Mgr Valdrini: Praedicate Evangelium, une démarche d’évangélisation

Mgr Patrick Valdrini, canoniste et chanoine de la basilique Saint-Jean de Latran, livre pour I.MEDIA sa lecture de la Constitution apostolique Praedicate Evangelium, publiée le 19 mars 2022, et qui formalise la nouvelle organisation de la Curie romaine souhaitée par le pape François.

Pour le canoniste français, «cette Constitution introduit l’ensemble de la Curie romaine dans une démarche d’évangélisation».

Quelle est la spécificité de cette Constitution apostolique ?

Ce texte n’est pas une grande surprise. Beaucoup de choses avaient déjà été mises en place progressivement depuis le début du pontificat du pape François. On y retrouve le fil rouge de ses discours à la Curie, de ses Motu proprio (du latin, «de son propre mouvement», lettre apostolique émise par le pape de sa propre initiative, ndlr) et même de ses interviews dans la presse, dans lesquelles on trouve la trame de sa pensée.

C’est une Constitution qui reprend les thèmes de François et qui accentue d’autres déjà présents dans les Constitutions précédentes. On sent, à travers son insistance sur le respect dû aux Églises locales, qu’il a personnellement expérimenté l’action de la Curie romaine quand il était évêque en Argentine. Son expérience pastorale a joué un grand rôle. 

Pour bien comprendre l’orientation du pape, il faut surtout comprendre que Praedicate Evangelium s’inscrit dans la continuité d’Evangelii Gaudium, son exhortation apostolique de 2013. Le titre parle, en soi, de l’évangélisation. Il a donc fait passer à la première place le Dicastère pour l’évangélisation, qui réunit l’ancienne Congrégation pour l’évangélisation des peuples, qui a une compétence territoriale, et l’ancien Conseil pontifical pour la nouvelle évangélisation. D’ici au mois de juin, ces deux organes vont devoir travailler ensemble pour mettre en place la nouvelle organisation. 

Que signifie le fait que le pape soit lui-même le préfet de ce grand dicastère ?

Le pape prend personnellement en main ce dicastère, comme ce fut le cas du Saint-Office autrefois, durant quatre siècles, avant que cet organe ne devienne la Congrégation pour la doctrine de la foi, puis que Jean Paul abandonne cette pratique. Les papes voulaient garder la maîtrise de ce qui touchait aux questions les plus sensibles concernant la foi. 

Le pape François a toujours voulu montrer l’importance qu’il accordait à un dicastère en s’y insérant, comme il l’avait fait pour la section migrants et réfugiés.

Et plus largement, cette Constitution introduit l’ensemble de la Curie romaine dans une démarche d’évangélisation. Quand on fera l’histoire de son pontificat, on verra toute la continuité de cette démarche. 

Ce nouveau dicastère conservera-t-il le rôle de l’ex-Congrégation pour l’évangélisation des peuples sur les nominations d’évêques dans les territoires de mission ?

Oui, cela continuera. Il avait été question de transférer l’ensemble des diocèses du monde au Dicastère pour les évêques, mais il faut considérer positivement le fait qu’une congrégation qui travaille depuis le XVIe siècle sur les territoires de mission rassemble une énorme expérience, une expertise sur les jeunes Églises, qui ont une mentalité particulière. Le pape n’a pas voulu rompre cette tradition, il a eu raison. 

L’un des axes forts de cette Constitution est la mise en valeur de la co-responsabilité des laïcs, y compris dans le gouvernement des dicastères. Est-ce un point de différence avec ses prédécesseurs ?

La pape François a une fonction primatiale, et c’est à ce titre qu’il donne des charges aux personnes jugées les plus compétentes qui agissent muni d’un pouvoir vicaire (pouvoir délégué, ndlr). Le Code de droit canonique donne au pape la faculté de confier à des laïcs un rôle de gouvernement.

