«Voici ma cathédrale», lance Mgr Najeeb Michaeel. La phrase, teintée d’ironie, est lancée par l’archevêque de Mossoul face à ce qui n’a plus rien d’un lieu de culte. A l’intérieur de l’édifice, dont seuls les murs sont encore debout, quelques bougies brûlent sur un «autel» fait d’une pile de dalles. Elles n’éclairent qu’à peine l’immense espace froid et sombre. Minuscules signes d’un retour de la sacralité dans ce lieu multiplement profané.
Entre 2014 et 2017, l’État islamique a utilisé l’édifice pour stocker des armes ou fabriquer des explosifs. Les djihadistes se sont attaqués à tout ce qui pouvait évoquer le christianisme. A l’heure actuelle, les travaux n’ont pu se limiter qu’à l’évacuation des gravats de l’intérieur de l’église. L’archevêque est cependant bien décidé à y faire revenir la vie et la lumière, autant matérielle que spirituelle.
Il entame un Notre Père face aux bougies. La prière résonne lugubrement dans la nef poussiéreuse. Le «délivre-nous du mal» prend tout son sens en cet endroit qui porte encore l’empreinte de la malfaisance. Un grafiti en arabe, sur une paroi, dit: «Daech est là pour l’éternité».
L’archevêque continue de guider sur les lieux la délégation suisse dont cath.ch fait partie. Le délabrement de l’endroit ne l’empêche pas de se projeter: «Là, il y aura du gazon, avec des fleurs», assure-t-il en parcourant ce qui fut le parvis de la cathédrale. Difficile de l’imaginer, alors que le site est recouvert de gravats. A quelques pas de là, quelqu’un a eu l’idée de faire un petit jardin, avec des fleurs artificielles. Minuscule îlot de couleur dans un océan de pierre grise. Moins dérisoire, sans doute, qu’il peut sembler.
«Les gens ne veulent plus suivre les règles moyenâgeuses prônées par les extrémistes»
Mgr Najeeb Michaeel
La cathédrale chaldéenne fait partie d’un vaste complexe surnommé le «Vatican de Mossoul», où sont regroupées les églises des diverses confessions chrétiennes d’Irak. Les bâtiments ont été détruits à la fois par les islamistes et par les combats. L’endroit a subi de plein fouet les bombardements qui ont accompagné la libération de la ville par l’armée irakienne, d’octobre 2016 à juillet 2017. Les djihadistes ont utilisé les églises pour toutes sortes d’activités. D’une part parce qu’ils pensaient que les Occidentaux ne les bombarderaient pas et d’autre part parce que leurs murs épais leur offraient une protection efficace.
L’archevêque de Mossoul emmène ensuite le groupe vers la tribune où le pape François a prononcé un discours, le 7 mars 2021. Le pontife y avait versé des larmes en contemplant les outrages commis contre ces si anciens et vénérables bâtiments. La tribune, restée en place, avait symboliquement été placée à l’endroit-même où les sbires de l’État islamique (EI) fouettaient les musulmans de Mossoul qui n’adhéraient pas totalement à leurs idées.
Si la reconstruction, dans la cathédrale chaldéenne, débute à peine, dans d’autres parties du «Vatican» irakien, les travaux sont plus avancés. L’église syriaque catholique Al-Tahira présente encore des stigmates de la guerre. Des murs et des sols criblés d’impacts laissent imaginer la violence des combats. Des tréteaux et des échafaudages marquent les zones où les travaux sont en cours. Des pancartes informent sur le projet de reconstruction. Elles apprennent notamment que le chantier est partiellement financé par le gouvernement des Émirats arabes unis.
Un État musulman qui finance la reconstruction d’églises? Pour Mgr Michaeel, c’est un signe supplémentaire qu’un nouveau paradigme s’est créé après la défaite de Daech. «On assiste à la création de nouvelles relations et collaborations entre les religions.» Une évolution générale dans le monde arabe? L’archevêque ne peut le dire. Ce qu’il sait, c’est qu’à Mossoul, la population veut tirer un trait définitif sur l’épisode djihadiste. «Les gens ne veulent plus suivre les règles moyenâgeuses prônées par les extrémistes, ils veulent vivre, faire la fête, écouter de la musique».
Dans la ville sur le Tigre, l’ambiance a changé ces dernières années, en comparaison des dernières décennies. Suite à l’invasion américaine, en 2003, Al Qaïda et ses groupes affiliés avaient réussi à semer la discorde et la méfiance entre les communautés. Un climat délétère qui s’était notamment manifesté par des attaques contre les chrétiens. Mais la domination brutale de Daech a agi comme un électrochoc. Installant paradoxalement une ère de tranquillité et de recherche de paix. «Depuis la libération de la ville, aucune balle, aucune bombe, aucun kidnapping», note Mgr Michaeel.
Une sécurité qui reste évidemment relative. Tout le monde sait que Daech n’a pas complètement quitté les lieux et que des cellules dormantes sont encore là. La délégation suisse n’aurait ainsi pas pu réaliser ces visites sans une escorte de la police.
