USA: Passer d’une attitude anti-avortement à un comportement pro-vie

Comment passer d’une attitude anti-avortement à un véritable comportement pro-vie? Telle est la question que posent nombre de commentateurs catholiques américains, après la décision de la Cour suprême des États-Unis du 24 juin 2022 invalidant sa décision de 1973 dans qui avait ouvert le droit à l’avortement sur l’ensemble du territoire national.

Les catholiques américains de tout l’éventail idéologique et politique ont réagi de manière très différente à la décision de la Cour suprême. A la joie des uns s’opposent la colère et les inquiétudes des autres. Néanmoins la volonté d’un engagement plus ferme dans la lutte contre les causes sociales de l’avortement semble assez partagée.

Un jour historique

«C’est un jour historique dans la vie de notre pays, un jour qui suscite nos pensées, nos émotions et nos prières», a déclaré la Conférence des évêques des Etat-Unis (USCCB). Au-delà du triomphalisme, les prélats invitent à «panser les blessures et réparer les divisions sociales; c’est le moment de la réflexion raisonnée et du dialogue civil, et de se rassembler pour construire une société et une économie qui soutiennent les mariages et les familles, et où chaque femme a le soutien et les ressources dont elle a besoin pour mettre au monde son enfant dans l’amour».

«Nous devons souligner qu’être pro-vie exige plus qu’une opposition à l’avortement. Cela exige que nous fassions tout ce qui est en notre pouvoir pour soutenir les familles»

Mgr Robert McElroy

L’avis de l’évêque de San Diego, Mgr Robert McElroy qui vient d’être désigné cardinal par le pape François est encore plus précis: «Nous devons souligner qu’être pro-vie exige plus qu’une opposition à l’avortement. Cela exige que nous fassions tout ce qui est en notre pouvoir pour soutenir les familles, pour leur donner accès à des soins de santé de qualité, à des logements abordables, à de bons emplois et à des logements décents. Cela signifie s’assurer que les parents et les familles ont accès à des services de garde d’enfants abordables, afin que le fait d’être parent n’oblige pas les femmes et les familles à abandonner l’école ou à quitter le marché du travail. Cela signifie également qu’il faut redynamiser notre système d’adoption… le soutien aux enfants et aux familles ne peut s’arrêter à la naissance.»

La Compagnie de Jésus aux États-Unis s’est également félicité de la décision de la Cour, ajoutant que l’avortement «est une injustice massive dans notre société, et la décision d’aujourd’hui est une étape décisive vers la protection juridique de tous les enfants à naître».

L’avortement doit rester légal

Du côté des Catholics for Choice, sa présidente Jamie Manson, dénonce une décision radicalement injuste qui ne «reflète pas les croyances de la majorité des catholiques» qui, selon elle, pensent que l’avortement devrait rester légal, comme l’indiquent plusieurs sondages d’opinion.

«Je ne pense pas que les évêques et les autres catholiques anti-choix aient pris conscience de l’omniprésence de l’avortement, de son caractère ordinaire, de sa place dans la vie de l’Eglise et de la façon dont les catholiques qui avortent participent à la vie de l’Eglise» a déclaré Jamie Manson au National Catholic Reporter .

Les Afro-américaines et les Latinos plus concernées par l’avortement

Valerie Lewis-Mosley, théologienne pastorale et professeur adjointe à l’Université Caldwell dans le New Jersey, s’est dite réoccupée par une myriade de questions après l’arrêt du 24 juin, notamment les taux élevés de mortalité et de morbidité des femmes afro-américaines enceintes.

«Le degré et la gravité de ce qui arrive aux femmes noires et latinos enceintes sont affligeants et l’Église catholique ne s’en est pas occupée»

Valerie Lewis-Mosley, théologienne

«Je suis authentiquement pro-vie et je crois au caractère sacré de la vie depuis la conception jusqu’au dernier souffle sur terre.»Mais je ne crois pas que la cause soit-disant ›pro-life’ ait été réellement pro-vie mais plutôt anti-avortement.»«Le degré et la gravité de ce qui arrive aux femmes noires et latinos enceintes sont affligeants et l’Église catholique ne s’en est pas occupée». Comment allons-nous être authentiquement pro-vie et aborder ces questions?»

«Garder l’avortement légal, accessible et sûr» dit la pancarte de cette manifestante | flickr Victoria Pickering CC-BY-SA-2.0

Le groupe catholique de défense de la justice sociale Network, fondé en 1972 par une coalition de religieuses catholiques, note que la décision du tribunal «aura de profondes ramifications dans la vie des gens. L’annulation de près d’un demi-siècle de précédents et de jurisprudence aura sans aucun doute un impact désorientant et déstabilisant sur nos lois, la fourniture de soins de santé maternelle et notre discours civil déjà tendu».

