Lyon 22 novembre 1831, les canuts sont dans la rue. Les ouvriers tisserands sont en révolte parce que les négociants leur ont refusé une augmentation de leurs tarifs. Bien organisés, ils mettent la garde nationale en déroute et se rendent maîtres de la ville. L’insurrection fait 169 morts des deux côtés et quelque 450 blessés .Mais dès le lendemain, le retour de la troupe fait craindre des vengeances et des massacres.
Pauline Jaricot se lance dans la lutte à sa manière. Constatant l’effet de la «médaille de Marie conçue sans péché» sur les insurgés comme sur les soldats qu’une veuve a commencé à donner, elle va en faire un large usage les faisant distribuer de main à main ou même à la volée, au total quelque 10’000. Finalement la révolte s’éteint, les ouvriers reprennent le travail. L’autorité républicaine rétablie fera preuve de modération envers les insurgés.
La justesse de l’analyse de la situation de Pauline frappe encore aujourd’hui. «Il me semble aujourd’hui avoir acquis la certitude qu’il faudrait d’abord rendre à l’ouvrier sa dignité d’homme en l’arrachant à l’esclavage d’un travail sans relâche; sa dignité de père en lui faisant goûter les douceurs et les charmes de la famille, sa dignité de chrétien (…) en lui procurant les consolations et les espérances de la religion.»
La nouvelle révolte des canuts d’avril 1834, sur les mêmes bases de revenus insuffisants, sera plus dramatique pour Pauline et ses compagnes. La maison de Lorette se trouve sous le feu croisé des combattants qui tirent de la place Bellecour et de la colline de Fourvière. Un premier boulet frappe la chapelle puis un second. Les habitantes se terrent dans les caves durant trois jours alors que les tirs et les coups de fusil éclatent au dehors. Le quatrième jour jours, elles constatent enfin que la terrasse de Fourvière a été reprise par les militaires. Le bilan de cette semaine sanglante sera de quelques 350 morts.
Pauline n’a pas attendu les révoltes des canuts pour développer sa conscience sociale. Dès sa jeunesse, elle fréquente les ouvrières et constate leurs conditions de vie et de travail. Elle n’est pas tendre pour la classe des possédants dont elle est issue: «paroles, actions inconsidérées, caprice, vanité, faiblesse, perte de temps dissipation, légèreté, attaches aux choses terrestres: ne sont-ce pas là les défauts des riches? (…) et ici je parle des riches bienfaisants, pieux, qu’est-ce des autres?»
La question sociale sera pour Pauline l’occasion d’imaginer son dernier plan qui lui sera cependant humainement fatal la conduisant à l’indigence matérielle et au mépris. Pauline cherche à donner aux ouvriers un cadre de travail et de vie familiale qui en fasse un modèle chrétien. Son regard se tourne alors vers Rustrel, dans le Lubéron.
Le village de Rustrel se situe dans ce que les guides touristiques appellent aujourd’hui le Colorado provencal. Au milieu du XIXe siècle, on ne s’intéresse guère aux somptueux paysages formés par les ocres rouges et jaunes, mais surtout au minerai de fer qu’on vient d’y redécouvrir. En pleine révolution industrielle, le village attire nombre d’entrepreneurs. Pauline Jaricot entend y développer son plan d’usine modèle.
Au départ le projet se présente bien, le potentiel est là non seulement pour le travail du fer, mais aussi de la terre cuite. Pauline laisse aller son imagination. Dans cet établissement, «des ouvriers vertueux pourraient en famille jouir des avantages d’un travail réglé avec prudence et rétribué selon la justice.»
Pour mener à bien son projet, Pauline s’associe a deux hommes d’affaires, un banquier et un maître de forges. Mais sous une apparence irréprochable, bardés de recommandations ecclésiastiques, se cachent en fait deux escrocs. Elle fait totalement confiance au banquier qu’elle a même hébergé quelques temps à la maison de Lorette avec sa femme et sa fille. C’est lui qui la persuade d’aller au secours du maître des forges pour lui permettre de relancer une nouvelle affaire. Pauline que l’on avait généralement vue prudente en affaires se laisse berner. En 1845, ils lui proposent de racheter l’usine de Rustrel. Pour lancer l’entreprise qu’elle appelle «Notre-Dame des Anges», Pauline consent sur sa fortune personnelle une large avance de fonds complétée par des actions proposées à de petits donateurs. Mais tout cet argent est englouti dans les dettes de ses associés. La faillite tombe en janvier 1847.
