Pauline Jaricot: la fille qui faisait des plans 1/3

Vénérée de son vivant, avant d’être méprisée puis presque oubliée, Pauline Jaricot revient dans l’actualité ecclésiale à l’occasion de sa béatification le 22 mai 2022 à Lyon. Fille d’un XIXe siècle de sang et de fureur, femme laïque elle fut non seulement propagatrice des missions, mais aussi une des pionnières du catholicisme social.

Sur les flancs de la colline de Fourvière, la maison de Lorette domine la veille-ville de Lyon. C’est ainsi que Pauline Jaricot l’a baptisée en 1832 après l’acquisition de cette belle demeure du XVIe siècle. En référence bien sûr à la Casa de Loretto, la maison de la Vierge transportée par les anges en Italie.

En entrant dans la chapelle, un grand reliquaire, placé à gauche dans une niche, attire l’attention. Les ossements qu’il contient ne sont pas ceux de Pauline Jaricot, ni de sainte Philomène à qui l’édifice est consacré, mais ceux de saint Pierre Lê Tuy, «décapité pour le Christ sous l’empereur Minh Mang à Hanoi au Tonkin, en 1833». La présence à Lyon d’un des premiers martyrs du Vietnam pourrait surprendre, mais elle n’a rien d’incongru. A juste titre, Mademoiselle Jaricot est considérée comme une des plus ferventes propagatrices de la mission universelle.

Dominant le reliquaire et comme veillant sur lui un portrait ‘authentique’ de Pauline Jaricot. Les grands yeux noirs, au milieu d’un visage rond traversé d’un léger sourire laissent entrevoir un caractère franc et décidé.

A l’époque de Pauline, la maison de Lorette, au milieu des vignes et des jardins, est une vraie ruche ou s’activent, dans un ballet incessant, des ouvrières. De nombreux visiteurs, membres du clergé, prélats, missionnaires lointains, pèlerins montant à Fourvière, mais aussi indigents du quartier s’y pressent, explique Sœur Pauline qui la fait visiter.

La coïncidence des prénoms n’en est pas tout à fait une: «Enfant, ma grand-mère m’avait donné une image de Pauline Jaricot. Je la connaissais sans la connaître.» Plus tard, lorsque j’ai  ressenti un appel à la vie consacrée, j’ai découvert son histoire et sa spiritualité. Sa vie fascinante m’a séduite et j’ai choisi le nom religieux de Pauline», raconte la sœur de la famille missionnaire de Notre Dame.

Une jeune fille coquette

Pauline, qui passera près de la moitié de sa vie dans la maison de Lorette, est hyperactive. Elle qualifie elle-même son caractère ‘d’impétueux’. Dotée d’un sens pratique, très avisée, cette fille de négociant n’a de cesse de concevoir et de mettre en œuvre ses ‘plans’ pour l’apostolat et la mission. Sa réputation s’étendra bien au-delà de Lyon, à la France, à Rome et au monde entier. Comme en témoignent les nombreux objets ‘exotiques’ rassemblés dans des vitrines de sa maison devenu lieu de mémoire: des lettres en chinois, un calendrier sénégalais, un affiche de propagande pour la mission universelle ou une vierge annamite.  

«Au départ, rien ne semblait promettre Pauline Jaricot à ce destin. Fille d’un commerçant enrichi dans le négoce de la soie, elle paraît destinée à une existence bourgeoise, à seconder son mari dans ses affaires et à s’occuper de ses enfants», note Sœur Pauline.

Jeune fille, Pauline est très coquette. Elle apprécie les belles tenues, les bijoux. Elle aime plaire. Dans la bourgeoisie lyonnaise beaucoup voient en elle un beau parti. Jusqu’à ce dimanche de 1816, à l’église Saint-Nizier, où elle entend un sermon sur la vanité. A la fin de la messe, elle se précipite à la sacristie pour parler au prêtre qui deviendra son directeur spirituel. A 17 ans, survient alors une conversion qui, si elle est radicale, n’en est pas moins difficile. Elle renonce à ses soieries pour un costume d’ouvrière, va soigner les malades à l’Hôtel-Dieu, puis fait le vœu privé de virginité. «Elle veut être entièrement à Jésus. Elle fera par exemple retoucher son portrait par le peintre pour cacher son décolleté», raconte Sœur Pauline.

Le premier ‘plan’

Enfants, son frère Philéas et elle faisaient de grands rêves missionnaires: «Je partirai très loin évangéliser les sauvages» disait-il. «Je viendrai avec toi», répondait Pauline. «Non ce n’est pas pour les filles. Mais tu prendras un râteau et tu ramasseras de l’or que tu m’enverras».  Anecdote prémonitoire. Après quelques années de vie mondaine, Philéas s’est lui aussi converti. Il est entré au séminaire à Paris et fréquente les Missions étrangères de Paris (MEP). Il fait part à sa sœur de leurs énormes besoins.

Pauline veut à la fois prier pour les missions mais aussi les soutenir matériellement. Elle élabore son premier ‘plan’. Il lui vient, dira-t-elle, comme une illumination à l’issue d’une partie de cartes. Elle imagine un système aussi simple qu’ingénieux: créer des groupes de dix personnes qui s’engagent à prier chaque jour pour la mission et à offrir un sou par semaine. En 1819, elle lance d’abord son idée parmi les ouvrières de la soie qui travaillent dans les ateliers de sa famille ou du quartier de la Croix Rousse. Son enthousiasme et son sens de l’organisation font merveille. Dix dizaines forment une ‘centurie’, dix ‘centuries’ un ‘millénaire’. Le flot d’argent, mince au départ, enfle de plus en plus. Pour maintenir le lien, Pauline fait imprimer et distribue les lettres de son frère Philéas, qui rapportent des récits passionnants des missions lointaines.

Ecartée de son oeuvre

La prière précède toujours la quête

Le succès de l’œuvre fait vite naître des critiques. L’association de la jeune demoiselle Jaricot est-elle bien licite? Est-elle autorisée par l’Eglise? Même si Pauline, par l’intermédiaire de son frère Philéas, a obtenu une bénédiction papale, on estime à Lyon que cette action doit être mieux cadrée. Le 3 mai 1822, une réunion de la Congrégation des messieurs de Lyon, à laquelle Pauline ne participe pas, ‘récupère’ l’idée et l’action de Pauline. Ce sera la date officielle de la fondation de la Propagation de la foi. Ecartée de l’affaire, Pauline en conçoit une certaine amertume mais, accepte de rentrer dans le rang et se contente de son rôle de ‘cheffe de division’.

«Faite pour aimer et agir»

Cette période de retrait va durer plusieurs années, Pauline reste dans sa famille. Elle hésite, cherche sa voie, tout en s’occupant de son père devenu sénile. Son directeur la pousse vers la vie religieuse, Pauline suivant sa voix ou son maître intérieur, comme elle le dit, se sent faite pour aimer et agir. Elle restera laïque. «Elle ouvre en ce sens une voie nouvelle.»

Souvent malade depuis l’âge de 15 ans, à la suite de la chute d’une échelle, Pauline commence dans ces années-là à coucher sur le papier son expérience de vie. En 1822, elle publie sous pseudonyme L’Amour infini dans la divine eucharistie rédigé, dira-t-on, en une seule nuit. Son premier cahier de notes intimes qui s’arrête en 1824 compte 1’500 pages. La mort de son directeur va lui rendre sa liberté et son génie créateur. Pour une deuxième étape de sa vie et de nouveaux ‘plans’.  (cath.ch/mp)

A suivre: Le grand plan de Pauline Jaricot: le Rosaire vivant 2/3

Maurice Page

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