«Ce sont les pièces magnifiques qui composent la grande mosaïque de l’Irak», affirme Mgr Najeeb Michaeel en présentant fièrement les enluminures d’un manuscrit syriaque du Moyen Age. L’ouvrage est l’un des nombreux trésors culturels et historiques conservés au CNMO, à Ankawa, la banlieue chrétienne d’Erbil. cath.ch a visité fin février 2022 l’institution fondée par Mgr Michaeel, en compagnie d’une délégation suisse en Irak.
Les documents et les ouvrages qui s’empilent sur des étagères entières, dans le petit immeuble, sont de diverses traditions chrétiennes, mais également d’autres religions, notamment musulmane et yézidie. Pour démontrer la diversité de la collection, Mgr Michaeel ouvre une Bible hébraïque écrite en latin. Des pièces uniques remontent entre les 12e et 15e siècles. Un parchemin carolingien du 10e siècle figure même au catalogue.
L’archevêque dominicain est bien conscient de la chance qu’il a de pouvoir manipuler ces manuscrits. Ils ont en effet échappé de justesse, en 2014, à la furie obscurantiste de l’Etat islamique (EI).
Les documents étaient alors gardés à Qaraqosh, un village chrétien à 40 minutes de voiture à l’est de Mossoul. Lorsque l’arrivée de Daech est devenue inéluctable, Mgr Michaeel a rempli deux chargements de camion vers Erbil, au Kurdistan irakien, une ville à l’époque non directement menacée par l’EI. Il est parti en emportant dans sa voiture les derniers manuscrits, quelques heures seulement avant que Daech ne prenne la localité, dans la nuit du 6 au 7 août.
La population, qui fuyait les djihadistes, a été mise à contribution pour le transfert. Des ouvrages précieux ont même été confiés à des enfants. Tout a été retrouvé intact à l’arrivée. Cet épisode et le combat de Mgr Michaeel ont notamment été racontés dans le livre Sauver les livres et les hommes (Grasset, 2017).
850 manuscrits anciens, des archives, des correspondances vieilles de plusieurs siècles, des photographies et plus de 50’000 livres ont ainsi été sauvés. Parmi eux, «Sidra», un livre de prières liturgiques en araméen, rédigé autour des 14 et 15e siècles. Le «livre sacré » de Qaraqosh a été présenté au pape François lors de sa visite en Irak, début mars 2021.
Mais les manuscrits d’Ankawa sont-ils définitivement en sécurité? Le climat sec de l’Irak permet déjà de les préserver de l’humidité. Les Irakiens sont toutefois habitués à ne pas compter sur la stabilité des situations, surtout politiques. Le CNMO a donc rapidement mis en route un processus de numérisation de sa collection. Plus de 8’000 manuscrits issus de 112 collections différentes ont ainsi déjà été digitalisés.
Une démarche commencée en 2009, dans un partenariat avec les dominicains du Minnesota. Ces derniers réalisent un travail colossal de conservation des archives de par le monde.
Le CNMO s’est récemment doté d’un matériel de numérisation plus sophistiqué, qui permet d’accélérer et de simplifier le processus. Des avancées rendues en grande partie possible par des aides obtenues d’organisations internationales, telles que l’UNESCO ou USAID.
Une tâche titanesque rendue possible par la détermination de Mgr Michaeel, passionné d’histoire et de culture irakiennes. La vocation lui est notamment venue de sa fonction d’archiviste, au couvent dominicain de Mossoul, en 1988. Les dominicains sont en effet, depuis le 19e siècle, les chevilles ouvrières de la conservation de la mémoire, en Irak.
Conscient de l’importance de ces documents quelque peu négligés, il crée le Centre des manuscrits orientaux en 1990, alors qu’il n’est encore que prêtre. Il sillonnera dès lors le nord de l’Irak, mais aussi des pays voisins, pour y retrouver des documents précieux.
«Il s’agit d’éclairer les générations futures sur la beauté de la diversité de l’Irak»
Mgr Najeeb Michaeel
Il a réussi à sauver des pièces inestimables de la destruction de la part de propriétaires ignorant souvent leur valeur. Après 2017, il a aussi racheté des centaines de livres pillés dans les églises par Daech, parfois vendus sur les trottoirs. Les documents, hors des collections dominicaine et bénédictine, ont été rendus à leur propriétaire légitime, après avoir été numérisés.
Le Centre de manuscrits a dû une première fois déménager à Qaraqosh en 2007, face à l’hostilité grandissante envers les chrétiens à Mossoul. Pour son second déplacement «dans l’urgence» vers Ankawa, en 2014, la Providence semble avoir été à l’œuvre. Les dominicains avaient en effet acheté seulement trois mois auparavant le spacieux bâtiment où les manuscrits ont finalement trouvé refuge. A l’époque lieu de résidence des Prêcheurs locaux, l’immeuble a finalement été destiné à abriter le Centre.
Tout en haut du bâtiment, a été installé un atelier de restauration. Car le CNMO s’occupe non seulement de préserver «l’âme» des manuscrits, par la numérisation, mais aussi leur «enveloppe charnelle». Lorsque l’archevêque de Mossoul y emmène la délégation suisse, une poignée de jeunes filles armées de pinceaux s’affairent à redonner leur lustre à de vieux ouvrages ou documents.
L’équipe de spécialistes a été recrutée par les dominicains principalement parmi les près de 100’000 réfugiés chrétiens arrivés à Erbil en 2014. Ces personnes sont des professionnels qui ont perdu leur emploi dans leur exode. Mgr Michaeel tient à souligner que le groupe est composé de plusieurs confessions chrétiennes d’Irak, et que certaines unions mixtes sont survenues dans ce contexte. Le CNMO remplit donc également un rôle social et de contact interconfessionnel.
L’institution rend service à toutes les communautés, relève Mgr Michaeel. Les étagères soutiennent de 200 à 300 manuscrits islamiques, dont des pièces rares, tels que des textes du philosophe du 12e siècle Averroès. Des académiciens musulmans sont déjà intéressés par leur étude.
Il sera en effet bientôt possible d’effectuer des recherches sur place. «Et tout sera entièrement gratuit», souligne l’évêque dominicain. L’idée est de favoriser le plus possible l’étude et la diffusion des recherches. Les aides et partenariats dont bénéficient le CNMO rendent cette option réalisable. «Cette mémoire appartient non seulement à l’Irak, mais à toute l’humanité», martèle l’archevêque.
Il amène la délégation suisse dans une autre salle, où il garde des objets brisés ou abîmés, récupérés dans les églises détruites par l’EI. Un morceau de l’horloge de l’église du même nom, à Mossoul, un ciboire calciné, des restes de tabernacles. Il espère pouvoir un jour ouvrir un musée présentant ces objets, dédié au souvenir de ce qui s’est passé.
Durant leur occupation de la région, de 2014 à 2017, les djihadistes ont détruit ou vendu des milliers d’œuvres culturelles ou historiques. Dans ce contexte, le combat de conservation du prêtre chaldéen avait été spécialement remarqué. Et son nom était sur une liste de personnalités à éliminer. Mgr Michaeel n’a pas été surpris de l’apprendre. Il a tout à fait conscience que pour les fondamentalistes, la culture, l’éducation et le savoir sont les principaux ennemis à abattre. «Avec ces projets, il s’agit d’éclairer les générations futures sur la beauté de la diversité de l’Irak. Cette lumière apportée par la mémoire et la connaissance de nos racines est nécessaire pour lutter contre les ténèbres de Daech». (cath.ch/rz)
Raphaël Zbinden
Portail catholique suisse
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