Cécile Lemoine/terresainte.net
C’est la fin d’une complexe bataille juridique qui aura duré 18 ans. La demande d’un nouveau procès par le patriarcat Grec-Orthodoxe dans l’affaire des biens immobiliers qui l’oppose au groupe juif radical Ateret Cohanim a été rejetée, le 8 juin, par la Cour Suprême israélienne. Un verdict qui épuise tout autre recours pour l’Église grecque orthodoxe.
La propriété de quatre biens immobiliers: les hôtels Imperial, Petra et Little Petra, situés porte de Jaffa, en vieille ville de Jérusalem, ainsi qu’un bâtiment du quartier chrétien, est donc officiellement transmise à Ateret Cohanim. Cette organisation, qui vise à judaïser Jérusalem via l’achat de maisons non-juives dans les quartiers chrétien, arménien et musulman de la vieille ville, avait fait l’acquisition de ces édifices auprès du patriarche grec-orthodoxe Irénée Ier, en 2004.
Ces ventes, très critiquées par les chrétiens palestiniens à l’époque, ont conduit à la destitution d’Irénée Ier, remplacé dans la foulée par Theophilos III, le nouveau patriarche promettant de faire annuler les transactions.
L’Église orthodoxe a d’abord insisté sur le fait qu’Irénée Ier n’avait pas le pouvoir de conclure de tels accords parce qu’il n’avait pas reçu l’approbation du Conseil synodal. Ce qui rendait selon elle les contrats de vente illégaux. Plus tard, une deuxième série d’arguments ont été avancés, accusant Ateret Cohanim d’avoir eu recours à des pots-de-vin pour soudoyer Nicholas Papadimas, le directeur financier de l’Église grecque-orthodoxe de Jérusalem et son représentant dans la rédaction des transactions. «C’est, en fin de compte, cette réclamation qui a été largement au centre de la procédure», note la Cour Suprême israélienne dans son verdict.
«La décision de la Cour Suprême n’est pas une surprise», soupire Bassma Kirresh, dont la famille loue le Little Petra à l’Eglise grecque-orthodoxe. «Il était clair que les juges allaient refuser notre demande d’ouvrir un nouveau procès.» La Cour avait en effet déjà approuvé les ventes en 2019, avant que le processus ne soit gelé quelques mois plus tard.
Le Patriarcat, dénonçant une décision «injuste» et ne reposant «sur aucune base juridique ou logique» , a affirmé dans un communiqué qu’il continuerait à «soutenir le maintien des locataires palestiniens dans ces propriétés chrétiennes», et qu’il resterait «inflexible dans sa lutte pour freiner la politique raciste et l’agenda de l’extrême droite israélienne», qui selon lui, «vise à éroder l’identité multiple de la ville de Jérusalem et à y imposer une nouvelle réalité».
Les grecs-orthodoxes dénoncent depuis longtemps la volonté d’effacer tout ce qui est non-juif à Jérusalem. Outre la question de la présence des chrétiens – pas seulement orthodoxes -, celle de leur patrimoine et de leurs droits dans leur quartier historique, les Églises s’inquiètent des violations répétées du statu quo qui compromettent l’intégrité de la ville sainte et par conséquent, craignent de voir la coexistence des différentes communautés qui caractérisent Jérusalem voler en éclat.
C’est la suite qui pose désormais question. L’avenir des locataires des hôtels dépendra du respect par Ateret Cohanim du statut de «locataire protégé» qui leur ait accordé par la loi. À ce jour, les Dajani, locataires et gérants de l’Imperial, et les Kirresh pour le Petra, restent à leur place. Mais leur expulsion pourrait intervenir à tout moment.
Bassma Kirresh s’inquiète: «Maintenant ils peuvent entrer et s’installer à tout moment. Et ça sera encore plus facile pour eux parce que le Little Petra est déjà occupé par des colons qui ont le soutient de la police.» Le 26 mars dernier, des membres d’Ateret Cohanim s’étaient introduits par effraction dans l’établissement, où ils se sont installés depuis.
«Beaucoup de questions restent à ce jour sans réponse», pointe Gabi Hanni, responsable du Versavee, un restaurant implanté dans un bâtiment grec-orthodoxe voisin de l’hôtel Imperial. Problème: la cour, où chaises et tables sont régulièrement installées, est située à l’entrée de l’hôtel. «Il faut attendre et voir ce qui va être décidé» , ajoute-t-il, désabusé.
La question de l’argent rentre aussi en jeu. Si les locataires actuels peuvent rester, ce sera probablement en échange d’un gros loyer. «Ateret Cohanim a demandé 10 millions de shekels (3 millions de francs) aux Dajani, rappelle Bassma Kirresh. Nous, on paye 40’000 shekels (12’000 francs) tous les ans au patriarcat orthodoxe pour la location du Little Petra. On ne pourra jamais débourser ces millions s’ils nous les demandent.»
Les familles comptent sur l’aide du Patriarcat, qui a su, par le passé, débloquer de l’argent pour ce genre de situation. Bassma Kirresh est déterminée: «On n’arrêtera pas de se battre. Nous resterons dans l’hôtel jusqu’au bout. Il faut garder l’héritage chrétien en vieille ville et à porte de Jaffa, vivant.» (cath.ch/terresainte.net/cl/bh)
Rédaction
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