Enrico Crasso est un banquier romain qui s’est vu confier plusieurs investissements et missions de conseil par la Secrétairerie d’État pendant 26 ans. Dans un mémoire transmis pendant l’audience, il explique avoir été présenté au prédécesseur de Mgr Alberto Perlasca à la tête des finances de l’administration centrale du Saint-Siège, Mgr Gianfranco Piovano (en poste jusqu’en 2009), par le chef du bureau romain de la banque américaine Merill Lynch.
À l’époque, il travaillait comme directeur d’une entreprise de conseil, PrimeConsult, une structure appartenant à l’entreprise Fiat et à la banque Montepaschi di Siena, dans laquelle la Secrétairerie d’État aurait investi un peu plus de 150’000 euros. En 2000, Enrico Crasso rejoint le Crédit Suisse, banque helvète dans laquelle la Secrétairerie d’État investira cette fois-ci, entre 2000 et 2012, près de 40 millions d’euros.
En juin 2014, il quitte le Crédit Suisse et fonde Sogenel Capital Holding SA, une entreprise d’investissement et de conseil basée à Lugano en Suisse, à travers laquelle il continue à travailler pour le Saint-Siège. En juillet 2016, son entreprise est vendue à AZ Swiss, et Enrico Crasso devient co-directeur de son département patrimonial, continuant à gérer le patrimoine confié par le Vatican. Pendant l’audience, il a déclaré que dans toutes les missions d’opérateur qu’il a pu mener pour la Secrétairerie d’État dans sa carrière, «il n’y a jamais eu de rendement négatif».
Pendant toutes ces années, Enrico Crasso explique avoir aussi travaillé régulièrement comme consultant financier pour le Saint-Siège. Lors de son interrogatoire, il a cependant insisté sur le fait qu’il n’avait jamais reçu de mandat formel en tant que consultant de la part de la Secrétairerie d’État.
L’homme d’affaires est aujourd’hui accusé de détournement de fonds, de corruption, d’extorsion, de blanchiment d’argent, de fraude, d’abus de pouvoir, et de faux en écriture publique et privée.
La justice lui reproche d’avoir touché de l’argent dans plusieurs opérations et avoir reçu des commissions occultes de Raffaele Mincione, charges qu’il nie complètement. «Je n’ai jamais eu d’instructions pour retirer un centime des comptes de la Secrétairerie d’État», a-t-il déclaré pendant l’interrogatoire, insistant sur le fait qu’il avait seulement un pouvoir de gestionnaire financier.
Fait intéressant, sa défense s’appuie notamment sur une lettre de 2016 du cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’État du Saint-Siège, dans laquelle le ›bras droit’ du pape François affirme que les actifs du Vatican gérés par Crédit Suisse pouvaient être investis sans respecter les normes et règlements du Saint-Siège.
Lors d’une réunion en présence de Mgr Angelo Becciu, de Mgr Alberto Perlasca, chef du Bureau administratif, et de l’official Fabrizio Tirabassi, on aurait demandé à Enrico Crasso de trouver une personne capable d’évaluer un projet d’investissement dans l’entreprise Falcon Oil, une structure pétrolière administrée par l’homme d’affaire angolais Antonio Mosquito. C’est dans le cadre de ce contrat, a-t-il expliqué, qu’il a présenté le banquier Raffaele Mincione à la Secrétairerie d’État en 2012, à la demande du Bureau administratif de la Secrétairerie d’État.
Plus précisément, il affirme avoir porté « fièrement » à ses supérieurs au Crédit Suisse la lettre du Saint-Siège lui confiant ce mandat – en vue d’un investissement de 200 millions d’euros. Ses chefs l’ont orienté vers le bureau londonien de la société où on lui a présenté comme expert en matières premières Raffaele Mincione.
Enrico Crasso explique avoir estimé que Raffaele Mincione et son équipe lui avaient semblé compétents, et que son rôle s’était ensuite limité à l’évaluation des garanties apportées par l’entreprise angolaise. Sur ce point, il affirme avoir déconseillé au Saint-Siège d’accepter cette offre – une version qui corrobore celle du cardinal Becciu.
Pendant cette période, Raffaele Mincione a constitué le fonds luxembourgeois Athena pour préparer l’éventuel investissement, abondé par le Saint-Siège à hauteur de 200 millions d’euros, une structure qui servira ensuite de base pour l’investissement londonien du 60, Sloane Avenue après l’abandon du projet angolais en 2014. Le banquier romain affirme être entièrement « étranger » à cette opération financière.
