L’assassinat, le 16 octobre 2017, de la journaliste Daphne Caruana Galizia, a révélé au grand jour une violence qui n’avait jamais été associée par le grand public à la réputation internationale de Malte, État paisible, inoffensif et touristique aux yeux de ses visiteurs.
L’explosion d’une bombe dans sa voiture, alors qu’elle quittait son domicile de Bidnidja, au nord de l’île, l’avait tuée sur le coup et provoqué un vaste élan d’indignation. La journaliste de 53 ans se savait menacée. Elle avait effectué de nombreuses enquêtes sur la corruption endémique sur cette île ayant fait des exemptions fiscales un levier de développement économique.
Elle avait été victime de plusieurs actes d’intimidation, des individus ayant égorgé son chien et tenté de mettre le feu à sa maison. Deux semaines avant sa mort, elle avait déposé une plainte auprès de la police locale.
Son blog connaissait une vaste audience. Le magazine américain Politico l’avait classée parmi les «28 personnalités qui font bouger l’Europe», la qualifiant de «WikiLeaks à elle toute seule». Dans les semaines précédant l’attentat, elle enquêtait sur le volet maltais des Panama Papers, une vaste enquête internationale sur la fraude fiscale mettant en cause de nombreuses personnalités du monde politique et économique.
Dans un tweet publié aussitôt après l’attentat, Mgr Charles Scicluna avait exprimé son « grand choc » et sa « tristesse ». Il avait lancé un « appel pour une réponse unitaire» du pays afin que « soit promue une vraie démocratie ». Depuis lors, il a multiplié les interventions sur le sujet.
Lors des obsèques de Daphne Caruana Galizia, Mgr Scicluna avait notamment adressé ces mots de consolation aux journalistes: «Je vous encourage à ne jamais être fatigués dans votre mission. Vous êtes les yeux, les oreilles et la bouche du peuple. Faites votre travail sans peur et avec le plein respect de la vérité», avait-il exhorté. L’archevêque de Malte avait appelé à ce que les journalistes soient des personnes «libres, intelligentes, curieuses, honnêtes, sereines, sûres et protégées».
«Mgr Scicluna a essayé de dire la vérité, de guérir un pays divisé. Il a été l’une des rares personnalités à parler de ce meurtre», témoigne Nadia Delicata. La déléguée épiscopale du diocèse de Malte pour l’évangélisation s’exprimait lors d’un échange avec des journalistes organisé en amont de la visite du pape François.
«Mgr Scicluna a vraiment assumé alors le leadership de Malte à un niveau moral, pour aider les gens à surmonter le choc», témoigne la théologienne. Elle précisée que le diocèse organise encore, chaque 16 du mois, une veillée de prière pour la journaliste assassinée le 16 octobre 2017.
Il s’agit donc d’un engagement durable de l’Église locale, qui s’élève contre la mentalité clanique voire «tribale» qui marque encore une partie des Maltais. Après l’annonce de l’attentat, certains d’entre eux avaient considéré ouvertement que la journaliste avait mérité ce meurtre, s’attriste Nadia Delicata.
Le scandale avait ébranlé le Premier ministre de l’époque, le travailliste Joseph Muscat, dont plusieurs proches avaient été mis en cause dans des affaires de fraude fiscale par la journaliste. Plus de quatre ans après l’assassinat, des zones d’ombre demeurent sur ses commanditaires, malgré la condamnation d’un suspect à 15 ans de prison en février 2021. En juillet 2021, une enquête indépendante conduite par un juge et deux magistrats à la retraite a dénoncé la «culture de l’impunité» dans le gouvernement maltais de l’époque.
«Les tentacules de l’impunité se sont déployées sur les autres corps administratifs et sur la police, provoquant un effondrement de l’État de droit», ont alors affirmé les auteurs de l’enquête. Ils ont accusé le gouvernement de Joseph Muscat de ne pas avoir protégé la journaliste. Si son chef de cabinet et deux de ses ministres ont été mis en cause par les enquêtes de Daphne Caruana Galizia, le chef du gouvernement lui-même n’a jamais été formellement accusé de malversation. Il a finalement démissionné en janvier 2020, après une longue crise politique.
En célébrant les obsèques de la journaliste, Mgr Scicluna avait adressé cette interpellation aux assassins: «Il est difficile d’éluder la justice terrestre, mais vous ne pourrez jamais échapper à celle de Dieu. Repentissez-vous avant qu’il ne soit trop tard».
Des mots qui font écho à ceux du pape François dans une église romaine, le 21 mars 2014. «Convertissez-vous, tant qu’il est encore temps, pour ne pas finir en enfer. C’est ce qui vous attend si vous continuez sur cette voie», avait averti le pontife lors d’une veillée organisé par l’association anti-mafia du prêtre italien Luigi Ciotti, qui s’est aussi rendu à La Valette en 2019 pour rendre hommage à la journaliste assassinée.
L’un des sens de la visite du pape François à Malte, outre sa dimension de pèlerinage sur les pas de saint Paul et le soutien aux migrants dans une perspective méditerranéenne, sera donc aussi d’encourager une Église engagée dans la lutte contre la corruption et les mafias, et actrice dans la promotion de l’État de droit et de l’intégration européenne. (cath.ch/imedia/cv/rz)
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