C’est un débat qui divise les canonistes, mais le pape François a tranché en faveur de l’accès des laïcs à des postes dont préfet de dicastère, comme c’est déjà le cas pour la communication. Il est très différent sur ce point par rapport à Jean Paul II, qui ne le faisait pas.

La Constitution clarifie la fonction de la Secrétairerie d’État comme «secrétariat papal», avec un rôle de coordination entre les dicastères. Est-ce que sa position sort renforcée, ou au contraire, relativisée ?

Elle a la bonne place qu’elle doit avoir, une place d’unité. Elle devrait notamment garantir l’organisation de réunions interdicastérielles. Il y en avait déjà auparavant, mais la Constitution institue le principe de réunions régulières des chefs de dicastères. Avec un organigramme simplifié, ce sera plus simple à organiser qu’auparavant, quand le président d’un petit conseil pontifical pouvait avoir la même place que le préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Maintenant, tous ces organes portent le nom de «dicastère», qui ne reprend pas la division de Pastor Bonus entre ceux qui exercent un pouvoir de gouvernement et d’autres non.

Mais le point le plus important, c’est la demande de synodalité dans l’action des dicastères. En droit canonique, la synodalité est mise en œuvre dans des institutions précises: le Synode des évêques, le Collège des cardinaux, le Conseil de cardinaux, etc… En dehors de ça, il s’agit plutôt d’une culture synodale, c’est-à-dire une dynamique pour faire travailler tout le monde ensemble, à l’intérieur des dicastères et entre les différentes instances. 

Le principe d’un rapport «organique» avec les conférences épiscopales va-t-il modifier les rapports entre la Curie romaine et les évêques ?

Cela touche à la question du rapport entre la Curie et le Collège des évêques. Dans Pastor Bonus, la Curie était au service du Collège des évêques et de chacun des évêques à travers le pape. Ce sera toujours le cas, mais la Curie est aussi invitée à servir les conférences épiscopales et leurs regroupements. Cependant, la question du statut des conférences d’évêques doit encore être travaillée, dans la perspective du rapport à la collégialité. Cela va occuper les ecclésiologues et les canonistes. 

Les conférences des évêques sont nées comme des organes pratiques, pour arbitrer les problèmes entre les évêques et formaliser les relations avec l’État. Si les choses ne sont pas définies plus précisément, chaque évêque fait ce qu’il veut. On voit d’ailleurs que le Chemin synodal allemand a pris une tournure extrêmement complexe car la place de la conférence des évêques n’est pas bien établie. Le pape se rend probablement compte que les conférences épiscopales sont des outils de régulation et de communion plus efficaces si leur rôle est bien défini.

Est-ce que cette Constitution est en quelque sorte un «sceau» du pontificat, pour inscrire dans la durée les orientations du pape François ?

En 1588, la première Constitution apostolique, établie par Sixte Quint, s’inscrivait en réponse à la réforme protestante. Celle de 1908 faisait suite à la perte des États pontificaux, qui rendait certains organes obsolètes, puis celle de 1967 s’inscrivait à la suite du Concile Vatican II, qui avait rééquilibré l’ecclésiologie. Jean Paul II, avec Pastor Bonus, a notamment voulu créer de nouveaux conseils pontificaux pour répondre aux défis de l’époque. 

Les papes successifs ont toujours voulu transformer la Curie, mais sans forcément établir de Constitution. Benoît XIV, par exemple, qui était un grand canoniste et un grand pape, a énormément restructuré la Curie mais sans faire de Constitution apostolique. 

Le pape François, lui, a voulu tenir compte des changements provoqués par son action au sein de l’Eglise, en les formalisant dans cette nouvelle constitution. Mais après Evangelii Gaudium et Praedicate Evangelium, il y aura encore une étape fondamentale avec le Synode sur la synodalité, avec l’assemblée plénière en 2023, qui devra notamment se pencher sur le statut des conférences épiscopales. (cath.ch/imedia/cv/be)

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