Travailler ensemble

Un avis qui n’est pas très éloigné de celui de Democrats for Life, une organisation de défense politique qui a cherché à faire élire des démocrates anti-avortement au Congrès. Kristen Day, sa directrice exécutive, espère que les démocrates «puissent adopter une approche plus modérée et que les deux partis puissent s’unir et faire ce qu’ils peuvent pour soutenir les femmes, en particulier les femmes à faible revenu ou issues des minorités.»

«L’arrêt Dobbs a tourné une page, qui pourrait être le début de la fin pour le mouvement pro-vie. Mais cela pourrait être un bon début si nous sommes assez grands et assez courageux pour relever le défi.»

Rachel Lu, militante ›Pro-Life’

Gloria Purvis, une militante catholique pro-vie de longue date et animatrice de podcast pour America Media, abonde: «Nous avons beaucoup de travail devant nous. Ce n’est que le début». Elle suggéré que les militants anti-avortement puissent travailler avec ceux qui soutiennent le droit à l’avortement pour faire pression en faveur de ce type de politiques.

La fin du mouvement ›Pro-Life’?

Rachel Lu, militante ›Pro-Life’ de longue date et chroniqueuse de la Revue jésuite America, va plus loin dans la réflexion: «L’arrêt Dobbs a tourné une page, qui pourrait être le début de la fin pour le mouvement pro-vie. Mais cela pourrait être un bon début si nous sommes assez grands et assez courageux pour relever le défi.»

«Nous avons besoin de nouvelles stratégies politiques, mais aussi de messages persuasifs, pour aider les jeunes générations à comprendre plus clairement comment un engagement pro-vie peut faire partie de la réponse aux questions qui les préoccupent le plus : Qu’est-ce que cela signifie de vivre avec intégrité? Que devons-nous les uns aux autres, en tant que citoyens et en tant qu’êtres humains? Qu’est-ce qui donne un véritable sens à la vie? Nous avons besoin que les jeunes voient dans le fait d’embrasser la vie un moyen d’aller de l’avant, dans un monde qui semble saturé de cupidité et de désespoir.», conclut-elle. (cath.ch/ag/mp)

Quelle réduction du nombre d’avortements?
Dans quelle mesure l’arrêt Dobbs pourra-t-il faire baisser le nombre total d’avortements aux Etats-Unis? Dans le patchwork des cinquante Etats américains la situation est très variable. Le nombre d’IVG pourrait baisser, mais pas plus de 10 à 12%. L’Institut Guttmacher – l’organe de recherche de Planned Parenthood – a publié mi-juin sa dernière étude sur la fréquence des avortements aux Etats-Unis. Le site catholique The Pillar propose une synthèse des principales statistiques.
Une tendance à la baisse
En général, la tendance aux États-Unis est à la baisse des taux d’avortement depuis 1980. Mais on a constaté une reprise pour 2019 et 2020 pour se fixer à 14.4 avortements par 1’000 femmes entre 15 et 44 ans (15 en France. 6,8 en Suisse). Cette moyenne varie fortement selon les Etats. Suite à l’entrée en vigueur d’une législation libérale en 2019, l’Etat de New York a atteint un taux de 28,8 en 2020. L’Illinois passe de 16,6 à 21,3 probablement en raison du tourisme de l’avortement depuis les Etats voisins, comme le Missouri plus restrictif où le le taux a reculé de 4,0 à 0,1.

La Floride veut interdire l’avortement après 15 semaines (Photo:Pixabay.com)


23 Etats susceptibles de restreindre le droit à l’avortement
En faisant une estimation des États susceptibles d’appliquer des restrictions sévères à l’avortement dans un an, 23 sont concernés. Mais ces États ne représenteraient que 22 % du nombre total d’avortements pratiqués en 2020.
Quinze Etats ont des interdictions qui entrent directement en vigueur après l’invalidation de l’arrêt Roe vs Wade. Mais seuls deux d’entre eux(Texas et Tennessee) ont enregistré plus de 10’000 avortements en 2020. Ces quinze États représentaient 12% des IVG en 2020.
Cinq États prévoient des restrictions importantes. L’Ohio, la Géorgie et la Caroline du Sud envisagent l’interdiction des avortements après six semaines de grossesse. L’Arizona et la Floride mettront des restrictions sur les avortements après quinze semaines. Ensemble, ces cinq États représentaient 17 % des avortements en 2020.
Dans dix autres États, le sort des restrictions à l’avortement reste incertain, mais ne devrait pas intervenir avant plusieurs années.
L’avortement protégé jusqu’à la viabilité voire la naissance
Les autres États enfin protègent déjà légalement l’avortement jusqu’à la viabilité (24 semaines), voire jusqu’à la naissance. Certains de ces États ont élargi de manière proactive leur protection, dans l’optique de devenir des «sanctuaires» pour l’IVG. En 2020, 56% de tous les avortements aux États-Unis ont eu lieu dans des États qui offrent une protection juridique complète de l’IVG.
Un potentiel de réduction restreint
De fait le potentiel de réduction des avortements porte sur les 22 % d’IVG enregistrés dans les Etats les plus restrictifs. Il faut consider qu’un certain nombre de femmes se rendront dans les Etats voisins pour obtenir une IVG. En outre, des services d’avortement «par correspondance» se développeront sans doute grâce à la pilule abortive déjà utilisée dans plus de 40% des avortements recensés Dans l’ensemble, les estimations faites à la fois par les partisans et les opposants de l’avortement, prévoient que l’invalidation de Roe vs Wade ne pourrait réduire les avortements que de 10 à 12%.  (cath.ch/ThePillar/mp)

