A la demande du pape François, les diocèses du monde entier ont pris part à la réflexion synodale. Celui de Lausanne, Genève et Fribourg vient de publier les résultats de sa large consultation sur l’Église catholique, réalisée du 17 octobre 2021 au 1er mars 2022. Plus de 3’000 personnes, majoritairement réunies en groupes, y ont pris part. Philippe Becquart, responsable du département de la formation des adultes dans l’Église catholique de canton de Vaud, a participé à la synthèse des différentes réponses. Interview.
Philippe Becquart, avec les douze relecteurs de cette consultation diocésaine, comment avez-vous procédé?
Il y a d’abord eu une équipe synodale diocésaine, composée de dix laïcs, deux prêtres et un diacre, qui a recueilli et travaillé à partir des nombreuses contributions reçues par courriel, formulaire ou courrier postal. Puis un groupe de douze relecteurs et relectrices bénévoles – six hommes et six femmes–, a rédigé une synthèse thématique reprenant les enjeux principaux, les interpellations, les attentes et les propositions concrètes relatives à son thème. Nous avons procédé de manière à être aussi brefs que possible, ciblant le cœur du message, tout en étant fidèles, afin de restituer au plus près la parole vraie et l’expérience vécue par les groupes.
«Au-delà des réponses obtenues: la façon dont les rencontres ont été vécues»
Philippe Becquart
De manière générale, pensez-vous que les gens qui ont participé ont compris la démarche synodale?
Nous avons essayé de faire découvrir cette démarche du pape François, qui est une nouveauté: «Se mettre à l’écoute de la Parole», et de la paroles des autres. Au-delà des réponses obtenues, c’est la façon dont les rencontres ont été vécues, qui détermine si les participants ont compris ou non le processus synodal. Nonobstant les retours, que j’appellerais du «registre de la réclamation/lamentation», qui sont légitimes et qui doivent être entendus, nous avons également pris en compte cette «manière de se rencontrer. Passer du ‘sensus fidei’ (le sens de la foi des fidèles) au ‘consensus fidei’ (consentement des fidèles), autrement dit: dépasser les contradictions pour se laisser interpeler par les charisme des autres.
Est-ce comme cela que vous percevez l’intuition synodale de François?
Ce que nous demande le pape est de vivre une forme d’exercices spirituels: faire l’expérience d’une tension avec la Parole de Dieu, mais aussi avec celles des autres. Il s’agit d’opérer une transformation en soi, vers une conversion de la communauté. Pour résumer ainsi: la synodalité, il ne suffit pas d’en parler, il faut la vivre. Il nous est demandé de discerner ensemble afin d’aboutir à une décision commune. Nous sommes tous protagonistes. Cette tension s’exprime par le sentiment d’être toutes et tous dépossédés de notre propre vision: discerner n’est plus le privilège de quelques uns, mais le don de tous.
«La synodalité, il ne suffit pas d’en parler, il faut la vivre»
Philippe Becquart
Que faire avec les «synodosceptiques»: ceux qui ne croient pas à cette démarche synodale?
Bien que cette démarche concerne tous les baptisés, et même au-delà, certains catholiques sont vent-debout face à cette vision. Ils craignent que le synode touche à tout ce qui concerne au sacerdoce ou l’ontologie du prêtre. L’Église est en état de fragilité, mais certains ne veulent pas le reconnaître. Mais cette fragilité, cette vulnérabilité, telles que le Christ les a vécues, cette ‘kénose’ est un lieu d’expérience duquel peut découler une guérison du corps blessé de l’Église.
Êtes-vous satisfait de la participation?
Dans l’ensemble, ce sont majoritairement les personnes «du sérail» de l’Église catholique qui ont participé. Rejoindre les périphéries, selon l’expression du pape, est un paradoxe qui n’est pas encore résolu. Nous avons toutefois constaté que 40% de participation viennent de personnes qui ont répondu suite aux annonces parues dans la presse. Une bonne partie d’entre elles ne sont probablement pas «du sérail».
La synthèse a fait ressortir, d’une manière assez attendue, une remise en cause du statut des prêtres dans la conception verticale de la gouvernance de l’Église. Comment les prêtres ont-ils vécu le processus et comment vivent-ils cette remise en question?
J’ai perçu trois cas de figure dans la participation des prêtres. Certains ont participé en groupe et ont même compilé les échanges. D’autres ont participé séparément. D’autres enfin ont manifesté une forme de révolte. Il faut dire que cette remise en cause que vous évoquez est vécue chez beaucoup de prêtres comme un sentiment de perte: perte de vie théologale, perte de la raison d’être de leur vocation. En même temps, de nombreux prêtres aimeraient être libérés de tout ce qui parasite leur mission propre, qui est le «soin des âmes». Beaucoup y gagneraient en lâchant des responsabilités administratives pour se concentrer sur la pastorale et les sacrements. Ce qu’ils perdraient de «pouvoir» serait gagné en «autorité».