Dans son mémoire de défense, Enrico Crasso affirme n’avoir été ensuite impliqué sur ce dossier qu’entre 2015 et 2016 quand la Secrétairerie d’État lui a demandé d’effectuer une sorte d’audit sur le fonds Athena, administré par Raffaele Mincione. Citant des échanges de mails, il affirme avoir clairement mis en doute les investissements effectués par l’italo-britannique « dans des instruments sans fondement et à la faisabilité douteuse ».
Le Romain explique avoir demandé des éclaircissements à Raffaele Mincione, sans résultat. Au contraire, Enrico Crasso sous-entend que le banquier italo-britannique aurait demandé «implicitement» à Mgr Perlasca et Fabrizio Tirabassi de l’écarter de l’affaire.
En 2016, le Saint-Siège aurait demandé à Enrico Crasso un avis sur un investissement d’une succursale du fonds Athena, WRM CapInvest Ltd, dans des actions de la Banque Populaire de Milan. Enrico Crasso déclare avoir exprimé «à plusieurs reprises ses très fortes réticences à l’égard de cet investissementa».
En novembre de la même année, le Saint-Siège confie à Enrico Crasso le soin de faire bloquer par les banques (BSI et Crédit Suisse) une opération lancée par Raffaele Mincione visant à demander aux groupes Crédit Suisse et Clearstream de convertir en euros les actifs d’Athena qui étaient en dollars. Enrico Crasso affirme avoir empêché la redénomination.
Enrico Crasso affirme être «entré dans l’affaire de Londres par accident», n’ayant selon lui aucune compétence « pour dire si l’investissement à Londres était ou non un investissement risqué». «Aller à Londres a été la plus grave erreur de ma vie. J’aurais dû rester en dehors de ça», s’est-il exclamé en référence aux trois jours qu’il a passés dans la capitale britannique du 20 au 23 novembre 2018 avec Fabrizio Tirabassi pour signer les accords visant à faire passer le contrôle de l’immeuble de Londres de Raffaele Mincione à la Secrétairerie d’État.
À l’issue de ce voyage, le contrôle de la propriété avait finalement été confié au courtier Gianluigi Torzi dans des conditions très défavorables au Saint-Siège. Conditions qui, selon le Promoteur de justice, auraient permis à ce dernier d’extorquer 15 millions au Vatican.
Enrico Crasso affirme n’avoir eu aucun contact avec Gianluigi Torzi avant cette rencontre, mais aussi ne pas avoir eu la compétence légale pour repérer les irrégularités dans l’accord très défavorable signé par le Saint-Siège. Sa mission, assure-t-il, se limitait alors à assurer la gestion d’un fonds gérant les loyers des locataires de l’immeuble de Londres, pas le contrôle de l’immeuble lui-même.
Pendant son interrogatoire le promoteur de justice et les avocats de la défense ont aussi posé des questions sur Centurion, un fonds d’investissement maltais dont Enrico Crasso était titulaire et qui a géré d’autres actifs de la Secrétaire d’État. Le Promoteur de justice a fait remarquer que Mgr Edgar Peña Parra lui avait demandé de cesser tout investissement le 11 novembre 2019, et qu’il avait pourtant poursuivi par la suite.
A été notamment évoquée l’acquisition d’un immeuble sur la Via Gregorio VII, à deux pas du Vatican, pour une valeur de plus d’un million d’euros. Crasso a expliqué que l’investissement avait été décidé avant l’envoi de la lettre de Mgr Peña Parra, mais a aussi affirmé qu’il n’avait pas besoin de l’autorisation de la Secrétairerie d’État pour effectuer des investissements avec ce fonds, le Saint-Siège n’étant qu’un souscripteur.
La prochaine audience se tient ce 31 mai, avec la suite de l’interrogatoire de Fabrizio Tirabassi. L’audience du 1er juin a été annulée à cause de l’impossibilité de Nicola Squillace de se rendre au tribunal, a expliqué le juge Giuseppe Pignatone.
Les prochaines audiences auront lieu les 6 et 7 juin, à l’occasion desquelles on entendra pour la première fois Raffaele Mincione. Puis, le 22 juin, reprendra l’interrogatoire d’Enrico Crasso. (cath.ch/imedia/ic/cd/bh)
Bernard Hallet
Portail catholique suisse
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