaitent les délégations. Les représentants indigènes ont fait savoir qu’ils attendaient de lui d’autres actions: d’abord, l’abrogation d’anciennes bulles, notamment Inter Caetera, promulguée en 1493 par Alexandre VI, qui autorisait les souverains européens à se rendre maîtres du Nouveau Monde. Ils dénoncent la ›doctrine de la découverte’ qui en découle. Le Saint-Siège n’a pour l’heure pas communiqué sur ce point.
Les autochtones demandent de plus au pape la restitution «d’artefacts» autochtones présents dans les Musées du Vatican à Rome. Le Saint-Siège, qui les a montrés aux délégations venues à Rome cet hiver, affirme que ceux-ci ont été offerts aux papes. Cependant, les autochtones insistent sur leur importance dans leur travail de réappropriation de leurs propres cultures.
Un point important aussi, et peu discuté pour l’heure, est l’établissement d’un dialogue interreligieux entre les évêques catholiques et les représentants et gardiens des croyances autochtones. Les autochtones qui perpétuent ces traditions religieuses demandent un dialogue «d’égal à égal». (cath.ch/imedia/cd/rz)
I.MEDIA
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