L’Eglise du futur sera une Église qui perdra de nombreux privilèges, sera plus humble et authentique et trouvera de l’énergie pour l’essentiel. Tel est le message du pape François à ses confrères jésuites, lors de sa récente visite à Malte.
Comme c’est la coutume lors de chaque voyage, le pape François a consacré à Malte un temps de dialogue aux jésuites locaux. Une retranscription de cette conversation informelle d’une quarantaine de minutes, tenue dans la matinée du dimanche 3 avril 2022 à la nonciature apostolique en présence de 38 religieux maltais, a été mise en ligne par La Civiltà Cattolica, la revue des jésuites italiens.
I.MEDIA revient sur les principaux thèmes abordés durant ce dialogue, notamment le futur de l’Église, la crise des vocations ou encore le chemin synodal.
Le pape François, qui a confié avoir connu quelques confrères maltais durant sa formation de jésuite au Chili dans les années 1960, a notamment été interrogé sur sa vision de «l’Église du futur». Il a rendu un hommage appuyé à son prédécesseur en expliquant que «le pape Benoît a été un prophète de cette Église du futur, une Église qui perdra de nombreux privilèges, sera plus humble et authentique et trouvera de l’énergie pour l’essentiel», a appuyé le pape argentin.
Cette vision d’une «Église des petits» a été l’une des «intuitions les plus riches» de Joseph Ratzinger en tant que théologien et évêque, a expliqué son successeur. Il se référait au contenu d’une interview accordée par Joseph Ratzinger à une radio allemande en 1969, et qui est régulièrement citée depuis quelques années.
«Nous ne devons pas oublier ce joyau qu’est l’Evangelii nuntiandi de Paul VI», a insisté le pape François au cours de cet échange, s’appuyant sur l’exhortation apostolique publiée par le pape italien lors de l’Année Sainte 1975. «La joie de l’Église, c’est d’évangéliser», a insisté le pontife en rappelant que la perspective d’une «Église en sortie» avait été formulée lors des congrégations générales préparant le conclave de 2013.
«Aujourd’hui, le Seigneur frappe de l’intérieur pour qu’on le laisse sortir», a rappelé une nouvelle fois le pape avec humour. Il a aussi expliqué que «prendre soin de la maison commune, c’est déjà évangéliser», invitant les jésuites à s’investir sur le thème de la préservation de l’environnement. «Ne pas prendre soin du climat est un péché contre le don de Dieu qu’est la création», a insisté le pape François.
Sur la question des vocations, l’évêque de Rome a redit que les congrégations religieuses ne devraient pas se focaliser sur leur inquiétude quant au faible nombre d’entrées mais surtout mener un «discernement adéquat» en identifiant les profils qui répondent à ces qualités essentielles : «humilité, service, authenticité». Les éventuels départs, liés par exemple à des histoires amoureuses ou des problèmes familiaux, doivent être accompagnés avec attention et charité.
Inversement, le pape a mis en garde contre le risque d’instrumentalisation lié au souci du nombre : il a évoqué son souvenir du Synode de 1994 sur la vie consacrée, lors duquel avait éclaté le «scandale des novices aux Philippines: les congrégations religieuses allaient là-bas à la recherche de vocations à «importer» en Europe», s’est agacé le pape François, appelant au contraire à la créativité pour faire face au vieillissement des communautés religieuses en Europe.
Dans les congrégations religieuses et particulièrement au sein de la Compagnie de Jésus, «les supérieurs doivent faire naître la confiance», a insisté le pape, qui fut lui-même provincial des jésuites d’Argentine de 1973 à 1979 et fut critiqué pour son autoritarisme, comme il l’a lui-même reconnu. Il a invité à se fier à la «grâce d’état», «pour que ce soit l’Esprit Saint qui leur donne les conseils justes», a-t-il précisé. Le pape a conseillé de former les aspirants «avec la sagesse que l’Église a accumulé dans le temps», mais sans chercher à «uniformiser les jeunes». «Nous ne sommes pas tous égaux, nous avons des cartes d’identité distinctes», a-t-il insisté.
«Soyez des jeunes normaux, capables de prendre des décisions sur votre vie en chemin», a conseillé le pape aux séminaristes et novices, demandant aux responsables d’abandonner «toute hypocrisie qui ruine la route d’un jeune».
Concernant le «chemin synodal», le pape a évoqué sa frustration personnelle lorsqu’il fut, de facto, rapporteur général du Synode de 2001 en suppléance du cardinal Egan, retenu à New York en raison des attentats du World Trade Center. «Clairement, on n’avait pas compris ce qu’est un Synode», a-t-il expliqué, en racontant que les propositions votées par les différents groupes, et qu’il était chargé de transmettre au Secrétariat général du Synode, étaient souvent bloquées. «Il y avait des choses que [le secrétariat du Synode, NDLR] ne retenait pas opportune. Il y avait en somme, une présélection des matériaux», rappelle le pape argentin, qui vivait alors l’une de ses premières expériences romaines en tant que cardinal.
La dynamique spirituelle d’un Synode doit au contraire se vivre en toute liberté, «entre consolations et désolations», a expliqué François, en rapportant par exemple que le thème des «prêtres mariés» avait été au centre des premières sessions du Synode de 2019 sur l’Amazonie, mais que les débats s’étaient ensuite déplacés vers d’autres thèmes : «L’Esprit nous a fait aussi comprendre que beaucoup d’autres choses manquaient: les catéchistes, les diacres permanents, le séminaire pour les indigènes, les prêtres qui viennent d’autres diocèses ou qui sont déplacés à l’intérieur du même», a précisé le pape.
Interrogé sur l’accueil des migrants, le pape a appelé une nouvelle fois à la solidarité avec les pays d’Europe du sud. «Je comprends que pour l’Italie, Chypre, Malte, la Grèce et l’Espagne ce ne soit pas facile. Ce sont eux qui doivent les recevoir parce que ce sont les premiers ports, mais ensuite l’Europe doit les prendre en charge», a-t-il martelé.
«En Europe, il faut progresser avec les droits humains pour éliminer la culture du déchet», a insisté le pape. Interpellé par un jésuite qui a rappelé que le gouvernement maltais a conclu un accord avec la Libye pour repousser les migrants, et qu’au regard de l’insalubrité qui règne dans certains camps, la tradition d’hospitalité vantée par les autorités de l’île lors de leur accueil du pape n’est pas appliquée partout, le pape François a reconnu qu’il faut «éviter de donner une légitimité à la complicité des autorités compétentes, toujours, aussi dans les meetings et les rencontres». (cath.ch/imedia/cv/mp)
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