Par Jessica Da Silva
«Durant toute l’élaboration de son œuvre Mlle Basset — qui travaillait sur un petit métier — s’est trouvée dans l’impossibilité quasi absolue de considérer son panneau dans sa totalité, étant donné ses dimensions mêmes, vous saisirez mieux encore le vrai mystère d’une telle réussite », remarque le journaliste Jean de Fontanes dans le journal Courrier, en octobre 1950. L’artiste genevoise «a composé son ouvrage dans des conditions assez analogues à celles dans lesquelles travaillerait un sourd en composant une symphonie. C’est en soi-même qu’elle devait regarder, pour retrouver la globalité de son travail ! Oui, dans cette réussite-là, la pieuse constance de l’artiste y est pour beaucoup.»
L’œuvre est dédiée à saint Victor, soldat de la Légion thébaine qui aurait été massacrée vers 300 près d’Agaune (ndlr: appellation romaine de l’actuelle ville de Saint-Maurice (VS)) pour avoir refusé de participer à un sacrifice païen. Saint Victor avait notamment pour compagnon d’armes saint Ours et saint Maurice. La tapisserie de saint Victor dépeint différents épisodes et éléments marquants, du martyre au culte du saint en passant par le triomphe de la foi. Lors de l’inauguration de la tapisserie, c’est l’abbé de Saint-Maurice, Monseigneur Haller, qui avait procédé à sa bénédiction. Pour symboliser ce lien entre Agaune et Genève, Alice Basset a tissé leurs blasons au bas de la tenture: la croix tréflée d’argent de l’Abbaye et les deux clefs d’or de l’ancien Diocèse de Genève.
Point de fuite principal, au centre de l’œuvre, saint Victor reçoit la couronne du martyr. A gauche, on retrouve saint Maurice avec la Légion thébaine à Agaune, les mains attachées derrière le dos. L’Empereur instigateur du massacre, Maximien Hercule, trône au bord du cadre. A droite, l’évêque de Genève Domitien, mène une procession de moines bénédictins portant la châsse d’or avec les reliques de saint Victor. Tout en bas à gauche, un autel avec un feu pour les sacrifices païens contraste avec l’enfant qui porte une torche de feu, symbole de la foi chrétienne, en bas à droite.
Composée, à la base, d’une centaine de coloris de laine, dans sa tenture, «Alice Basset a mis à l’intérieur des éléments supplémentaires pour lui donner du relief», détaille l’historienne Chantal Renevey-Fry. Paillettes, cabochons, brocart, cuirs et satin sont autant de matériaux additionnels qui font la modernité et l’ingéniosité de son travail. «C’est une vraie peinture sur laine!», résume Chantal Renevey-Fry.
Le retable de Saint-Victor s’inscrit dans un programme décoratif plus large, initié à l’occasion de la rénovation de l’Eglise Saint-Joseph, dans les années 1930. «On est en plein dans les années fastes des décors liturgiques, dans la mouvance du Groupe Saint-Luc, qui visait à recréer un programme artistique pour les églises, plus contemporain et s’inspirant aussi des traditions médiévales», explique Chantal Renevey-Fry. A l’occasion des 150 ans de la paroisse de Saint-Joseph, cette archiviste de métier a dirigé et co-écrit un ouvrage retraçant l’histoire du site et de ses œuvres d’art. Dans son approche, le Groupe de Saint-Luc revisite l’ensemble des arts sacrés, des vitraux au mobilier en passant par les vêtements liturgiques. «Ce sont des artistes qui ont à cœur de mettre leur talent au service de l’Eglise, au service de leur foi et de réaliser une œuvre collective», étaie Chantal Renevey-Fry.
Tour à tour artiste-peintre, brodeuse, illustratrice et accessoiriste de théâtre, Alice Basset est une artiste complète. C’est à l’Ecole des arts industriels de Genève et le temps d’une année d’étude aux Beaux-Arts dans la classe d’Alexandre Cingria, qu’elle acquiert une solide palette de savoir-faire. Sa connaissance des différentes techniques des arts profanes a nourri ses productions dans l’art sacré.
Outre le retable de Saint-Victor, Alice Basset a dessiné six vitraux, ainsi que la mosaïque du baptistère. Elle a également réalisé un retable en broderie pour l’église du Christ-Roi, au Petit-Lancy. (cath.ch/jds)
Jessica Da Silva
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