Après Mossoul, le groupe de visiteurs se rend dans les villages de la Plaine de Ninive, occupés pendant trois ans par l’État islamique. Le premier est Tel Kaif, à une quinzaine de kilomètres au nord de la métropole. Cette bourgade qui abrite une forte minorité chrétienne est tombée peu de temps après Mossoul. Beaucoup de chrétiens de la ville y avaient trouvé refuge, avant de devoir partir plus loin face à l’avancée des djihadistes. La camionnette doit se faufiler par des rues étroites et cahoteuses pour arriver au centre du village, où sont regroupées trois églises chaldéennes.
Deux ont subi de fortes déprédations; Les islamistes les utilisaient pour fabriquer des voitures piégées. Dans l’église des Saints-Pierre-et-Paul, la fresque de la sainte cène qui trônait au-dessus de l’autel a été détruite à l’arme automatique. L’endroit est à présent le royaume des oiseaux, dont les fientes parsèment abondamment tout l’espace du chœur. La troisième église a maintenant été restaurée et accueille des célébrations. Les rénovations sont soutenues par la diaspora chrétienne de Detroit, aux États-Unis.
Dans la Plaine de Ninive, entre des paysages de collines arides et d’étendues herbeuses, où pointent parfois les ruines d’une maison, la camionnette doit s’arrêter à de nombreux checkpoints. Signe d’un climat toujours sous tension. Dans les divers villages, les travaux de reconstruction sont plus ou moins avancés, suivant les dommages subis.
En fin d’après-midi, le groupe parvient à Betnaya. La localité est connue pour avoir été la plus touchée pendant la guerre. Ce village de 5’000 à 6’000 habitants a été détruit à 80%. Dans les faubourgs, la dévastation est encore bien visible.
Dans le centre, l’ambiance est laborieuse. Des pelleteuses déblaient les ruines, des camions-bennes repartent remplis de gravats. La reconstruction bat son plein. Les responsables du village sont fiers de présenter l’avancement des travaux. Près de 370 maisons ont été reconstruites. Elles ne sont pour l’instant pas habitées, les familles qui doivent revenir étant encore dans les localités où elles ont fui, à Ankawa (la banlieue chrétienne d’Erbil, la capitale du Kurdistan irakien), Tel Eskof ou Alqosh (plaine de Ninive). Les infrastructures d’eau et d’électricité ont été pour la plupart rétablies.
Le financement vient principalement des organisations occidentales et de la diaspora. Mais les besoins sont immenses et des fonds encore considérables seraient nécessaires pour parachever les travaux, note Razi, le responsable de la reconstruction.
Le chantier de l’église de Betnaya avance à grand train. Mais pourquoi mettre autant d’énergie dans ces travaux, alors que d’autres infrastructures vitales font encore défaut? C’est que l’église, pour les chrétiens d’Irak, est bien plus qu’un lieu de culte, «c’est le centre de la communauté», assure Razi. «Les églises sont aussi le symbole de notre identité, mise à mal par Daech».
Dans ce contexte, leur reconstruction figure donc au rang des priorités. Car le but ultime est que les familles qui ont fui à l’arrivée de l’EI se sentent assez en confiance pour revenir vivre dans le village et y rester. Une gageure, alors que de nombreux chrétiens ont déjà choisi l’exil et que beaucoup d’autres lorgnent vers l’étranger. Rebâtir les maisons est un premier pas nécessaire. «Mais, pour assurer le retour et l’envie de rester, il faut offrir aux personnes et surtout aux jeunes des perspectives d’avenir», note le responsable des travaux. Le taux de chômage très élevé reste le principal problème dans la région.
Behnam est en train de travailler dans l’église lors de la visite de la délégation. Le jeune chrétien de 28 ans tient à participer à l’effort de reconstruction. Lui, ne pense pas à l’émigration. «C’est notre pays, si nous partons, nous le perdons».
La dernière visite de la journée est pour le sanctuaire de Sainte-Barbe, près de Karamles. Il est construit sur les lieux présumés du martyre de la chrétienne, au 4e siècle. Les lieux sont flambants neufs. Le sanctuaire a été reconstruit très rapidement après la fuite de Daech. Les djihadistes avaient creusé tout un réseau de tunnels dans la zone. Les bâtiments ont été en conséquence lourdement bombardés par les avions de la coalition. Le tombeau de sainte Barbe, détruit par les islamistes, a été entièrement reconstitué. «Les travaux ont été rapides, parce que c’est un symbole important», souligne Mgr Michaeel.
Lorsque le groupe repart, la nuit est tombée sur la plaine. Le grand crucifix lumineux qui surmonte le complexe doit être visible de très loin. «C’est la première chose qui a été remise en place», souligne l’archevêque de Mossoul. En Irak, aucun chrétien ne conçoit de relever les murs sans d’abord relever les croix. (cath.ch/rz)
Raphaël Zbinden
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