Myriam Bettens pour cath.ch
«Après une période difficile et épuisante sur le plan professionnel, j’avais besoin de prendre du recul et pouvoir en parler à quelqu’un d’externe ayant un regard neutre sur mon vécu. Au Centre d’Ecoute, je me suis sentie accueillie, respectée et non jugée. Cet accompagnement fut pour moi libérateur, car j’ai pu déposer ma souffrance, tourner la page et repartir de zéro dans le nouveau poste que je venais de trouver», confie une soignante sous couvert d’anonymat. Les situations de détresse similaires à ce témoignage sont légions et les chiffres de deux enquêtes en ligne menées par le syndicat Unia en 2019 le confirment encore.
Face à ce constat alarmant, un groupe de chrétiens, sous la houlette de l’association Chrétiens au Service de la Santé (CASS), a décidé d’essayer d’inverser la tendance. Ils ont fondé en 2015 les Centres d’Écoute. Déjà implantés sur sept sites en Suisse romande, ces lieux mettent à disposition des soignants formés à l’accompagnement pour écouter leurs collègues du monde médical. Le huitième site vient d’ouvrir à Genève, grâce au concours des Sœurs de la Croix de Chavanod. (Voir encadré).
Ovationnés par la population durant la crise du Covid, ce personnel de santé est au bord de la rupture déjà depuis des années. La conjonction du stress, de problèmes de santé, la pression exercée par l’austérité, les ressources en personnel insuffisantes poussent de nombreuses personnes à abandonner le métier. Près d’un soignant sur deux déjà en poste n’envisage en effet pas de poursuivre sa carrière jusqu’à la retraite, ce alors que les établissements hospitaliers manquent de personnel et peinent à recruter.
En marge de l’inauguration du Centre d’Écoute genevois, Rachel Walch a accepté de répondre à quelques questions
Comment avez-vous perçu le besoin d’ouvrir des Centres d’Ecoute?
Rachel Walch: Lorsque je travaillais en tant qu’infirmière à l’hôpital, mes collègues se confiaient beaucoup, autant pour des problèmes personnels que professionnels. Je faisais alors une formation, à titre privé, en relation d’aide. Petit à petit est née cette idée de «prendre soin de soi pour mieux prendre soin des autres». Ces petits entretiens informels avec mes collègues me montraient que la souffrance était réelle.
Outre vos centres, qui s’occupe de la souffrance des soignants?
Dans certaines institutions, les aumôniers sont disponibles pour les soignants. Parfois ce sont les ressources humaines qui mènent ce travail ou encore la médecine du personnel. Dans le cas de l’hôpital où je travaillais, mes collègues ne souhaitaient pas de se confier au service dédié. Lorsque l’aide proposées se trouve au sein de l’institution, les soignants sont moins enclins à se confier.
Vous venez d’évoquer les aumôniers, pourquoi les soignants ne s’adressent-ils pas à eux, car c’est un peu ce que vous sous-entendez?
Oui effectivement, il existe toujours une retenue en regard de l’étiquette confessionnelle, l’aumônier est avant tout considéré comme une figure religieuse. Je pense également qu’il y a une certaine méconnaissance, car les soignants se tournent vers lui lorsqu’il y a une situation de fin de vie. Il est donc un peu catalogué comme la solution pour les personnes qui vont vraiment très mal. Mais avant de considérer que l’aumônier puisse être une ressource, les soignants doivent être capables de discerner qu’ils ont besoin d’aide. Et ça c’est un défi en soi.
«Lorsque l’aide proposées se trouve au sein de l’institution, les soignants sont moins enclins à se confier.»
Vous parlez de la coloration religieuse des aumôneries, mais vos Centres sont clairement chrétiens…
En effet, ces valeurs nous motivent à nous investir. Par contre, nous avons souhaité une neutralité dans la dénomination et la façon de procéder lors des entretiens. Le but étant que chacun se sente accueilli, peu importe que la personne ait une croyance ou non. Par ailleurs, si la foi est une ressource pour elle, alors nous l’utiliserons comme telle.
De quels types de souffrances ou de problèmes ces soignants vous font-ils part?
Il y a des situations de mobbing, tant de la hiérarchie que de collègues. L’envie parfois de tout abandonner et de se reconvertir professionnellement. Des «croisées de chemin» avec des décisions en lien avec un perfectionnement professionnel. Beaucoup de soignants arrivent avec des souffrances multiples. Le trop-plein pousse à la rupture. D’autre fois, les soucis personnels se répercutent sur le travail et vice versa. Ce qui peut conduire à des burn-out.
Que proposez-vous comme accompagnement?
Il peut prendre la forme d’un entretien unique où la personne «vide son sac», notre fonction est alors avant tout d’écouter, ou encore de «débriefer». Nous proposons aussi des suivis, car pour certains soignants les problématiques sont plus profondes et nécessitent plus de rencontres. Ces entretiens nous permettent d’élaborer des solutions concrètes, grâce par exemple à des grilles de lecture. Je note d’ailleurs que les écoutants ont des formations complémentaires. Par exemple, à Lausanne, l’accompagnatrice est spécialisée en thérapie familiale et conjugale, alors que celle de Bulle l’est en psychiatrie et en ergothérapie.
Vous parlez des outils, quels sont-ils?
Dans le cas du burn-out, pour ne citer que cela, il faut pouvoir reconnaître les signes avant-coureurs. Grâce à des tabelles, nous pouvons les pointer et travailler de manière préventive par rapport aux symptômes repérés. Cela peut concerner les agents stressants, la manière de les diminuer, ou encore la gestion du temps. Nous employons aussi des outils pour expliquer les dynamiques relationnelles, permettant ensuite d’agir différemment face à un collègue.
«Si seulement les soignants pouvaient réaliser que s’arrêter et demander de l’aide peut parfois suffire à débloquer toute une situation.»
Pensez-vous que le milieu hospitalier est créateur de ces souffrances?
Cela concerne toute notre société! La question se pose de ce que nous voulons privilégier. En l’occurrence, aujourd’hui l’aspect financier est prépondérant. Le bien-être du patient ou du personnel passe automatiquement au second plan. Les soignants sont pris en étau, car généralement les personnes qui exercent cette profession ne le font pas pour le salaire, mais par désir de donner à autrui. Un syndrome du sauveteur en quelque sorte. Ils ne savent souvent pas dire non et cela amène à ce type de situations de détresse. Si seulement les soignants pouvaient réaliser que s’arrêter et demander de l’aide peut parfois suffire à débloquer toute une situation. (cath.ch/myb/bh)
Huit Centres d’Écoute en Suisse romande
Outre les sept sites déjà implantés en Suisse romande, l’équipe d’écoutants a souhaité également proposer ce service à Genève, mais les ressources manquaient. C’est grâce au concours de Brigitte Mesot que s’ouvre une porte dans la Cité de Calvin. La responsable de la Pastorale du Monde du Travail (PMT) partage un même cœur pour les problématiques liées à la sphère professionnelle que l’équipe des Centres d’Ecoute. Le miracle (de l’œcuménisme?) s’opère alors. Les sœurs de La Croix de Chavanod, qui dirigent le Foyer l’Accueil, à proximité des HUG, ont été enthousiasmées par le projet. Elles ont décidé de mettre un local à leur disposition, inauguré le 17 mai. MB
Rédaction
Portail catholique suisse
https://www.cath.ch/newsf/geneve-a-lecoute-de-la-detresse-des-soignants/