Myriam Bettens pour cath.ch
Pour sa 7e édition, le rendez-vous cinématographique de l’Eglise catholique romaine à Genève (ECR), du 4 au 8 mai 2022, traite à la fois de la nature et du transhumanisme, de la transition écologique et de l’intelligence artificielle autour du thème «Création Re-Création».
«Dès les années 2030, nous allons, grâce à l’hybridation de nos cerveaux avec des nano-composants électroniques, disposer d’un pouvoir démiurgique», déclarait en 2015 Ray Kurzweil, ingénieur en chef de Google et chantre du transhumanisme. Et adjoint le geste à la parole. Alors que certains, tiraillés par l’éco-anxiété, choisissent de ne pas faire d’enfants pour limiter leur impact écologique, le géant des GAFAM propose à ses nouvelles recrues les plus douées de congeler leurs ovules pour ne pas gaspiller de temps en maternage. Ces deux options sont symptomatiques d’un malaise. Nostalgie ou utopie, face à l’incertitude du monde de demain, la tentation est grande de chercher soit à retrouver un Eden perdu, ou au contraire des solutions technologiques pour pallier la finitude du monde et ses lacunes.
Doté de pouvoirs quasi-infinis grâce aux nanotechnologies, à la biotechnologie, à l’informatique et aux sciences cognitives, l’homme va réaliser ce que seuls les dieux étaient supposés pouvoir faire: voilà la promesse du transhumanisme ! Créer la vie, modifier le génome, reprogrammer son cerveau pour, en définitive, euthanasier la mort, résume en substance le journaliste Emmanuel Tagnard, membre du Comité cinéma d’ «Il est une foi».
Ballotté par la nature et la transcendance, l’humain cherche à s’arracher à sa condition d’objet marqué par la finitude pour s’octroyer un rôle moteur dans l’évolution. Le sociologue et «éco-théologien» Michel Maxime Egger, responsable «Transition intérieure» à « Pain pour le prochain» voit pourtant dans les discours transhumanistes un vocabulaire analogue à celui des grandes traditions religieuses.
«On parle de création d’un homme nouveau, de vie éternelle et d’horizons de salut. Mais tout cet effort pour augmenter l’être humain conduit à la liquidation de tout ce qu’il y a d’humain en lui. Il est privé de tout ce qui fait sa singularité, c’est-à-dire sa finitude et sa vulnérabilité».
D’ailleurs, comme le fait remarquer le Français Jacques Arnould, historien des sciences et théologien catholique, le terme même de transhumanisme, attribué à tort à l’écrivain Aldous Huxley est déjà utilisé dans les années 40 par Teilhard de Chardin. Le philosophe le conçoit plutôt comme une invitation « à prendre au sérieux notre humanité et à l’amener vers un au-delà». Non pas à la manière des transhumaniste avec un refus du corps et de la matière, mais dans un dépassement des dualismes [corps-esprit, ndlr.] habituels. Or, le désir de se hisser à la place de Dieu n’est pas exempt de contradictions, selon la physicienne franco-tunisienne Inès Safi. «Beaucoup de ces discours relèvent de la métaphysique, comme par une compensation de l’absence de mythe fondateur. On parle de puissance divine, mais la divinisation recherchée parodie la déification dans un monde qui a perdu sa verticalité». Elle note également que les opposés sont très importants, «la mort elle-même est un moteur donnant son importance à la vie !»
En tant que psychanalyste, ce « délire transhumaniste » fait doucement sourire le psychanalyste et essayiste français Gérard Haddad. «Avec tous les progrès technologiques, nous ne sommes même pas fichus de fabriquer une cellule viable. Il existe donc peut-être bien une barrière, jusque-là insurmontable, voire même définitivement infranchissable».
Inès Safi pour sa part avance qu’il n’est pas uniquement question de barrière, mais aussi de paresse, car «le transhumanisme est une réponse pour ne pas rompre avec nos habitudes». Ce à quoi Jacques Arnould abonde en rappelant les propos de Jésus à Marthe dévastée par la mort de Lazare: «Fais-tu le pas de la confiance ? Vas-tu en avant ?» La mort n’est donc pas une fin en soi, elle doit aussi être considérée comme un au-delà ouvrant à d’autres possibles.
Certes l’incertitude persiste, mais Michel Maxime Egger se veut optimiste. «Tout n’est pas joué, mais nous avons à apprendre à danser avec l’incertitude». Entre futur et avenir, l’éco-théologien souligne une nuance considérable. «Le premier se situe dans l’ordre du calcul et du prédictif, alors que le second contient une dimension qui n’est pas à notre mesure et à laquelle on peut s’ouvrir. De nombreux exemples dans l’histoire nous montrent que des basculements sont possibles». (cath.ch/myb/be)
Les orateurs de la conférence inaugurale
Au micro de Marie Cénec, pasteure, et Emmanuel Tagnard, journaliste à RTS religion, quatre intervenants, de quatre confessions et religions différentes, ont été invités à poser leur regard sur les ponts qui lient la nature et le transhumanisme lors de la soirée inaugurale de la 7ème édition des rendez-vous cinéma de l’Eglise catholique romaine à Genève (ECR).
Michel Maxime Egger est sociologue, éco-théologien d’enracinement orthodoxe. Il se définit comme un apprenti méditant-militant.
Jacques Arnould est historien des sciences et théologien catholique français (CNES). Il s’intéresse aux relations entre sciences, cultures et religions.
Inès Safi est une physicienne (CNRS) franco-tunisienne, chercheuse en physique théorique. Elle est co-auteure de deux livres portant sur le dialogue entre sciences et religion en islam.
Gérard Haddad est ingénieur agronome, ainsi que médecin psychiatre, psychanalyste et essayiste. Son propre parcours psychanalytique le pousse à renouer avec le judaïsme en l’étudiant à la lumière de la psychanalyse.
Cette conférence a eu lieu le 3 mai au soir à l’Université de Genève. Elle ouvrait le festival de films-débats «Il est une foi» autour de la thématique «Création Re-Création». D’autres invités continueront d’explorer les liens qui unissent nature et transhumanisme du 4 au 8 mai au cinéma du Grütli par le biais de projections cinématographiques suivies de débats. MB
Rédaction
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