APIC – Interview
«Un air de Pentecôte, tout sauf la Tour de Babel»
Jacques Berset, Agence APIC
Fribourg, 15septembre(APIC) De retour du 8e Symposium des évêques européens qui vient de s’achever à Prague, Mgr Pierre Mamie, président de la
Conférence des évêques suisses, est plus convaincu que jamais de la nécessité d’un «oecuménisme intracatholique» pour surmonter la séparation imposée 40 ans ans durant par un implacable «Rideau de fer» aux catholiques de
l’Est et l’Ouest.
Malgré les incompréhensions et les méfiances subsistant entre catholiques occidentaux – parfois accusés par les chrétiens de l’Est d’être compromis avec la société de consommation et le matérialisme ambiant – et coreligionnaires des anciens pays communistes, traités souvent avec condescendance par des Occidentaux convaincus de leur supériorité, cette rencontre avait «un aspect Pentecôte», confie Mgr Mamie.
«C’était très enrichissant, tout sauf la Tour de Babel, malgré la difficulté de se parler». Et d’ajouter que la rencontre a beaucoup gagné par le
fait que les délégués n’étaient pas que des évêques, mais c’était vraiment
la totalité du peuple de Dieu qui était représentée à Prague: évêques, prêtres, religieuses, religieux et laïcs. En effet, ce ne sont pas moins de
300 évêques, prêtres, religieuses, religieux et laïcs de l’Atlantique à
l’Oural qui se sont rassemblés sur le thème «Vivre l’Evangile dans la liberté et la solidarité».
APIC:A partir de votre expérience comme délégué à de nombreuses rencontres
internationales de ce genre, vous continuez de plaider, à la suite de la
chute du Mur de Berlin et l’émergence de nouvelles réalités ecclésiales en
Europe de l’Est, pour un «oecuménisme intracatholique»…
MgrMamie:Je maintiens la nécessité d’un oecuménisme à l’intérieur de
l’Eglise catholique, et j’en suis encore plus convaincu qu’avant. Avec cette différence que l’oecuménisme avec les Eglises réformée ou orthodoxe a sa
source dans des blessures et des péchés dont des personnes sont responsables: ceux qui se sont séparés de l’Eglise catholique par leur propre fait
ou à cause de l’Eglise catholique dont des membres, par leurs imperfections, ont provoqué ces ruptures. Mais en ce qui concerne les tensions et
les différences entre l’Occident et les pays anciennement communistes, elles ne sont pas imputables à l’Eglise: c’est la conséquence d’une situation
politique qui a divisé l’Europe en deux camps.
A l’Ouest, nous avons vécu dans une très grande liberté qui nous a conduits – globalement – à être très peu solidaires, tandis que de l’autre côté, la liberté était empêchée de s’exercer, et ils étaient solidaires dans
un collectivisme forcé. A partir de là, durant des décennies, des expériences humaines et ecclésiales très différentes se sont développées. Cet héritage du passé à des conséquences aujourd’hui encore. Les gens de l’Est,
après la chute du Mur de Berlin, ont déjà passé la Mer Rouge, mais ils traversent maintenant le désert, car ils ont à apprendre l’usage de la liberté. Ils ne savent pas toujours bien s’en servir.
Un évêque me disait: «Nous avons une longue traversée du désert à faire,
et l’on attend des oasis; c’est dans ces oasis qu’on aimerait vous retrouver, connaître vos expériences et vous faire partager ce dont nous avons
souffert». C’est ce que je retiens de Prague, au-delà de tous les exposés
et discussions dans les groupes de travail. Mais chaque pays – de la Pologne à la Roumanie, de la Croatie à la Slovaquie – a ses propres spécificités et des voies différentes à parcourir pour arriver à une vie plus humaine. A Prague, nous avons été à la recherche de l’unité, sûrement, mais
nous ne lisons pas toujours l’Evangile tout à fait de la même façon, parce
que nous l’avons vécu différemment.
APIC:Vous qui êtes coutumier des rencontres avec les évêques d’Europe centrale et orientale, voyez-vous une évolution vers plus de compréhension mutuelle ?
MgrMamie:On commence à reconnaître que l’on est différent, que l’on a
passé par des chemins différents, que l’on a aussi, à l’Ouest, des difficultés importantes, comme le matérialisme et le paganisme ambiants. Ce qui
a été très positif pour moi, c’est cette volonté de mieux se comprendre et
de faire la liste des dons que l’on a se faire mutuellement. Quand on a entendu certains témoignages, on n’a plus qu’à se taire, comme en face de ce
prêtre de l’Est qui n’a pu communier que deux fois en 14 ans de résidence
surveillée, ne pouvant dire la messe qu’une seule fois quand un autre
prisonnier, déjouant la vigilance des gardiens, a pu lui apporter du pain
et des grains de raisin…
En fait, quand je parle de la nécessité d’un «oecuménisme intracatholique», ce n’est pas parce que nous sommes déchirés ou divisés, mais c’est
parce que l’on ne se connaît pas encore assez. Je reviens enrichi de l’amitié des autres, de leurs prières, de la multiplicité des langues dans la
liturgie. Mais si la compréhension mutuelle avance trop lentement, c’est
plus pour des raisons humaines – politiques, économiques ou autres – que
des raisons ecclésiales. On sent que nos coreligionnaires de l’Est ont vécu
de façon tellement différentes durant des décennies…
Ils ne veulent pas passer directement du communisme à la société de consommation, et ils ont parfois l’impression qu’on les méprise, parce qu’on a
eu la chance d’être mieux formé, d’avoir fait des études librement. Mais
dans les conversations avec l’un ou l’autre, nous avons aussi quelquefois
l’impression que ce sont eux qui nous regardent de haut, jusqu’à nous traiter parfois d’»hérétiques» parce que nous aurions abandonné la fidélité au
pape. Eux, ils ont survécu grâce à la fidélité au pape, quel que soit son
nom. Et pour reprendre Hans Urs von Balthasar, ils nous accuseraient peutêtre d’un «complexe anti-romain». Ils accueillent mal nos critiques à
l’égard de Rome.
Mais quand on réussit à se parler, comme durant ces jours derniers à
Prague, on arrive à faire tomber des murs de préjugés. Il y a en effet une
claire volonté commune de vivre ensemble et de faire une Europe chrétienne
et de ne pas se laisser conditionner par l’Europe politique des douze et
son économie. Nous voulons construire – c’est notre espérance ! – une Europe unie, culturelle et spirituelle. (apic/be)
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