Entre la Suisse et l’Irak, des 'ponts’ renforcés

Consolider les liens spirituels, culturels et académiques entre la Suisse et l’Irak. Tel a été le but d’une délégation de représentants de Suisse romande proches de l’Eglise catholique récemment partis à la rencontre des chrétiens d’Irak.

Après les épisodes de Daech et du Covid, Ashna* s’est retrouvée sans revenus. La jeune Irakienne n’avait pas les 2’000 dollars nécessaires pour relancer sa petite activité d’artisanat d’objets de maison. Une somme qu’a pu lui allouer l’association Basmat-al-Qarib, lui permettant d’acheter le matériel nécessaire pour recommencer à travailler. «Aujourd’hui, elle n’a plus besoin de nous», se réjouit Lusia Shammas, la fondatrice de l’association d’aide à l’Irak, basée en Suisse.

Lusia Shammas a fondé en 2004 l’association d’aide à l’Irak Basmat-al-Qarib | © Raphaël Zbinden

L’agente pastorale helvético-irakienne résidant dans le canton de Vaud faisait partie de la délégation romande partie à la rencontre des chrétiens du nord de l’Irak, fin février 2022, que cath.ch a accompagnée.

Reconstruire ‘l’individu irakien’

Après quelques années sans avoir pu se rendre dans son pays d’origine, pour cause de situation sanitaire, la native de Zakho, dans le nord de l’Irak, a renoué les contacts avec les partenaires sur place de Basmat-al-Qarib. L’association fondée en 2004 se veut un pont entre la Suisse et le pays du Moyen-Orient. Signifiant en arabe «Sourire du prochain», elle déploie des activités très diverses dans tout le pays. «Le mot d’ordre, c’est  ‘reconstruire l’individu irakien’», relève Lusia. «Pour les bâtiments, d’autres associations s’en occupent», souligne-t-elle avec le sourire.

«Soutenir la femme, c’est soutenir l’Irak»

Lusia Shammas

A l’exemple de l’aide apportée à Ashna*, Basmat-al-Qarib accompagne les personnes vers leur indépendance. Les projets se concentrent naturellement sur les femmes. «Si on soutient la femme, on soutient la famille, et la famille c’est l’Irak», explique Lusia.

Les femmes sont en effet un pivot central de la société irakienne. En particulier après les guerres dont a souffert le pays durant les dernières décennies, desquelles de nombreux hommes ne sont pas revenus. Les programmes visant à permettre un accès à l’éducation pour les femmes, mais aussi les enfants, sont donc au cœur de l’action de l’association basée en Suisse.

Informer en Suisse

Basmat-al-Qarib soutient aussi des projets en faveur des personnes traumatisées et pour la coexistence. Les partenaires en Irak sont les communautés religieuses, particulièrement actives dans l’aide aux plus démunis, et les ONG. L’association collabore notamment étroitement depuis des années avec l’organisation Al-Amal, fondée par l’activiste des droits humains Hanaa Edwar. L’ONG lutte entre autres pour le développement démocratique, les droits des femmes et la tolérance intercommunautaire.

L’Université catholique d’Erbil (Catholic University in Erbil) reçoit le soutien de l’Aide à l’Eglise en détresse (AED/ACN) | © Raphaël Zbinden

L’organisation irakienne et l’association suisse collaborent actuellement dans un projet intitulé «Vivre ensemble», à Mossoul, la grande ville du nord de l’Irak, pour établir une confiance mutuelle entre les jeunes des diverses communautés.

Mais Basmat-al-Qarib ne se contente pas d’aider les personnes sur place. En Suisse, elle se charge d’informer et de sensibiliser la population sur la situation en Irak. Notamment à travers des événements organisés dans des paroisses, des églises ou des sociétés dans toute la Suisse romande.

