Un jour, Raymond Nussbaum prend sa plume et contacte les médias catholiques. Il possède 13 classeurs remplis d’homélies radiodiffusées sur Espace2. «Depuis les années 1970, je reçois chaque semaine le texte des homélies. Je les ai toutes gardées et classées au fur et à mesure, écrit-il. Aujourd’hui, je suis malade et âgé. Je souhaite faire de la place et donner ces classeurs à des personnes qui en auront plus besoin que moi».
Comme Cath-Info compte déjà toutes ces homélies dans ses propres archives, il est suggéré à cet auditeur de s’adresser aux Archives cantonales vaudoises, puisque la radio est basée à Lausanne. Mieux: nous contactons directement les ACV en son nom, afin de prendre la température. Les archivistes se disent intéressés, mais ils suggèrent de remplir d’abord un formulaire, afin de récolter le maximum d’informations. Ils se disent prêts à envoyer un commissaire jusqu’à Neuchâtel, pour voir ‘de leur propres yeux’ ces potentielles futures archives.
En attendant, Raymond Nussbaum nous reçoit chez lui, dans le quartier de Serrières, là où il passe la plupart de son temps. Au jour et à l’heure convenus, il vient nous accueillir en bas de l’ascenseur, muni d’un respirateur et d’un déambulateur. En remontant, il nous explique qu’il a beaucoup de peine à respirer, ce qui l’empêche de se déplacer facilement. Situé au dernier étage, son appartement offre une magnifique vue sur le lac, de quoi égayer son quotidien parfois monotone et douloureux.
Raymond Nussbaum est un collectionneur. La table basse de son salon est vitrée et contient une quantité incalculable d’anciennes boîtes à pilules: en porcelaine, en argent ou bronze, il y en a pour tous les goûts. Parmi elles se trouvent également quelques custodes pour hostie, que l’on apporte à quelqu’un qui ne peut pas se déplacer pour venir communier à l’église. Raymond est particulièrement fier d’avoir celle qui a appartenu à Mgr Gabriel Bullet, évêque auxiliaire de Lausanne, Genève et Fribourg de 1971 à 1994.
Né en 1951 d’une mère catholique et d’un père protestant, le Neuchâtelois a grandi ‘catholique’ dans un canton et un contexte protestant. «Il m’est parfois arrivé d’être le seul catholique de toute la classe… ce qui ne m’a jamais empêché de provoquer les autres: quand venait mon tour de dire le ‘Notre Père’, je récitais un ‘Je vous salue Marie’ [rire]», raconte-t-il, espiègle.
Il porte en lui aussi les difficultés de la mixité confessionnelle dans le contexte catholique. «Quand mes parents se sont mariés, à la collégiale d’Estavayer-le-Lac (FR), on a fermé les grilles du chœur, et ils ont dû se marier devant. Comme si l’Église ne reconnaissait pas pleinement leur union», évoque-t-il.
Il se pose très jeune la question de la prêtrise. Il commence même le séminaire, «mais je n’ai pas tenu le coup», raconte-t-il à sa manière. Alors il se tourne vers la coiffure, obtient un CFC, et poursuit dans l’hôtellerie – de serveur à chef de service –, puis travaille dans la chocolaterie Suchard – du temps de la grande entreprise à Serrières –, et enfin comme responsable d’achat à l’Hôpital de la Providence, à Neuchâtel. Parallèlement, il continue d’être très proche de tout ce qui a trait à l’Église catholique.
«Je suis resté très traditionnel. En liturgie, j’ai besoin que les choses soient bien faites et avec soin. Je fais aussi partie de ceux qui apprécient toujours la messe en latin, parce qu’ils l’ont encore connue avant Vatican II». Quand la paroisse St-Norbert de Neuchâtel a recommencé à célébrer des messes en latin, elle manquait de mobilier et d’objets liturgiques. Raymond a alors lancé un appel dans toutes les paroisses du canton pour récupérer tout le matériel que la nouvelle liturgie n’utilisait plus. Il a aussi fourni quelques objets pour les Sœurs adoratrices au Noirmont (JU), entre autres.
«Je fais partie de ceux qui apprécient la messe en latin, parce qu’ils l’ont encore connue»
Confronté au handicap, Raymond s’est occupé de nombreuses années de ses parents, qui se sont retrouvés tous deux en chaise roulante. Dans les années 1970, il a la responsabilité des participants neuchâtelois au Pèlerinage romand à Lourdes. C’est aussi à partir de ces années-là qu’il écoute assidûment les messes radiodiffusées.
«Le plus beau jour de la vie, c’est quand mon père, protestant, a commencé à parler avec l’évêque, Mgr Pierre Mamie, présent au pèlerinage. Je n’ai jamais su de quoi ils ont parlé ni ce qu’ils se sont dit, mais, plus tard dans la journée, mon père recevait l’eucharistie des mains de l’évêque.»
Le deuxième petit miracle, comme Raymond les appelle, concerne son grand frère. Pendant longtemps indifférent à la foi, il est redevenu croyant sur le tard. «Aujourd’hui, mon frère ne raterait une messe dominicale sous aucun prétexte. Et j’ai de la chance de l’avoir, car c’est lui qui vient me chercher chaque dimanche matin, à 9h précise, pour me conduire à la messe de 10h à la basilique Notre-Dame de Neuchâtel. Alors je peux encore écouter une partie de la messe radiodiffusée en route». Il ajoute: «Je fais des infidélités à ma paroisse St-Marc, à Serrières, que j’aime beaucoup, mais l’horaire des messes du samedi soir n’est pas idéal pour moi».
«Il y a des choses qui ont une telle valeur affective; ce n’est pas évident d’évacuer»
Raymond Nussbaum est train de faire de l’ordre dans ses affaires. N’ayant pas d’enfants, il le sait: «Personne ne s’occupera de mes affaires, le jour où je ne serai plus là. Alors j’évacue petit à petit, mais ce n’est pas évident. Il y a des choses qui ont une telle valeur affective à mes yeux». Si tout se passe bien, les Archives cantonales vaudoises devraient déjà lui permettre de se séparer de treize classeurs d’homélies radiodiffusées. (cath.ch/gr)
Grégory Roth
Portail catholique suisse
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