La genèse d’un arrêt

En 1970, Jane Roe, pseudonyme d’une certaine Norma McCorvey, est enceinte de son troisième enfant. Elle en a déjà abandonné deux. Souhaitant obtenir une IVG au Texas où l’avortement est interdit, elle porte plainte contre l’Etat du sud, représenté par son procureur, Henry Wade.

Déboutée, elle fait appel, et l’affaire finit par arriver devant la Cour suprême. Le 22 mai 1973, les juges de cette Cour prononcent le fameux arrêt Roe vs Wade, qui rend l’avortement légal sur tout le territoire des Etats-Unis.

La décision, qui a fait jurisprudence stipule que « le droit au respect de la vie privée, présent dans le 14e amendement de la Constitution (…) est suffisamment vaste pour s’appliquer à la décision d’une femme de mettre fin ou non à sa grossesse ».

La Cour suprême divisait le droit concernant la grossesse en trois trimestres : aucun Etat ne pouvait restreindre l’accès à l’avortement au cours du premier trimestre; au cours du deuxième, les lois ne pouvaient que protéger la santé de la femme; et pour le troisième, les Etats pouvaient réglementer librement l’avortement à condition que la vie de la femme soit protégée.

Développement des cliniques d’avortement

En 1973 cependant, la majorité des hôpitaux refusaient de pratiquer l’avortement. Ce qui amena à ouvrir des cliniques spécialisées à travers tout le pays afin d’y pratiquer des avortements.

Centre de santé reproductive. Manifestations interdites dans cette zone | flickr Adam Fagen CC-BY-SA-2.0

Dès lors, de nombreux Etats essaient restreindre la jurisprudence de la Cour suprême. Cela vise surtout les femmes de moins de 18 ans en exigeant l’autorisation des parents pour avorter. Mais aussi la fixation d’un délai d’attente ou des échographies obligatoires pour déterminer le stade de la grossesse.

En 1992, un nouvel arrêt de la Cour suprême, dans l’affaire Planned Parenthood of Southeastern Pa. vs Casey, a supprimé le système des trimestres de Roe, et lui a substitué une nouvelle règle, en vertu de laquelle il est interdit aux Etats d’adopter toute réglementation imposant une «charge indue» au droit d’une femme d’avorter. Mais aucun critère n’était donné pour déterminer ce caractère indû. Ce qui a entrainé un grand nombre de contestations.

L’arrêt «Dobbs» de 2022

L’arrêt rendu le 24 juin 2022 examine la loi du Mississipi qui oppose Thomas E. Dobbs, responsable de la santé dans cet Etat du sud, et une clinique d’avortement, la Jackson Women’s Health Organization. Cette dernière attaquait la loi de l’Etat, datant de 2018, réduisant le délai pour l’IVG à 15 semaines de grossesse, au lieu des 22 à 24 autorisées par les arrêts Roe et Casey (les autres pays occidentaux fixent ce délai à 12 ou 14 semaines NDLR)

Les juges de la Cour suprême ont décidé l’invalidation de l’arrêt Roe vs Wade . Ils notent que « la Constitution ne fait aucune référence à l’avortement, et aucun droit de ce type n’est implicitement protégé par une quelconque disposition constitutionnelle, y compris celle sur laquelle les défenseurs de Roe et Casey s’appuyaient, à savoir le 14e amendement ».

Les juges n’hésitent pas à affirmer que «Roe était une erreur flagrante dès le départ. Son raisonnement était exceptionnellement faible, et la décision a eu des conséquences néfastes. Loin d’apporter un règlement national de la question, Roe et Casey ont enflammé le débat et approfondi la division.

Ils concluent donc qu’il est temps « de tenir compte de la Constitution et de renvoyer la question de l’avortement aux représentants élus du peuple ». Ce qui signifie que chaque Etat sera libre de légiférer sur la question.

«Nous ne pouvons pas permettre que nos décisions soient affectées par des influences extérieures telles que l’inquiétude quant à la réaction du public à notre travail,» concluent les juges. (cath.ch/ag/mp)

Maurice Page

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