Témoigner pour les chrétiens

La situation de l’Eglise locale a été une préoccupation de la délégation suisse. Cette solidarité s’est notamment exprimée par la présence de l’organisation Aide à l’Eglise en détresse (AED/ACN). Le responsable pour la Suisse romande, Emmanuel French, est venu témoigner de la communion de l’Eglise universelle avec une minorité chrétienne durement éprouvée, en particulier par la guerre entre l’Etat islamique (EI) et le gouvernement irakien, de 2014 à 2017. L’AED/ACN soutient un grand nombre de projets en Irak, d’aide aux réfugiés, à l’éducation, à la santé, à la subsistance, à l’apostolat de prêtres et de religieuses, aux médias et centres sociaux chrétiens. En tout 44 projets en 2021, dont 8 de reconstructions d’églises. «La visite m’a permis de me rendre compte de la situation sur place. Et je pourrai d’autant mieux en témoigner en Suisse», explique Emmanuel French.

Le Babel College a été la première faculté de théologie d’Irak | © Raphaël Zbinden

Collaboration académique

L’organisation apporte en particulier son soutien aux institutions du Babel College et de l’Université catholique d’Erbil (CUE), toutes deux situées dans la capitale du Kurdistan irakien. Deux lieux visités par la délégation suisse.

Le Babel College a la spécificité d’être lié par une convention à la Faculté de théologie de l’Université de Fribourg. Dans le petit monde des relations helvético-irakiennes, Lusia Shammas a également été une cheville ouvrière de ce rapprochement. Celle qui a été accessoirement la première femme catholique aumônière dans l’armée suisse a été, au début des années 1990, la première femme à entrer dans ce qui était alors la première faculté de théologie en Irak.

«Un modèle de confédération serait le plus adapté pour l’Irak»

Lusia Shammas

La visite de la délégation au Babel College a été l’occasion de retrouvailles chaleureuses entre Mgr Yousif Thomas Mirkis, archevêque de Kirkouk et cofondateur de l’institution, et Franz Mali, professeur de théologie et vice-recteur de l’Université de Fribourg. C’est sous l’égide de ce dernier et l’impulsion de Lusia Shammas (étudiante en master de 1997 à 2001 et par la suite doctorante – qui a intégré la Faculté de théologie de Fribourg), que la convention liant les deux institutions a été signée, en 2010.

En lien avec l’accord, des échanges académiques, notamment d’étudiants, ont eu lieu, avant que l’invasion de Daech en 2014 et la pandémie en 2020 ne perturbent les relations. La visite de la délégation avait ainsi pour but d’amorcer une reprise de la collaboration.

Mgr Yousif Mirkis (à g.) et Franz Mali veulent relancer la collaboration entre le Babel College (Irak) et l’Université de Fribourg | © Raphaël Zbinden

Mgr Mirkis et Franz Mali ont souhaité que le renouvellement du lien puisse mener à une revalorisation des études orientalistes. «Avec la montée de l’islam en Europe, les chrétiens d’Orient peuvent constituer un très bon ›pont’ entre les cultures», a souligné l’évêque chaldéen.

Echange de fraternité

Si les Suisses peuvent donc apprendre des Irakiens, l’inverse est vrai également, estime Lusia Shammas. «Après la chute du régime irakien en 2003, une délégation était partie de Suisse pour présenter le système politique helvétique aux Irakiens. Un échange certainement utile, car je pense qu’au vu de l’importante diversité culturelle, linguistique et religieuse de l’Irak, un modèle de confédération serait le plus adapté pour ce pays».

Mais au-delà des apports financiers, culturels ou intellectuels, la délégation suisse est venue chercher en Irak un souffle mutuel de fraternité humaine. Partout où le groupe est passé, un immense sentiment de reconnaissance a été palpable. Les photos de groupe, les invitations aux repas se sont multipliées. Avant le départ de la délégation, un prêtre irakien glissait ainsi une phrase plusieurs fois entendue: «Merci encore, simplement d’être venus. Notre plus beau cadeau, c’est de constater que nous ne sommes pas oubliés!» (cath.ch/rz)

*prénom fictif

Raphaël Zbinden

Portail catholique suisse

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