Pékin a déjà revendiqué haut et fort le droit de nommer le successeur du dalaï-lama. La République populaire de Chine a même inscrit ce droit dans sa législation.
Le 14e dalaï-lama a pourtant insisté sur le fait que les discussions sur sa mort sont prématurées. Il serait en bonne santé et a indiqué qu’il prendrait une décision quant à sa réincarnation après ses 90 ans.
Des déclarations qui n’empêchent pas les manœuvres politiques autour de cette succession de battre leur plein. Une course dans laquelle la Chine se positionne loin devant ses adversaires, estime Ben Joseph, journaliste pour l’agence d’information catholique asiatique UCA News.
Il y a plusieurs dizaines d’années, le dalaï-lama était pourtant la coqueluche d’Hollywood. Tenzin Gyatso avait des alliés importants dans l’industrie culturelle américaine et occidentale pour l’aider à diffuser son message en faveur de la cause tibétaine. En 1997, le film franco-américano-britannique 7 ans au Tibet du réalisateur Jean-Jacques Annaud a connu un grand succès. Le long-métrage, qui raconte indirectement l’histoire de Tenzin Gyatso, a provoqué un large engouement en Occident pour la cause tibétaine.
Une production qui ne fut pas du goût de Pékin. A la suite du film, l’acteur Brad Pitt et Jean-Jacques Annaud furent interdits d’entrée sur le territoire chinois.
Mais la réaction de la Chine a cette image défavorable a été rapide et efficace. Le pays a réussi à détourner la question tibétaine avec sa propagande, aidée par sa puissance économique, affirme Ben Joseph.
Il en va pour Pékin de sécuriser son occupation du Tibet, qui dure depuis 1959. Les autorités chinoises sont tout à fait conscientes de l’influence de la figure du dalaï-lama, pour les Tibétains, mais aussi dans la communauté internationale.
Le Tibet d’aujourd’hui ne ressemble certes pas à celui que le dalaï-lama a quitté en 1959. La Chine s’est lancée dans une frénésie d’investissements afin d’assimiler cette minorité ethnique essentiellement pastorale, notamment grâce à des projets d’infrastructure coûteux.
L’assimilation chinoise des Tibétains, tant sur le plan économique que culturel, est en bonne voie et les identités et idiomes culturels historiquement enracinés sur le plateau tibétain sont en train de changer.
Dans les années 2010, l’Occident a ainsi petit à petit délaissé la cause tibétaine après que la Chine a commencé à devenir une puissance commerciale de premier plan, assure Ben Joseph. «Des célébrités hollywoodiennes telles que Richard Gere et Martin Scorsese, qui se disputaient l’attention du moine en robe safran, ont déserté les lieux lorsque la Chine est devenue un marché important pour les superproductions hollywoodiennes». Elles sont à présent conçues spécialement pour plaire au public chinois et pour être acceptées par le gouvernement communiste, estime le journaliste.
Pour diffuser un film en Chine, il faut d’abord obtenir le feu vert du gouvernement chinois. Ainsi, les sujets concernant le Tibet, le dalaï-lama et Taïwan ne séduisent plus l’industrie cinématographique hollywoodienne.
En d’autres termes, la nouvelle puissance chinoise la protège d’un certain nombre de critiques directes. Une donne qui ne concerne pas seulement la culture, mais aussi la politique.
La diplomatie envers l’Empire du Milieu est souvent devenue plus prudente qu’à une certaine époque. Cela vaut également pour le Vatican, qui garde constamment à l’esprit que plus de 12 millions de catholiques vivent en Chine, sous la menace constante d’une dégradation de leur liberté de culte. Le Saint-Siège a ainsi toujours invoqué la priorité de ses liens avec Pékin pour éviter un rapprochement avec le dalaï-lama. Le pape François avait d’ailleurs refusé de le rencontrer lors de sa visite à Rome en 2014. Le Vatican a encore resserré ses liens avec la Chine avec l’accord de 2018 sur la nomination des évêques.
Pour contrer les revendications chinoises, Tenzin Gyatso a déclaré qu’il renaîtrait en dehors des zones contrôlées par Pékin. Cela pourrait être en Inde, a-t-il indiqué il y a quelques années lors d’une réunion des dirigeants tibétains à Dharamshala, dans le nord du pays, où est basé le gouvernement tibétain en exil.
Dans la tradition tibétaine, après le dernier soupir du dalaï-lama, une recherche commence sur la base de signes tels que la direction dans laquelle il regardait lorsqu’il est mort, le flux de fumée lorsqu’il est incinéré et les visions observées sur le Lhamo La-tso, le lac de l’oracle au Tibet. Si la plupart des dalaï-lamas sont originaires du Tibet, l’un d’entre eux est né en Mongolie et un autre en Inde.
Pour les Tibétains, la question de la réincarnation ne peut de toute façon qu’être tranchée par le dalaï-lama lui-même. Alors que la Chine n’est évidemment pas d’accord, l’Inde a également adopté ce point de vue. Dans le contexte d’une dégradation des relations entre les deux géants asiatiques en raison de différends frontaliers, il s’agit pour New Delhi d’un écart important par rapport à sa politique précédente. D’autres pays sont également en soutien. Dans une attaque directe contre la Chine, les États-Unis ont déclaré que seuls les Tibétains avaient le droit de choisir le prochain dalaï-lama.
A la mort du 14e dalaï-lama, le monde risque donc d’assister à une situation où deux dalaï-lamas se disputeront la légitimité – l’un choisi selon les instructions laissées par le 14e de sa lignée, et l’autre désigné par le Parti communiste chinois. (cath.ch/ucanews/arch/rz)
Raphaël Zbinden
Portail catholique suisse
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