Pour la Conseillère nationale Brigitte Crottaz (PS/VD) la révision de la loi sur le don d’organes, soumise au peuple suisse le 15 mai, doit permettre de sauver davantage de vies. Avec les conditions mises par le parlement, le consentement présumé respecte de manière correcte le droit des personnes.
Pourquoi pour dire oui à la révision de la loi sur le don d’organes?
Je suis médecin. J’ai arrête récemment ma pratique médicale, mais j’ai travaillé durant treize ans au service des soins intensifs du CHUV. J’ai donc été confrontée à des situations de don d’organes où il fallait demander à des proches de se prononcer sur cette question délicate et je comprends la difficulté que cela représente. D’un autre côté, j’ai également eu des patients en attente de greffes dont la santé et la qualité de vie étaient terriblement perturbées pendant des mois ou des années. Enfin si on parle en termes de coût de la santé, c’est énorme, par exemple dans le cas des dialyses.
Avec un plus grand nombre de dons, on pourrait sauver plus de vies.
Oui. Il y a tout de même une ou deux personnes qui meurent en Suisse chaque semaine faute d’organes. En outre on pourrait aussi accélérer les procédures de transplantation. Par exemple les personnes qui sont en dialyse trois demi-journées par semaine ont une qualité de vie très altérée. Même si elles ne souffrent pas, elle ne peuvent pas mener une vie normale, ni travailler. Les personnes greffées, malgré les inconvénients d’un traitement anti-rejet à vie, considèrent cela comme une renaissance.
L’enjeu de la votation est le passage du consentement explicite au consentement présumé.
L’initiative prévoyait un consentement présumé sans conditions. Le parlement a mis deux cautèles importantes. A savoir, la consultation des proches dans le cas ou l’avis de la personne n’était pas explicite et, en l’absence de proches, le renoncement aux prélèvements. Ce sont deux garde-fous pour éviter le risque de prélèvement sans consentement formel. Ces deux éléments limitent fortement le bénéfice du changement de loi, mais elles étaient nécessaires. Sans cela, on aurait pu considérer le prélèvement comme un vol plutôt que comme un don.
Le principe du consentement présumé ne suffit pas seul à faire augmenter le taux de donneurs.
Il serait magnifique que toute personne puisse aller sur le registre national pour dire ›je ne suis pas d’accord’. Pour les hôpitaux, arriver sur un registre où serait inscrit un ‘oui’, ou un ‘non’, serait infiniment plus simple. Avec un ‘oui’, on libère la famille de la tâche de décider. Et si c’est ‘non’, la question ne se pose pas. En l’occurrence, la carte de donneur prévoit déjà la possibilité de dire non au don d’organes! Mais aujourd’hui, seuls 16% de la population possèdent une carte.
L’information est donc capitale.
En 2012, le Conseil fédéral a répondu à deux demandes en faveur du consentement présumé, en proposant une campagne d’information nationale sur cinq ans jusqu’en 2018 prolongée jusqu’en 2021. Le taux de donneurs a passé de 12 à 18 par million, mais cela n’est pas encore suffisant. Il est clair que les gens n’aiment pas beaucoup projeter leur propre mort.
Il faut savoir aussi que la plupart des donneurs sont des jeunes en pleine santé fréquentant peu les médecins et dont la mort a été soudaine, souvent dans des accidents. On peut certes donner ses organes à 50 ou 60 ans, mais c’est moins fréquent.
Un travail d’information a aussi été mené auprès des équipes de transplantations, des hôpitaux et du personnel médical. Il est essentiel de disposer d’équipes spécialisées et bien formées.
Une autre solution aurait été celle de la déclaration d’intention ‘obligatoire’.
La question a été discutée au parlement, mais son organisation aurait été assez complexe. Comment fait-on par exemple pour aller ›rattraper’ des gens qui ne se seraient pas annoncés? La possibilité de le faire par l’assurance maladie a été évoquée. Je serais opposée personnellement à leur accorder cette puissance. Il me semble intrusif de la part des assureurs d’exiger cette réponse, sans parler du problème de savoir à quelle fréquence poser la question: Une seule fois pour toute ou une fois tous les cinq ans?
Reste la possibilité de changer d’avis.
Evidemment, et cela doit pouvoir se faire dans les deux sens, sans aucun jugement moral. Les sondages disent que 80% des gens sont favorables au don d’organes. Mais dans les faits, quand ont ne connaît pas l’opinion de la personne, les proches disent non dans 60% des cas. Le risque de ›faire faux’ me paraît cependant assez faible. A moins d’une expression explicite contre le don, on peut légitimement supposer que la personne faisait partie des 80% favorables. A mon sens, on ne met pas ainsi un poids supplémentaire sur la famille.
En cas de ‘oui’, le Conseil fédéral et Swiss Transplant seront chargés de mettre en place et de tenir à jour un registre national facile d’accès où chacun pourra consigner son intention avec la possibilité de rectifier son avis à tout moment.
Avec le consentement présumé, ne court-on pas le risque de marchandisation des organes et du corps?
En Suisse, les équipes de transplantation sont totalement dissociés des équipes de soins intensifs. Il y a cinq réseaux au plan national, dont un pour la Suisse romande. Si dans un hôpital, on a un patient en mort cérébrale, le personnel de ce réseau se rendra sur place pour effectuer les prélèvements. Les cinq réseaux de transplantations suisses sont aujourd’hui très expérimentés sur la façon d’entreprendre les démarches avec les familles.
Ces personnes ne sont absolument pas au courant de qui en Suisse attend une greffe d’organe. Swiss Transplant gère la distribution des organes dans le réseau en Suisse ou éventuellement à l’étranger. Pour l’instant c’est plutôt la Suisse qui bénéficie des apports de l’Europe. La loi suisse, rédigée en 2004, l’a été essentiellement dans le but d’éviter le risque d’abus voire de trafic d’organes.
Une mesure touchant toute la population peut sembler disproportionnée pour un nombre de cas en fin de compte assez restreint.
Nous avons en Suisse environ 500 transplantations par an. Si on arrivait à monter le taux de donneurs comme en Espagne par exemple à 50 donneurs par million d’habitants, (soit plus du double du taux actuel NDLR) on resterait néanmoins dans des nombres faibles. On aurait assurément une moins longue liste d’attente. Il faut aussi savoir qu’auparavant, pour pouvoir donner des organes, il fallait être ‘archi-sain’. Mais aujourd’hui même des personnes atteintes du VIH-sida peuvent donner des organes à d’autres personnes séropositives notamment dans le cas de greffe du foie.
La campagne du référendum a permis de parler du don d’organes.
Oui et c’est une bonne chose. Je pensais que le contre-projet du parlement avait introduit suffisamment de cautèles pour ne pas être contesté devant le peuple. Mais finalement le référendum a permis d’avoir une discussion encore plus large.
Les personnes favorables doivent le dire, mais aussi ceux qui y sont opposées. Je trouve assez intéressant qu’aujourd’hui un nombre important de personnes décident d’être incinérées alors que d’autres préfèrent être inhumées, mais ces mêmes personnes ne se sont pas forcément déclarées comme donneuses d’organe. Je peux imaginer que la personne prête à se faire incinérer est plutôt favorable au don d’organes. (cath.ch/mp)
Maurice Page
Portail catholique suisse
https://www.cath.ch/newsf/don-dorganes-le-consentement-presume-peut-permettre-de-sauver-des-vies/