Pauline est alors atterrée. Consciente que l’appât de son nom a pu séduire de nombreux souscripteurs, elle s’engage à tous les rembourser bien qu’elle n’y soit pas légalement tenue. S’en suivra une série de procès qui nuira beaucoup à sa réputation.
Pauline tente bien de reprendre l’exploitation et l’usine fonctionne quelques mois tant bien que mal. Mais alors qu’elle s’active à retrouver des fonds, survient la révolution de 1848 qui remet tout en question. Pauline, seule et abandonnée se transforme en mendiante pour maintenir à flot l’entreprise et rembourser les actionnaires grugés. Elle part en tournée de ville en ville pour quémander de l’aide qu’elle obtient parfois. Elle tente de faire valoir son rôle de fondatrice auprès du Conseil de la Propagation de la foi, mais la réponse est glaciale et on refuse de l’aider. Sous la pression de ses créanciers l’usine sera finalement vendue aux enchères en 1852.
Outre le remboursement de ses dettes, l’avenir des «filles de Marie» qu’elle avait rassemblées à la maison de Lorette la tracasse. Face aux attaques, elle craint de les voir partir. La vie à Lorette, qui est toujours le centre du Rosaire vivant, devient difficile, Il faut réduire toutes les dépenses y compris le pain et l’huile, des zizanies éclatent. A la mort de Pauline, elles ne restera plus que plus que trois compagnes.
Le litige le plus douloureux pour Pauline sera celui qui l’opposera à un groupes d’hommes «les plus honorables et les plus honorés de Lyon» à savoir les membres de la commission de Fourvière. En achetant la maison de Lorette, Pauline avait déjà l’idée de protéger la colline de pèlerinage des constructions et des spéculateurs francs-maçons. Mais les membres de la commission, créée en 1853, lorgnent sur cette belle propriété situé directement au pied de l’espalanade où est bâtie la chapelle de Fourvière. (La basilique actuelle ne sera construite qu’à partir de 1872 NDLR). Pauline, pressée par ses dettes, serait disposée à la céder mais uniquement au prix du marché. S’en suit uh bras de fer de dix ans jusquà la mort de Pauline.
En 1852, Pauline imagine faire quelques sous en construisant sur son terrain un grand escalier et un cheminement permettant aux pèlerins de rejoindre la colline sans faire un grand détour et en bénéficiant d’un magnifique panorama sur la ville. Même à un sou le passage, l’entreprise est vite rentable, elle encaisse 14’873 francs la première année, 15’492 francs l’année suivante.
Mais le succès de son chemin attise la concurrence. La voisine de Pauline, située en contrebas, poussée par la commission de Fourvière commence la construction d’un chemin parallèle. Faute d’argent et surtout parce-qu’il faut passer quelques mètres sur le terrain de Pauline, le chantier est stoppé. L’affaire traîne jusqu’en octobre 1856, au moment où les voisins peu scrupuleux profitent d’une absence de Pauline pour percer le mur de sa propriété et accéder ainsi à Fourvière.
Pauline refuse de céder parce que précisément l’argent du péage sert à honorer ses dettes et elle intente un procès. Aux yeux des bons chrétiens de la commission, Pauline passe désormais pour une personne incapable, orgueilleuse et obstinée. En 1857, une tentative de conciliation a lieu, sans succès. Agée, malade Pauline est socialement de plus en plus isolée, même si elle garde quelque soutiens fidèles, dont son ami le curé d’Ars qui dira d’elle «Je connais une personne qui sait bien accepter les croix, et les croix les plus lourdes même; et qui les porte avec un grand amour.(…) C’est Melle Jaricot de Lyon.»
Reprise par la maladie en octobre 1861, Pauline Jaricot meurt le 9 janvier 1862. Ses funérailles sont celles d’une pauvre femme, inscrite au registre des indigents. Sa famille, quelques proches, quelques amis riches et pauvres l’accompagnent au cimetière de Loyasse. (cath.ch/mp)
Maurice Page
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