Italie: les victimes d’abus en Eglise comptent sur le cardinal Zuppi

«La méthode de la porte ouverte» attribuée au cardinal Matteo Zuppi, nommé le 24 mai 2022 à la tête de la Conférence des évêques d’Italie (CEI), laisse un espoir aux victimes d’abus commis par des membres du clergé. Les abus sexuels commis par des membres du clergé italien n’ont pour le moment pas fait l’objet d’étude globale dans le pays.

Le 25 mai, la conférence de présentation du nouveau livre de Lucetta Scaraffia, «Agnus Dei, les abus sexuels du clergé en Italie» – publié en italien aux éditions Mondadori et co-écrit avec l’historienne Anna Foa et la journalise Franca Giansoldati -, a été l’occasion de rappeler la gravité de ce phénomène. Rappelons que Lucetta Scaraffia est l’ancienne directrice de «Donne, Chiesa, Mondo (Femmes, Eglise, Monde)», le supplément du quotidien du Vatican «L’Osservatore Romano».

Climat tendu à la Conférence des évêques d’Italie

Cette conférence, organisée au siège romain de l’association de la presse étrangère en Italie, a été l’occasion de rappeler que les abus sexuels commis par des membres du clergé italien n’ont pour le moment pas fait l’objet d’étude globale dans le pays, contrairement à certains de ses voisins européens.

Lors de ses interventions récentes devant la CEI, organisées dans un climat tendu, le pape a «tiré l’oreille des évêques italiens» en signalant notamment que le sommet des présidents des épiscopats du monde entier organisé au Vatican en 2019 n’avait pas été suivi de suffisamment d’actes concrets en Italie. C’est ce qu’a rappelé Franca Giansoldati, la vaticaniste du quotidien romain «Il Messaggero». Le volet de la prévention a fait l’objet de documents de formation, mais jamais la Conférence épiscopale n’a reçu formellement les victimes ni organisé d’étude approfondie sur le sujet.

Un «évêque de gauche»

L’arrivée du cardinal Zuppi pourrait toutefois soulever un espoir, a noté la journaliste. L’archevêque de Bologne, accueilli dans ce diocèse en 2015 avec méfiance par une partie de son clergé conservateur qui le cataloguait comme un «évêque de gauche», a su rétablir l’unité dans son diocèse en se mettant à l’écoute de tous, sans idées préconçues, s’est-elle souvenue. S’il applique cette même méthode des petits pas sur la question des abus dans l’Église italienne, peut-être pourrait-il impulser de réels changements, a expliqué Franca Giansoldati.

Elle a rappelé qu’actuellement très peu d’évêques sont favorables à une enquête indépendante, et le cardinal Bassetti termine son quinquennat sur un constat d’échec quant à l’évaluation du phénomène. La seule idée concrète timidement évoquée par les évêques ces derniers mois a été de créer une commission sur les 78 diocèses (sur 220) dotés d’une cellule d’écoute depuis 2019. Mais cette étude limitée à l’analyse de l’efficacité de ces structures ne permettrait pas d’avoir une amplitude historique.

Un observatoire sur la pédophilie

Pour les auteurs du livre, une autre piste abordée serait de créer un observatoire sur la pédophilie au niveau du ministère de la Famille, qui pourrait effectuer des enquêtes sur le milieu de l’éducation, le sport, et donc aussi l’Église. Mais l’empreinte de l’Église dans la société italienne est tellement forte que les interventions politiques à ce sujet sont demeurées très rares. La nécessité d’une «pression politique et médiatique» mieux articulée a donc été soulignée par Lucetta Scaraffia. Jusqu’à présent, les quelques articles retentissants sur des scandales d’abus survenus dans certains diocèses ont rarement fait l’objet d’un suivi sérieux et sur le long terme.

La force sociale de l’Église dissuade les critiques

«Nous sommes habitués à un réflexe conditionné en raison de la puissance de l’Église», a remarqué Lucetta Scaraffia, soulignant toutefois «une grande indifférence religieuse» dans la société italienne. «Les gens se servent de l’Église» pour trouver des opportunités professionnelles et des occupations gratuites pour leurs enfants, mais sont moins habitués à croire que l’Église «témoigne de Jésus». Ils se montrent peu exigeants sur la question de la cohérence des prêtres par rapport aux exigences de l’Évangile, a-t-elle dénoncé. Quand des accusations d’abus surviennent localement, elles suscitent souvent, parmi les paroissiens, un réflexe de solidarité autour du curé plus qu’une écoute des victimes présumées.

L’Italie est en retard sur le reste de l’Europe

L’Italie est donc en retard sur le reste de l’Europe, et devrait s’inspirer des études menées dans d’autres pays, notamment en Allemagne et en France, afin d’avoir une vision d’ensemble et corriger les dysfonctionnements, ont expliqué les intervenants. «Un mea culpa des évêques pourrait être acceptable si une étude sérieuse était mise en place», a relevé Francesco Zanardi, journaliste et lui-même victime d’un prêtre, et dont l’association «Rete L’Abuso» rassemble 1’600 victimes revendiquées. Il a relevé les incohérences du système actuel, et notamment l’invitation faite aux victimes à s’adresser à des cellules mises en place dans des diocèses qui, dans le même temps, dépensent d’énormes sommes en frais d’avocat pour défendre leurs prêtres. 

Enfants de familles pauvres souvent victimes

Lucetta Scaraffia a remarqué que les victimes se trouvent souvent parmi les enfants de familles pauvres soutenues par l’Église, et que les éventuels dépôts de plainte risquent de leur faire perdre leur logement. Quand des diocèses proposent aux familles de victimes des sommes de 20’000 ou 25’000 euros pour éviter toute procédure judiciaire, ils «achètent leur silence», a dénoncé Francesco Zanardi. 

Au-delà du cas spécifique de la pédophilie, Lucetta Scaraffia espère un réveil des consciences par rapport aux dégâts provoqués par les «prédateurs sexuels» qui peuvent sévir au sein de l’Église. Par exemple, les religieuses enceintes d’un prêtre sont parfois incitées par leurs supérieurs à avorter pour éviter un scandale public. Ces situations dramatiques provoquent un «court-circuit théologique et moral», une incohérence profonde avec la doctrine catholique sur la protection de la vie, a dénoncé Lucetta Scaraffia. 

Des religieuses enceintes d’un prêtre incitées à avorter

«Tant que l’Église ne reconnaîtra pas la responsabilité du système dans son ensemble, rien n’avancera. Tant que les coupables ne seront pas punis, rien n’avancera», s’est agacé l’historienne italienne, qui espère aussi un discernement plus rigoureux des vocations sacerdotales au sein des séminaires.

La journaliste turque, Esma Cakir, présidente de l’association de la presse étrangère en Italie qui était l’hôte de cette conférence, a suggéré la constitution d’un collectif de journalistes de différents médias pour enquêter sur ce phénomène des abus en Italie, sur le modèle des «Vatileaks» ou des «Panama Papers». Cette idée a suscité un vif intérêt de Lucetta Scaraffia, qui a proposé de mettre toute la documentation rassemblée pour son livre à la disposition des journalistes. (cath.ch/imedia/cv/be)

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