«Ce que les prêtres perdraient de «pouvoir» serait gagné en «autorité».
Philippe Becquart
Confier l’ancienne charge de «vicaire épiscopal» à des représentant-e-s de l’évêque laïc-que-s en est-il un exemple?
Mgr Charles Morerod a donné un signe très fort en ce sens, à mon avis. Mais le vrai enjeu se situe dans les étapes qui vont suivre. Il ne suffit pas de remplacer des clercs par des laïcs. La démarche à opérer est la mise en œuvre d’une vraie collégialité. Comment adapter le mode de gouvernement de l’Église, qui est toujours de type féodal, à l’heure actuelle? Si l’on revient aux dix thèmes de réflexion du synode, une évidence s’impose à tous: la communauté avant l’institution. Ou comment donner à la vie de la communauté l’attention accordée jusque là à l’institution? Il s’agit d’opérer un renversement, de manière non à supprimer l’institution, mais à libérer l’énergie qui affleure dans les réponses, et dont le déploiement se trouve sinon empêché par un système institutionnel en décalage par rapport à la configuration actuelle de la société.
Une fois le rapport remis à la conférence des évêques, que comptez-vous faire?
Cette synthèse est un premier mouvement. Dans un deuxième mouvement, nous repartirons vers les participants, pour leur montrer le résultat, afin qu’ils puissent reprendre leurs rencontres, leurs échanges et leurs réflexions de groupe. Nous continuons le processus, car nous pensons que c’est ainsi que le synode se vit. (cath.ch/gr)
«La confiance est en ruine au sein de l’institution ecclésiale»
Contribution de la communauté cistercienne des moines de l’Abbaye d’Hauterive (FR): «Notre communauté monastique chemine avec des personnes très diverses, allant de celles qui vivent au cœur de l’institution ecclésiale jusqu’à des non-baptisés. Cette démarche synodale nous incite à vivre plus consciemment avec elles l’expérience de la fraternité concrète à travers le travail, l’écoute de la parole de Dieu et la célébration de sa louange.
Nous discernons trois soins urgents à prodiguer, selon des rythmes appropriés, à trois maladies si graves qu’elles apparaissent comme des fatalités ne provoquant même plus d’appel à l’aide:
1. La porno-pandémie qui abîme tant de personnes et en particulier tant de clercs.
2. Le découragement et la méfiance qui enrayent à terme toute collaboration.
3. L’isolement qui croît à mesure que l’on y reçoit des responsabilités.
En quoi la synodalité peut-elle soigner ces trois maladies?
1. Sortir ensemble des addictions par la formation de groupes, à l’exemple d’Exodus 90, fondés sur les trois piliers : ascèse, prière et fraternité. D’une part l’institution doit éviter de participer à la culture du déchet en ignorant puis rejetant ses membres qui ont chuté ; d’autre part, nul ne peut aider qui que ce soit dans ce domaine s’il lui manque l’expérience de sa propre liberté. En la retrouvant ensemble, les clercs vivifieront la fraternité au sein du presbyterium.
2. Initier les processus de la conversion de vie dans les équipes pastorales pour affronter la méfiance et le mépris ambiants, et permettre à chacun d’y faire l’expérience de la réconciliation dont il est le ministre. Si le lieu de travail n’est pas le lieu de la conversion du cœur et de la maturation des personnalités, il devient celui de l’insensibilisation mutuelle. L’apprentissage de l’écoute mutuelle est nécessaire pour s’estimer suffisamment avant d’engager des discussions qui impliquent des enjeux concrets. Alors seulement le pasteur peut donner la parole à chacun puis décider lorsque, chacun ayant entendu tout le monde, tous entrevoient le chemin que l’ensemble du groupe doit emprunter.
3. Instaurer une évaluation régulière inspirées des visites régulières cisterciennes pour accompagner les évêques. Il ne s’agit pas d’imposer une pression aux résultats mais d’accompagner les personnes dans leur mission pour se rendre compte sur place de leur croissance dans le Christ à travers l’exercice de leur charge. Une telle évaluation demande et nourrit la communion entre les évêques. Si les visiteurs comptent parmi eux des femmes celles-ci entreront de fait dans le gouvernement ecclésial. L’expérience cistercienne montre que la visite régulière provoque une distinction entre les pouvoirs (législatif, judiciaire et exécutif), ce qui est aussi une urgente nécessité.» GR
Grégory Roth
Portail catholique suisse
https://www.cath.ch/newsf/philippe-becquart-le-synode-place-la-communaute-avant-linstitution/