1. Mgr Carlino à la barre
Prélat originaire des Pouilles, Mgr Mauro Carlino a reçu une formation diplomatique pontificale et a été notamment secrétaire de la nonciature au Nicaragua. Il a ensuite été chef du bureau d’information et de documentation du Vatican au début du pontificat de François et secrétaire du cardinal Angelo Becciu quand ce dernier est devenu substitut de la Secrétairerie d’État.
En 2019, il se voit confier la tâche de négocier avec Gianluigi Torzi pour récupérer le contrôle de l’immeuble de Londres dont ce dernier dispose. Le courtier originaire de Molise réclame 20 millions d’euros, Mgr Carlino participe directement à la négociation et arrive finalement à obtenir un nouvel accord qui verse 15 millions d’euros à Torzi. Suspendu à l’automne 2019, il travaille aujourd’hui pour l’archidiocèse de Lecce. Le Saint-Siège considère qu’il a participé à l’extorsion de ces 15 millions d’euros et que pour cela, il est aussi coupable d’abus de pouvoir.
Lors de l’audience, Mgr Carlino a clamé son innocence: «Je n’ai pas bougé un doigt sans l’autorisation de mes supérieurs et surtout j’ai travaillé exclusivement dans l’intérêt du Saint-Siège, en obéissant au substitut. On m’a appris que celui qui obéit, n’échoue pas». Il a affirmé avoir seulement joué un rôle d’intermédiaire entre la Secrétairerie d’État et Gianluigi Torzi. Se présentant comme un simple «prêtre», il a nié avoir eu connaissance de l’aspect technique de la transaction. «J’ai essayé d’accomplir la tâche qui m’avait été confiée, celle de parler, de dialoguer et d’entretenir des relations avec Torzi», a insisté le prêtre italien. Il a en revanche pointé du doigt le rôle joué par plusieurs «experts» financiers engagés dans le processus du côté du Saint-Siège, notamment l’architecte Luciano Capaldo – un ancien associé de Torzi – et l’official de la section administrative de la Secrétairerie d’État Fabrizio Tirabassi, mis en cause dans le procès.
2. Le rôle de Mgr Perlasca pointé du doigt
Mgr Carlino a apporté des précisions sur le rôle joué par Mgr Perlasca – un des témoins clés du procès – qui a été écarté du groupe en charge de l’immeuble de Londres à la Secrétairerie d’État. Mgr Perlasca a signé le contrat qui avait permis à Gianluigi Torzi d’obtenir les parts de l’immeuble qui lui en donnait de facto le contrôle sans l’autorisation de ses supérieurs, affirme Mgr Carlino.
À cause de cela, Mgr Peña Parra aurait décrit Mgr Perlasca comme «déloyal et désobéissant» et aurait en conséquence demandé à Mgr Carlino «loyauté, obéissance et confidentialité» dans les affaires relatives à l’immeuble de Londres. Il lui aurait fait connaître, au moment de se faire confier cette nouvelle mission, la volonté du pape François «de négocier avec Torzi, de dépenser le moins possible et d’obtenir le contrôle de l’immeuble». Mgr Perlasca n’aurait pas été d’accord avec cette volonté, et aurait poussé pour emprunter la voie légale et dénoncer l’incident – raison pour laquelle il aurait été mis sur la touche par Mgr Peña Parra.
3. Le dîner offert par le pape François
Le 2 mai 2019, après avoir conclu un accord de 15 millions d’euros avec Torzi pour reprendre possession de l’immeuble de Sloane Avenue, Mgr Peña Parra, Mgr Carlino et les autres personnes impliquées dans la négociation sont allés dîner dans un bon restaurant de poisson situé non loin du Vatican pour fêter l’événement, a rapporté Mgr Carlino. Selon ses dires, lorsque Fabrizio Tirabassi, lui aussi présent, est allé payer, Mgr Peña Parra a dit qu’il se chargerait de l’addition car le dîner était «offert par le pape», content que ses équipes soient parvenus à trouver une issue à l’imbroglio qui bloquait la transaction avec Gianluigi Torzi.
4. Quand la Secrétairerie d’État demande une enquête sur l’IOR
À la fin de l’année 2018, en voulant remettre la main sur l’immeuble de Londres dont il avait confié la gestion à Raffaele Mincione – homme d’affaires lui aussi mis en cause dans le procès –, le Saint-Siège a contracté un prêt auprès du fonds d’investissement Cheyne Capital. Au début de l’année 2019, cet emprunt est jugé trop onéreux et le Saint-Siège, en la personne du cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’État, demande un nouvel emprunt à l’Institut des œuvres de religion (IOR) – la banque privée du Vatican – pour pouvoir racheter l’emprunt à Cheyne Capital. L’opération est validée par l’IOR dans un premier temps le 24 mai 2019, mais son directeur général, Gian Franco Mammi, trouvant la demande suspecte, finit par la bloquer le 28 ou 29 juin 2019, assure Mgr Carlino.
La volte-face de l’IOR aurait selon lui provoqué la colère du substitut Mgr Peña Parra. «Suite à l’étrangeté d’un prêt accordé et refusé», explique Mgr Carlino, son supérieur direct aurait «demandé au docteur Giani, alors commandant de la gendarmerie [vaticane, ndlr], d’effectuer quelques vérifications» sur Gian Franco Mammi. Alerté par la pression alors exercée sur lui, ce dernier, le 2 juillet 2019, lance avec l’accord du pape l’enquête qui amène au présent procès.
5. Le pape François dispense le cardinal Becciu du secret pontifical
Le 17 mars dernier, lors de son premier interrogatoire, le cardinal Angelo Becciu avait indiqué que sa relation professionnelle avec une autre accusée, Cecilia Marogna, était protégée par le secret pontifical, et avait affirmé être prêt à parler seulement si le Saint-Siège venait à lever le secret. Lors de l’audience, le juge Giuseppe Pignatone a expliqué que le pape François en personne avait décidé – via un courrier signé du cardinal Pietro Parolin – de lever le secret pontifical.
Le cardinal Becciu devrait donc s’exprimer pleinement sur ce sujet le 7 avril prochain. Cecilia Marogna aurait été embauchée par le Saint-Siège, sur recommandation du cardinal Becciu, pour des missions de «diplomatie informelle», notamment la libération d’otages. Cette dernière a pour sa part affirmé être dans l’incapacité de s’exprimer en raison non seulement du secret pontifical, mais aussi du secret défense italien et de l’OTAN. Le Saint-Siège et l’Italie ont déjà signifié que le secret était levé la concernant.
L’interrogatoire de Mgr Carlino n’est pas terminé et doit se poursuivre le 5 avril prochain, le même jour que l’interrogatoire de Tommaso Di Ruzza et le Fribourgeois René Brülhart, les deux anciens membres de l’Autorité d’information financière. (cath.ch/imedia/cd/ic/rz)
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